« Il est vrai que nous sommes une minorité et il est vrai que nous sommes divisés actuellement, mais quand il faut être unis face au danger, nous oublions nos différends », lance un habitant de Kfarmatta, la localité d’où est originaire le ministre d’État pour les Affaires des réfugiés, Saleh Gharib, dont deux des gardes du corps ont péri, hier, au niveau de Qabr Chmoun, fauchés par les balles de partisans du Parti socialiste progressiste (PSP), alors qu’un troisième garde du corps demeure dans un état critique. L’homme, qui tient à préciser qu’il est de la famille Khaddage, de Kfarmatta, enchaîne : « Que ce soit dans le Chouf ou à Aley, bref dans toute la Montagne, la majorité des druzes sont des partisans du PSP, les partisans de l’émir Talal Arslane (chef du Parti démocrate) sont minoritaires. »
Hier, les étendards rouges du PSP étaient toujours en place, de même que les portraits du jeune député Teymour Joumblatt, ou ceux du fondateur du parti Kamal Joumblatt, que ce soit à Kfarmatta ou à Qabr Chmoun, les deux villages au cœur de la crise de dimanche. La tension était montée suite aux propos tenus samedi dernier par le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, qui effectuait une tournée dimanche à Aley. M. Bassil avait rappelé, la veille, la guerre du Liban, spécifiquement le front qui opposait en 1983, pendant les affrontements de la Montagne, les milices et les soldats chrétiens (l’armée étant à l’époque divisée) au PSP. « Heureusement que le village de Kahalé était resté dans la légalité (contrôlé par les forces chrétiennes de l’époque), car s’il était tombé, celle-ci se serait effondrée. Et c’est cette légalité que nous défendons toujours », avait-il notamment déclaré.
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Les partisans du PSP, qui percevaient cette visite comme un défi, notamment car elle devait inclure une visite au cheikh Akl nommé par Talal Arslane, cheikh Nassereddine Gharib, avaient investi la rue pour manifester leur mécontentement, ce qui a obligé le ministre à annuler le reste de sa tournée. Et c’est à Qabr Chmoun que les partisans du PSP et les membres du convoi du ministre Saleh Gharib, qui rentrait dans son village de Kfarmatta après une réunion dans le village de Chemlane avec MM. Arslane et Bassil, se sont affrontés.
Le feu couvait sous la cendre encore hier à Qabr Chmoun et à Kfarmatta. Même si elle était calme, l’atmosphère était tendue et les personnes interrogées ne souhaitaient clairement pas s’attarder sur les détails de l’incident. Les habitants des deux villages étaient tristes, parce que le sang a coulé entre les druzes, et désabusés face à la situation politique. Même parmi les partisans du PSP, nombreux étaient ceux, hier, à affirmer leur solidarité avec les familles des deux victimes.
« Finalement, les leaders des deux clans se serreront la main, partageront un déjeuner et les choses rentreront dans l’ordre. Deux hommes ont perdu la vie, ce sont leurs familles qui sont à plaindre et qui n’oublieront jamais leur perte », note une jeune femme dans un magasin de vêtements à Qabr Chmoun.
Le régime syrien pointé du doigt
« L’incident est déjà clos. Une formule sera trouvée. Il y aura une enquête et un procès, trois ou quatre personnes iront en prison et tout reprendra comme avant. Le scénario classique en somme !
Ces deux hommes sont morts pour rien », lâche tristement Adel Mosleh, assis dans son restaurant de Kfarmatta et suivant, un peu agacé, la conférence de presse de Talal Arslane, retransmise en direct à la télévision.
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Un peu plus loin, Riad, marchand des quatre saisons, estime que « les druzes ont beaucoup de sages, ils arriveront à contenir la situation ». Il ne cache pas pourtant son inquiétude. « C’est le régime syrien qui veut nous diviser. Si seulement l’émir Talal pouvait se réveiller et voir les choses telles qu’elles sont », soupire-t-il.
De nombreux habitants de Kfarmatta ne cachent pas qu’ils n’apprécient pas M. Gharib qui « fait le jeu de la Syrie au Liban ».
Mais à Kfarmatta ou à Qabr Chmoun, c’est Gebran Bassil qui est surtout critiqué. « Si seulement cet homme arrêtait de semer la discorde. Où qu’il aille, il crée des problèmes », lance, entre deux gorgées de café, Hicham Khaddage. « Nous sommes une minorité, plus petite encore que les chrétiens. Dans une région en proie au fondamentalisme sunnite et chiite, nous avons réussi à préserver la particularité du Liban. Pourquoi cet homme veut-il tout ébranler ? Et pourquoi, au lieu de resserrer leurs rangs face au danger, les druzes jouent-ils le jeu au prix de leur unité ?... » soupire-t-il.
À l’entrée du village, se dresse le quartier chrétien de Kfarmatta. Le village compte 6 000 habitants dont un tiers de chrétiens. L’un des derniers villages du retour des déplacés chrétiens dans la Montagne, la localité avait été témoin, au début de septembre 1983, du massacre de dizaines de druzes, dont des femmes et des enfants, tués par des miliciens chrétiens des Forces libanaises.
Aujourd’hui, douze ans après le retour, le quartier, avec ses deux églises, a été reconstruit. Les immeubles sont flambant neufs. Nombre de chrétiens qui avaient quitté leur village durant la guerre y sont rentrés et y vivent à l’année. D’autres, plus nombreux, y passent seulement les vacances d’été.
« Je passe toute l’année ici. Mon fils a construit un immeuble et j’ai ouvert un supermarché », raconte Bassam Haddad. « Tout se passait bien depuis notre retour. Le village est calme… Et puis hier, tout a basculé », dit-il, ajoutant que « de nombreux habitants du quartier qui venaient d’arriver à Kfarmatta pour y passer l’été ont eu peur. Ils ont pris leurs affaires, fermé leurs maisons et sont rentrés à Beyrouth. Ils reviendront quand la situation se calmera ».
Assis avec lui dans le supermarché, Dany Haddad renchérit : « Les druzes, la communauté la plus soudée du Liban, sont en train de s’entre-tuer, comment voulez-vous que les chrétiens qui habitent ici ne prennent pas peur ? »
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UN AUTRE EMANATEUR DE GAZ EST LA CAUSE DU CONFLIT.
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 24, le 02 juillet 2019