« S’il faut mourir, ce sera notre destin », lance un réfugié syrien, le regard triste et sombre, avant de prendre le bus, à Bourj Hammoud, qui le rapatriera vers son pays. Dès six heures du matin hier, des réfugiés désireux d’être rapatriés ont commencé à affluer au stade de Bourj Hammoud, l’un des points de départ vers la frontière syro-libanaise via des bus mis à leur disposition par la Sûreté générale (SG), qui organise depuis plusieurs mois des retours par groupes de centaines de réfugiés. Des colis, des valises, des sacs en plastique, des caisses en carton s’entassent sur la chaussée, alors que des familles et des hommes seuls se massent devant une porte, celle d’une cour menant aux bureaux de la Sûreté générale à Bourj Hammoud.La plupart d’entre eux rentrent en Syrie pour fuir la misère qui les guette au Liban. Et ce malgré les risques qu’ils encourent dans leur pays d’origine : tous les hommes âgés de 18 à 40 ans qui passeront la frontière deviendront de facto réservistes de l’armée syrienne. En attendant de pouvoir embarquer, Ali, 33 ans, originaire de la province de Raqqa, déclare ainsi qu’il s’enrôlera dans l’armée syrienne et qu’il s’en remet désormais uniquement à Dieu. Les trois hommes de son âge qui l’accompagnent et sont originaires du même village savent, eux aussi, qu’une fois de retour en Syrie, ils devront rejoindre les rangs de l’armée.
Hier à Bourj Hammoud, les réfugiés venaient de Nabaa, Bourj Hammoud, Sabra, Aley, Dbayé et Tripoli. La plupart devaient partir par Masnaa, pour rejoindre notamment Damas et sa banlieue, alors qu’une quinzaine embarquaient dans un bus à destination de Tripoli où ils devaient prendre un autre bus pour aller vers la frontière nord.
Même s’ils sont courtoisement traités par les membres de la SG, qui n’hésitent pas à les aider à porter leurs enfants pour montrer dans le bus et qui vérifient patiemment avec eux les noms des personnes ayant reçu l’accord des autorités syriennes pour rentrer au pays, et malgré la présence rassurante de délégués du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies, c’est la mort dans l’âme que ces réfugiés rentrent au pays. Cela se devine aux regards des hommes et à leurs propos quand on leur pose des questions sur l’armée syrienne. Cela se comprend aux larmes que les femmes tentent de ravaler quand elles évoquent leur inquiétude pour un fils ou un mari qui les accompagnent.
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« Il n’y a plus ni opposants ni prorégime en Syrie »
Hier à Bourj Hammoud, la plupart des réfugiés n’acceptaient de parler que sous le couvert de l’anonymat quand il s’agissait d’évoquer la question de la sécurité en Syrie. « Parfois, ils prennent les hommes dès l’arrivée du bus à la frontière syrienne. D’autres fois, les douaniers laissent tout le monde passer », raconte une femme originaire de la banlieue de Damas, dont le mari pourrait être contraint de rejoindre les rangs de l’armée. Son fils, âgé de 14 ans, n’a pas fréquenté l’école au Liban, où la famille a vécu pendant quatre ans. « Il fallait travailler pour vivre, aider la famille à payer le loyer et acheter de quoi manger », raconte l’adolescent en utilisant des mots d’adulte alors que son père vérifie avec les autorités libanaises si les membres de sa famille ont reçu le feu vert de Damas pour pouvoir rentrer.
Machhour, la trentaine et moustachu, embrasse son fils âgé de quatre ans pour ce qu’il craint être la dernière fois. Il a vécu durant trois ans et demi à Sabra, au sud de Beyrouth. « Je suis un déserteur, mais je veux rentrer en Syrie. Les noms de ma femme et de mon fils figurent sur la liste du départ. Pas le mien. J’ai une solution : je veux me rendre aux autorités syriennes. J’irai à l’ambassade (de Syrie) à Hazmieh », dit-il, résolu. Cet homme originaire d’Idleb mais ayant longtemps habité Damas affirme qu’il n’a pas peur et qu’il rejoindra à nouveau les rangs de l’armée si les autorités de son pays le lui permettent.
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« Pas le choix »
« Il n’y a pas de travail au Liban. Nous n’avons plus les moyens de nous nourrir ou de payer le loyer. Nous rentrons chez nous car nous ne voulons pas nous retrouver dans la rue à mendier », raconte, avec amertume, Mohammad, menuisier, ayant vécu avec sa famille 13 ans au Liban, depuis bien avant la guerre en Syrie donc. Quand il rentrera avec sa famille dans sa ville d’Alep, son fils, âgé de 19 ans, rejoindra de facto l’armée syrienne. « J’espère que Dieu le protégera », soupire sa mère.
Plusieurs familles interrogées ne reviendront pas dans leurs villages d’origine où leurs maisons ont été détruites, mais s’établiront dans des grandes villes, notamment Damas ou Alep ou leurs banlieues, où certains de leurs proches habitent déjà et où ils logeront dans des maisons louées.
« Il n’y a plus ni opposants ni prorégime en Syrie. Au Liban, il est désormais très difficile de trouver du travail et les loyers sont de plus en plus chers, c’est pour cela que beaucoup d’entre nous décident de rentrer », confie tristement un homme originaire de Homs, qui a certainement cru à un moment à un changement de régime dans son pays, et qui est venu accompagner des amis jusqu’au bus. « Oui, nous sommes conscients qu’ils seront enrôlés dans l’armée ou peut-être même qu’ils disparaîtront à leur retour en Syrie. Nous sommes conscients aussi qu’ils peuvent mourir au combat. Mais ils n’ont pas le choix. Dieu seul sait de quoi leur avenir sera fait », soupire-t-il.
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commentaires (7)
Si pour certains esprits tordus les libanais du Sud " occupent" leur propre terre, comment voulez vous que ces réfugiés syriens ne se sentent pas humiliés par ces "esprits charitables" .
FRIK-A-FRAK
19 h 22, le 01 mars 2019