La politique étatique de retour des réfugiés syriens initiée par le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, et le ministre d’État pour les Déplacés, Saleh Gharib, n’est pas seulement décriée par une partie de la classe politique. Elle laisse sceptiques deux chercheurs spécialisés dans le dossier, qui expliquent leur position à L’Orient-Le Jour.
Nasser Yassine, directeur de l’Institut de recherche Issam Farès de l’Université américaine de Beyrouth, et Ziad el-Sayegh, expert en matière de politiques publiques et de réfugiés, dénoncent « un discours populiste poussant les réfugiés syriens au retour, alors que les conditions d’un tel retour ne sont pas encore réunies en Syrie, l’initiative russe étant au point mort ». Ce qui aurait pour conséquences premières « de créer des tensions entre les communautés libanaises hôtes et les réfugiés » et, à plus long terme, « de présenter un danger pour la sécurité des réfugiés ».
« Que veut dire un retour sécurisé ? Est-ce un retour obligatoire ? Pourquoi alors le Liban ne parle-t-il pas de retour volontaire ? » demande Nasser Yassine, qui constate une « dichotomie entre les propos de Gebran Bassil et ceux de Saad Hariri ». Il dit d’ailleurs « douter que le processus de retour actuellement prôné soit accompagné par les instances onusiennes ». « Quoi qu’il en soit, la politique menée tambour battant par les autorités n’a rien d’encourageant », observe-t-il.
L’expert craint que le discours politique actuel n’exerce « davantage de pressions » sur les communautés hôtes et réfugiées. « Forcément, ce discours aura des répercussions sur le terrain. Non seulement il crée un sentiment de peur chez les réfugiés syriens, mais il pourrait exacerber les tensions entre eux et la population libanaise, comme nous l’avons constaté à Ersal », affirme-t-il. Selon M. Yassine, les autorités pratiquent une politique tacite à l’égard des réfugiés syriens selon laquelle « ils ne doivent pas vivre confortablement, afin de ne pas s’intégrer ». Quant au dialogue entre le Liban et la Syrie, le chercheur estime qu’un « débat devrait certes se mettre en place, dans l’objectif d’encourager le retour volontaire. Sauf que rien dans le comportement du régime syrien ne montre une volonté de considérer l’après-guerre ». « Les hommes sont toujours contraints de rejoindre les rangs de l’armée syrienne; nombre de réfugiés sont soumis à des investigations ; et en vertu de la loi n°10, les propriétaires ne sont pas sûrs de récupérer leurs biens fonciers car ils ont perdu leurs documents justificatifs », déplore-t-il. Il se demande d’ailleurs si le dialogue avec le régime syrien sur fond de retour des réfugiés n’est pas plutôt « une volonté des autorités libanaises de rouvrir les canaux avec la Syrie pour profiter notamment de la reconstruction ». « Ce n’est guère rassurant », conclut M. Yassine, constatant au passage que « l’initiative russe (se proposant de créer une commission pour le rapatriement de près de 900 000 réfugiés syriens du Liban) n’a pas été lancée faute de feu vert international ».
(Lire aussi : La politique officielle du retour des réfugiés syriens se veut rassurante, mais la polémique enfle...)
L’atteinte au consensus national
Un autre expert sur la question des réfugiés, Ziad el-Sayegh, fait également part de ses réserves. D’abord, parce que « le dossier des réfugiés a été retiré au camp du Premier ministre Hariri pour être attribué au ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, au Hezbollah, à la Syrie et à l’Iran ». « Qui va décider de la politique de l’État concernant les réfugiés, M. Bassil ou le ministre d’État pour les Déplacés, Saleh Gharib ? » demande l’expert en matière de politiques publiques et de réfugiés, craignant que « ce dossier ne soit pas traité de manière institutionnelle ». Ensuite, parce que ce dossier, qui est aujourd’hui traité par une seule partie, « risque de porter atteinte au consensus national » en créant des dissensions entre les différentes parties politiques. Enfin, parce qu’en adoptant la politique annoncée, « le Liban ne pourra éviter le bras de fer continu avec la communauté internationale, sous prétexte que celle-ci veut implanter les réfugiés syriens au pays du Cèdre et que les autorités libanaises réussiront à rapatrier les réfugiés grâce à leurs relations avec le régime syrien ». Or, selon l’expert, de nombreuses questions restent en suspens. « Qui va s’occuper des réfugiés syriens lorsqu’ils seront rentrés en Syrie, sachant que l’ONU n’a pas de contacts avec tous ceux qui sont rentrés jusque-là, s’interroge-t-il. Des garanties leur seront-elles données par l’ONU et la Russie, concernant notamment le service militaire ? » M. Sayegh estime que les dessous de la politique libanaise demeurent flous. « Que veut-on aujourd’hui ? Un retour des réfugiés ou une normalisation avec le régime syrien, sachant que les conditions du retour ne sont pas garanties ? » demande-t-il encore, dénonçant « un jeu populiste des autorités libanaises, qui réussira tout au plus à créer un folklore autour de quelques centaines d’opérations de retour », tout en exerçant « des pressions contre les communautés de réfugiés sur le terrain ». « Tant que l’ONU et la Russie ne leur donneront pas les garanties nécessaires, ces réfugiés reviendront au Liban », craint-il.
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commentaires (5)
Il est urgent d'accepter formellement et officiellement le plan russe , la Russie etant la seule puissance effective dans la région . Tergiverser , c'est se suicider
Chucri Abboud
13 h 51, le 27 février 2019