Plusieurs décennies de guerres, de conflits internes, de crises chroniques et d’interminables débats existentiels, ça use. Et surtout, ça rend le citoyen blasé… À tel point qu’il finit par banaliser les situations les plus surréalistes. Et pourtant, ce « laisser-faire, laisser-aller » doit être malgré tout jugulé pour éviter le dérapage incontrôlé et la chute libre dans l’abîme. C’est devenu une lapalissade que de dire nous ne sommes pas dans la République de Platon et qu’il faudrait s’abstenir de faire preuve d’angélisme béat. Certes… Mais il reste que certaines pratiques politiques dépassent tout entendement, même au Liban.
La lettre de « démission » que le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a fait signer dès la formation du gouvernement aux ministres représentant le courant aouniste constitue un exemple de ces pratiques d’un autre monde. Un précédent à la limite risible, n’était sa signification politique en termes d’atteinte à la fonction de ministre. Mais en définitive, sa dimension essentiellement partisane et personnelle en limite relativement la portée. Peut-être le chef du CPL voudrait-il garantir d’avoir toutes les cartes en main au cas où il voudrait ébranler le cabinet…
Plus grave encore est l’attitude adoptée par le Hezbollah à la suite de la malencontreuse boutade lancée par Nawaf Moussaoui, lors du débat de confiance, au sujet des circonstances de l’élection des présidents Bachir Gemayel en 1982 et Michel Aoun. Indépendamment de ce que l’on pense du personnage, de ses orientations politiques ou de son comportement médiatique, Nawaf Moussaoui est un député élu. La « suspension » de son mandat parlementaire, même temporairement – pour une période d’un an (sic !), à en croire des sources du parti chiite –, sur base d’une décision partisane, à titre de sanction, constitue rien moins que du mépris à l’égard de ses électeurs. Et un dédain des institutions constitutionnelles et des usages démocratiques.
Encore plus troublante est la récente démarche, qui peut paraître anodine pour certains, mais qui reste inhabituelle, du chef du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad. À la réouverture du débat de confiance, M. Raad s’est levé au début de la session plénière de l’Assemblée, retransmise de surcroît en direct sur toutes les chaînes de télévision locales, pour désavouer solennellement Nawaf Moussaoui et présenter au nom de son parti des excuses publiques pour les propos tenus par son collègue, jugés déplacés et impulsifs.
Le Hezbollah aurait pu se contenter d’une simple mise au point lapidaire, en marge des séances parlementaires, pour lever toute équivoque concernant la petite phrase de Nawaf Moussaoui évoquant l’accession de Michel Aoun à la présidence de la République « grâce au fusil de la résistance ». Il aurait pu tout aussi bien ignorer l’allusion aux circonstances de l’élection de Bachir Gemayel en faisant fi – comme il en a l’habitude – des réactions particulièrement fiévreuses enregistrées sur ce plan sur les réseaux sociaux et au niveau d’une partie de la rue chrétienne. La tempête se serait rapidement estompée d’elle-même.
Pourquoi donc cette sanction spectaculaire, pour le moins qu’on puisse dire, pourquoi ces excuses solennelles et pourquoi autant d’égards pour une opinion publique que ce parti n’est pas accoutumé à ménager outre mesure? Il est devenu bien inutile de rappeler que les préoccupations (et le projet) du Hezbollah sont d’ordre essentiellement transnational et régional. Pour quelles raisons a-t-il donc accordé cette fois-ci une telle importance à une question à caractère somme toute local qu’il aurait pu très bien banaliser avec condescendance, comme il le fait souvent ?
Le parti chiite prépare-t-il d’ores et déjà son retour de Syrie en cherchant à montrer patte blanche et à redorer son blason, à donner de lui une image de respectabilité et d’ouverture ? D’où le souci du nouveau ministre (hezbollahi) de la Santé d’afficher l’attitude de celui qui « ne veut pas faire de politique » et qui désire se concentrer sur sa tâche ministérielle technique. Ou bien le parti chiite fait-il face à des difficultés financières et structurelles, du fait de la guerre syrienne, qui le poussent à vouloir calmer le jeu sur la scène interne? Le Hezbollah verrait-il aussi poindre à l’horizon des moments difficiles pour lui et son mentor iranien, de sorte qu’il chercherait à avoir « zéro problème » dans ses rapports avec les parties libanaises, surtout chrétiennes ?
Quelle que soit l’interprétation qui peut leur être donnée, de tels actes partisans ne peuvent, en aucun cas, ébranler sérieusement la culture démocratique qui a toujours fait la raison d’être du pays du Cèdre.
commentaires (6)
Il s'agissait en fait de tuer la RAGE qui est en lui, Mr Touma.
FRIK-A-FRAK
20 h 32, le 26 février 2019