Le Hezbollah a volé hier la vedette à la Chambre lors de la troisième journée de débats au Parlement, à l’issue desquels devait être votée, tard en soirée, la confiance au nouveau gouvernement.
En présentant ses excuses au nom de son bloc après les propos polémiques de son collègue Nawaf Moussaoui, qui avait déclaré mercredi que l’ancien président Bachir Gemayel avait été élu « grâce aux chars israéliens », suscitant l’ire des Kataëb et des Forces libanaises, Mohammad Raad a créé un choc positif parmi ses pairs et à l’extérieur du Parlement.
Qualifiant l’intervention inopinée de M. Moussaoui de « réaction impulsive », et soulignant qu’il avait dépassé « les limites » et « les règles de bienséance » généralement suivies par les représentants du parti, M. Raad a demandé qu’elle soit retirée du procès-verbal.
« Lors de la séance d’avant-hier, un violent échange indésirable a eu lieu entre certains députés au cours duquel des propos inacceptables et impulsifs ont été prononcés par l’un des membres de notre bloc. Nous vous présentons nos excuses et je demande au nom du bloc que ces déclarations soient retirées du procès-verbal », a-t-il dit, suscitant une cascade d’applaudissements dans l’hémicycle.
Cette réaction inédite de la part du représentant du parti chiite n’avait toutefois rien de spontané, ayant été orchestrée en amont des débats entre d’une part le Hezbollah et le CPL, et d’autre part entre ce dernier et les FL et les Kataëb. Une réunion, initialement prévue entre les trois formations chrétiennes exclusivement pour décider d’une position commune à adopter à l’égard des propos de M. Moussaoui sur Bachir Gemayel, a été l’occasion pour le CPL d’initier une médiation pour parvenir à une issue.
Selon un responsable du camp aouniste, c’est Alain Aoun qui a effectué l’intercession entre les députés du Hezbollah et ceux des deux autres partis chrétiens pour juguler la crise. L’affaire a finalement été réglée par le mot d’excuse rédigé avant la séance et dont sont convenues les différentes parties.
(Lire aussi : « Si Bachir Gemayel était encore en vie, nous n’aurions pas vu tout ce beau monde »)
La décision du Hezbollah de remédier à la « bévue » commise par l’un des leurs était vraisemblablement prise d’avance, et « rapidement », selon une source proche de ses milieux. Preuve en est, l’absence remarquée aux débats d’hier de Nawaf Moussaoui, à qui le parti voulait de toute évidence éviter une humiliation. Cette décision a probablement été prise après que le Hezbollah a constaté que les propos de M. Moussaoui ont suscité une levée de boucliers quasi unanime chez les chrétiens, rapprochant le CPL des FL et des Kataëb.
Les regrets formulés par M. Raad ont aussitôt provoqué des réactions de soulagement au sein de la communauté chrétienne que les accusations formulées contre l’un de ses symboles, un ancien chef de l’État de surcroît, ont sérieusement contrariée, la tension s’étant même manifestée dans la rue et sur les réseaux sociaux qui se sont enflammés ces derniers jours.
Premier à réagir aux propos de M. Raad, Nadim Gemayel, qui avait été jusqu’à menacer de « prendre les armes » lors d’un rassemblement, vendredi soir, de partisans des Forces libanaises et Kataëb place Sassine. « Si présenter des excuses est une vertu, reconnaître les martyrs de tout un chacun est signe de patriotisme. Dorénavant, nous ne devons plus être divisés concernant la vérité. Bachir était le rêve d’un peuple et le martyr de la République », a écrit M. Gemayel dans un tweet qui a donné le coup d’envoi à une série de réactions positives de la part de plusieurs parlementaires qui ont qualifié à tour de rôle l’intervention de M. Raad de « responsable » et de « courageuse ».
(Lire aussi : Le vote de confiance... et de la dernière chance)
La flèche contre Aoun
Cependant, ce n’était pas seulement le symbole de Bachir Gemayel que les propos de M. Moussaoui avaient écorné, mais également celui de la présidence actuelle incarnée par Michel Aoun. M. Moussaoui avait, rappelons-le, débuté son intervention en affirmant que M. Aoun était parvenu à Baabda « grâce au fusil du Hezbollah », mettant ainsi dans l’embarras le chef de l’État et la formation dont il est issu. Dans un souci de rectifier le tir et de dédouaner le président d’un label politique qui risquait fort de mettre à mal sa politique actuelle de recentrage et ses efforts en matière de distanciation à l’égard des conflits régionaux, le député CPL Alain Aoun a réagi, recourant à une formule tempérée mais non moins directe.
« Le CPL n’a jamais nié la contribution du Hezbollah en ce qui concerne l’accès de Michel Aoun à la présidence », a-t-il dit, avant d’insister lors de son intervention à la Chambre sur le fait que « le président a toutefois accédé à ce poste par le biais d’un processus politique dans lequel les armes n’ont joué aucun rôle ». Le député a souligné le fait que l’élection de M. Aoun ne peut pas être non plus considérée en dehors de l’assise populaire dont il bénéficie et qu’elle est en définitive le fruit d’un « bras de fer politique » qui s’est concrétisé, deux ans plus tard, par un soutien que lui ont accordé une majorité de députés au Parlement.
Alain Aoun venait ainsi de rappeler, à qui veut l’entendre, que le président, propulsé au pouvoir également à la faveur d’un compromis convenu avec le Premier ministre, Saad Hariri, ne doit pas son élection à un parti exclusif, encore moins à une résistance frappée de sanctions et que la communauté internationale tient à l’œil.
(Lire aussi : Tirs directs de Samy Gemayel contre les armes du Hezbollah)
Des excuses au président
Dans les milieux proches du parti chiite, on souligne que les excuses présentées par M. Raad étaient plutôt destinées au chef de l’État et au camp aouniste que les propos de Nawaf Moussaoui ont extrêmement embarrassés, même s’ils ont servi en même temps à calmer la tension au sein des autres formations chrétiennes.
Jeudi, le CPL avait pris ses distances à l’égard des remarques formulées par le député du Hezbollah, son chef Gebran Bassil estimant qu’il n’était « pas permis de s’en prendre à un martyr », sans toutefois réagir aux propos concernant l’élection du président, laissant la charge à Alain Aoun.
Dans son intervention devant ses pairs, ce dernier a saisi l’occasion pour saluer le « sens des responsabilités » de M. Raad, et a défendu à son tour la mémoire de Bachir Gemayel.
« Toute atteinte à Bachir Gemayel en dehors du champ du débat politique est une atteinte à une composante essentielle du peuple libanais », a-t-il dit, soulignant l’importance de respecter les sujets « sacrés » au sein de chaque communauté.
Lire aussi
La faute, l'édito de Issa GORAIEB
Verbiage gesticulateur, le billet de Gaby NASR
Débat sur la déclaration ministérielle : discours répétitifs, confiance acquise et clash inévitable
Gouvernement : les réformes économiques au cœur de la déclaration ministérielle
Gouvernement Hariri III : les principaux points de la déclaration ministérielle
L’opposition stigmatise « un gouvernement largement déséquilibré en faveur du Hezbollah »
Réformes structurelles, dette... Le nouveau gouvernement attendu au tournant
Rien, absolument rien, ne devrait être éffacé du procès verbal d'une assemblée nationale.
09 h 59, le 18 février 2019