À tous ceux qui venaient protester auprès du président de la Chambre pour lui demander d’accélérer le rythme ou bien de fixer un temps de parole limité à chaque député, la réponse était la même : c’est le droit des députés de prendre la parole et ils ne peuvent pas en être privés.
Il a donc fallu prendre son mal en patience et écouter autant que faire se peut la quinzaine de députés qui ont pris la parole hier. Selon la personnalité de l’orateur, l’hémicycle était plein ou à peine rempli, la plupart des présents étant convaincus que les discours étaient surtout destinés à attirer l’attention sur ceux qui les prononçaient bien plus qu’à la formulation de véritables critiques, le gouvernement, le troisième formé par Saad Hariri, étant assuré d’une large majorité de voix au Parlement.
(Lire ici le compte-rendu de la séance du soir)
D’ailleurs, le chef des Kataëb Samy Gemayel a précisé dans son discours qu’il y avait en réalité quatre opposants, les trois députés de son groupe et Paula Yacoubian. Ce qui a provoqué un tollé de protestation, notamment de la part de Salim Saadé (PSNS) qui lui a demandé comment il pouvait décider à leur place. D’autres lui ont rappelé que Jamil el-Sayyed et Oussama Saad ne comptaient pas non plus accorder leur confiance au gouvernement...
Après l’échange houleux de la veille entre le député Jamil el-Sayyed et le ministre des Finances Ali Hassan Khalil, tout le monde croyait que la séance d’hier matin serait calme. C’était compter sans le député du bloc de la résistance Nawaf Moussaoui, déterminé à répondre à toute accusation lancée contre le Hezbollah et sans la riposte violente de Nadim Gemayel.
L’échange animé a commencé avec la prise de parole de Samy Gemayel qui a dit que certains qualifient ce gouvernement de celui du Hezbollah, lequel serait en train de contrôler la vie politique depuis l’élection de Michel Aoun à la présidence. Ce qui a poussé Nawaf Moussaoui à lancer : « C’est à l’honneur du président d’avoir été élu grâce au fusil de la Résistance. C’est mieux que d’être élu à l’ombre des blindés israéliens. »
Nadim Gemayel a alors violemment riposté affirmant que Bachir Gemayel a été élu par le Parlement du Liban. Chacun des députés a lancé un commentaire et il y a eu dans la salle un brouhaha général que le président Berry a eu du mal à calmer, promettant de donner un droit de réponse à Nawaf Moussaoui à la fin du discours de Samy Gemayel. Mais lorsque ce dernier a terminé son intervention, le député du Hezbollah a renoncé à répondre. Toutefois, l’affaire n’en est pas restée là puisque le soir même, à la place Sassine à Achrafieh, le parti Kataëb a appelé à une manifestation pour protester contre les accusations du parlementaire du parti chiite. Samy Gemayel avait auparavant affirmé que le Liban ne doit pas payer pour les actions du Hezbollah et ses inimitiés. Ce qui a poussé le président Berry à lui dire : « Vous n’aviez pas protesté quand les habitants du Sud croulaient sous le poids de l’occupation... »
(Lire aussi : Hausse de ton et mise en garde contre les atteintes au souvenir de Bachir Gemayel)
Cet incident, qui semble avoir ravivé d’anciennes blessures, a été le seul moment marquant de la séance d’hier qui s’est poursuivie dans une sorte de routine, avec des remarques pertinentes et d’autres répétitives.
C’est la députée Paula Yacoubian qui a pris la parole en premier pour préciser qu’elle n’accordera pas sa confiance au gouvernement, parce qu’elle n’a pas le sentiment qu’il combattra réellement la corruption et qu’il traitera de façon efficace le dossier des déchets. Elle a ajouté qu’elle espère se tromper et qu’elle serait alors prête à s’excuser. Cette idée a d’ailleurs été reprise par tous ceux qui ont décidé de ne pas voter la confiance au gouvernement, notamment Samy Gemayel et Élie Hankache. En fait, l’idée qui est revenue le plus souvent est la suivante : ce gouvernement ressemble étrangement à ceux qui l’ont précédé et il a été formé de la même façon dans le cadre d’un partage des parts politiques et confessionnelles. Il n’y a donc aucune raison logique pour qu’il soit plus efficace que les précédents.
Omission des dossiers épineux
Neemat Frem a fait remarquer que la déclaration ministérielle a sciemment occulté trois dossiers épineux : celui de la stratégie de défense, celui de la neutralité positive du Liban et celui de l’établissement d’un État laïc. Il a ajouté que le gouvernement a bien fait, car ces dossiers font l’objet de conflits et de divergences. Il vaut donc mieux commencer par ce qui peut être fait.
Pendant ces deux premiers discours, il y a eu un aparté remarqué entre la ministre May Chidiac et le député Nawaf Moussaoui et une discussion animée sur les bancs des députés entre Tony Frangié et Georges Okaïss (FL). Contraint de sortir de la salle, en l’absence du vice-président Élie Ferzli, Nabih Berry a confié son siège au député Marwan Hamadé. Les députés se sont aussitôt mis à photographier la scène et Alain Aoun a lancé : « Il n’est plus besoin de former le Sénat ! » (prévu par l’accord de Taëf dont la présidence reviendrait à un druze).
Violette Safadi et les deux condamnés à mort
Alors que les députés se succédaient à la tribune, la ministre Violette Safadi (qui a fait une carrière à la télévision) a rejoint les bancs réservés aux journalistes. Ceux-ci se sont précipités vers elle et elle leur a confié ses impressions. « Je ne comprends pas l’attitude négative de certains, a-t-elle dit. Il faut nous donner au moins le bénéfice du doute. Il y a beaucoup de nouveaux ministres dans ce gouvernement qui veulent travailler. Mais leur attitude, a-t-elle dit, m’a fait penser à l’histoire des deux condamnés à mort qui attendent l’exécution de leur peine. Le bourreau leur dit : “Vous avez droit à une seule demande.” Le premier souhaite voir sa mère avant de mourir et le second déclare : “Je souhaite que sa demande ne soit pas réalisée...” » Mme Safadi a ajouté : « Dire des choses positives n’est pas un crime, quand même ! »
Le ministre d’État pour les Déplacés, Ghassan Atallah, a aussi fait une petite apparition chez les journalistes pour réitérer son intention de clore ce dossier dans un délai de trois ans et de le remplacer par un ministère du Développement durable, pour pousser les gens à rester dans leurs villages. Étant lui-même originaire de la localité de Botmé (Chouf), il connaît bien le dossier et a déjà préparé un plan pour le clore, car il a selon lui trop duré.
Anouar el-Khalil, Hussein Hajj Hassan, Ziad Assouad, Georges Adwan et Eddy Demerdjian ont aussi pris la parole, alors que les députés se faisaient rares dans l’hémicycle. La séance a été levée à 15h30 pour reprendre à 18h.
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commentaires (13)
Basta! Épargnez nous toutes ces diatribes inutiles et commencez à travailler, c'est dans le nom après tout. Tout ce qui nous importait était le discours de Paula Yacoubian qui était le seul sincère et plein de faits directes et chiffres certains. Yallah, au travail et trêve de perte de temps.!
Wlek Sanferlou
14 h 05, le 15 février 2019