Comme prévu, la Rencontre consultative sunnite a douché l’optimisme distillé en début de semaine tant par le Premier ministre désigné Saad Hariri que par le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil. D’autant que les six députés sunnites hostiles à M. Hariri sont revenus à la charge hier. Il ont réitéré leur attachement à prendre part au futur cabinet par le biais de l’un des membres de la Rencontre ou de l’une des personnalités qu’ils avaient nommées dans le cadre de l’initiative menée par le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, peu avant Noël.
Réunis au domicile de Jihad el-Samad, député de Denniyé, les parlementaires concernés ont publié un communiqué dans lequel ils ont réitéré leur insistance pour que leur ministrable représente la Rencontre consultative exclusivement. Une façon pour ces députés de s’opposer à toute solution prévoyant l’inclusion du ministre en question au lot du chef de l’État Michel Aoun. « Nous refusons tout nouveau compromis qui réitérerait l’expérience antérieure, que nous refusons aussi bien dans la forme que dans le fond », souligne d’ailleurs le texte. Une allusion à peine voilée à l’initiative Ibrahim.
Les députés sunnites du 8 Mars s’en sont par ailleurs violemment pris à Saad Hariri. Se disant désolés de constater que la léthargie gouvernementale n’en finit pas de se prolonger, ils en ont imputé la responsabilité au Premier ministre. Selon eux, ce dernier « refuse toujours de reconnaître les résultats des élections qui ont mis fin au monopole de la représentation au niveau de la communauté sunnite ». La Rencontre a également stigmatisé le fait que le chef du gouvernement « se soit désisté de plusieurs de ses prérogatives en acceptant que certains, autre que le président de la République, participent à la formation du cabinet ». Allusion à peine voilée à Gebran Bassil. « Il s’agit de concessions inédites faites aux dépens de la présidence du Conseil, de son rôle et de l’équilibre entre les composantes libanaises », ajoute le texte.
Dans une conversation à bâtons rompus avec les journalistes, M. Samad, qui a donné lecture du communiqué, a implicitement critiqué le chef du CPL qu’il a accusé d’œuvrer pour détenir le tiers de blocage au sein du futur cabinet. « Il est intolérable qu’un seul parti puisse détenir le tiers de blocage, dans la mesure où cela constituerait d’abord une atteinte aux prérogatives du Premier ministre », a-t-il tonné, rappelant que « les quinze ministres chrétiens présents au gouvernement peuvent garantir les droits des chrétiens ». Encore une critique implicite adressée au CPL qui brandit le slogan du recouvrement des droits des chrétiens depuis la présidentielle de 2016.
(Lire aussi : Gouvernement : de l’optimisme à nouveau dans l’air, mais toujours rien de concret)
Le Hezbollah
Il va sans dire que cette escalade est à même de remettre les compteurs à zéro, dans la mesure où rien ne prête à croire que le camp syro-iranien soit disposé à faire des concessions pour faciliter la tâche à Saad Hariri. Il n’en reste pas moins que la position, quoique traditionnelle, des parlementaires sunnites du 8 Mars est importante dans la mesure où elle intervient à la veille d’une interview qu’accordera le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah ce soir à la chaîne de télévision al-Mayadeen. Il s’agit de la toute première apparition publique du dignitaire chiite depuis le 10 novembre 2018.
En attendant l’entretien de Hassan Nasrallah, des sources proches du parti chiite citées par l’agence locale al-Markaziya ont donné une approche réaliste de l’état actuel des tractations gouvernementales. Ces milieux estiment ainsi que l’optimisme distillé par MM. Aoun et Hariri n’est pas basé sur des données réalistes. Il s’agit d’une tentative d’éviter la léthargie totale. L’atmosphère positive ne trouvera pas de concrétisation tant que M. Bassil insiste sur sa position concernant le tiers de blocage, et M. Hariri maintiendra sa position concernant la Rencontre consultative, ajoute-t-on de même source. Et de poursuivre que le tiers de blocage n’intéresse pas le Hezbollah. Ce qui lui importe le plus réside dans le respect des résultats des élections. La Rencontre consultative a facilité (la formation du gouvernement) au maximum et a fait beaucoup de concessions. Mais la seule ligne rouge, c’est que le ministrable ne relève que de notre quote-part, soulignent encore les milieux du parti chiite. Une façon pour celui-ci de faire barrage aux tentatives de Gebran Bassil d’inclure le ministre représentant les sunnites pro-8 Mars au lot du tandem Baabda-CPL afin d’obtenir onze ministres, soit le tiers de blocage.
Quoi qu’il en soit, tant les milieux de la Maison du Centre que du CPL s’efforcent de se monter optimistes quant à un proche dénouement heureux. Contacté par L’Orient-Le Jour, un proche de Saad Hariri va même jusqu’à déclarer que le Premier ministre devrait trancher la question gouvernementale « d’une façon positive » la semaine prochaine, soulignant que « le chef du gouvernement n’est pas concerné par la nouvelle escalade de ses concurrents sunnites. Même son de cloche chez le CPL. Dans une déclaration à Sawt el-Mada, Ibrahim Kanaan, député du Metn, a même été jusqu’à faire état d’une « grande volonté du président de la République de trancher la question ministérielle la semaine prochaine dans la mesure où le pays ne peut plus tolérer d’atermoiements ».
(Lire aussi : Gouvernement libanais : qu'est-ce qui bloque, encore, aujourd'hui?)
Au-delà de l’entrave sunnite…
Sauf que, contrairement à ce qu’avaient espéré les optimistes, l’obstacle sunnite ne semble pas être la seule entrave sur laquelle bute encore l’équipe Hariri. Il y a aussi le refus de plusieurs composantes d’opter pour une révision du partage des portefeuilles. C’est notamment le cas du chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt. Lors de son entretien avec Saad Hariri mercredi à Clemenceau, le leader de Moukhtara aurait exprimé son refus de se désister du portefeuille de l’Industrie au profit de son grand allié, le président de la Chambre Nabih Berry. Ce dernier aurait, lui, accepté de céder l’Environnement au CPL, comme le veut Gebran Bassil. Certains milieux politiques expliquent à L’OLJ la position de Moukhtara par le fait que le chef du PSP a fait trop de concessions et n’entend plus en faire davantage. D’autant qu’il a déjà accepté de se désister d’un ministre pour faciliter la mission de Saad Hariri.
À leur tour, les Forces libanaises ont exprimé via l’agence al-Markaziya leur refus de voir les portefeuilles qu’elles ont obtenus modifiés. Meerab répondait ainsi aux informations ayant circulé récemment dans les médias concernant un éventuel échange articulé autour du ministère de la Culture entre M. Berry et les FL.
Notons enfin que Moustapha Hussein, député du Akkar (CPL), a plaidé hier pour la représentation des alaouites au sein du cabinet, une éventualité que le Premier ministre refuse, craignant un précédent. M. Hussein a déclaré : « Les alaouites font partie intégrante du tissu libanais (…) Nous sommes fiers d’être alliés à la Syrie, mais nous accomplissons notre devoir à l’égard de notre pays », a-t-il lancé, soulignant que « tous les protagonistes sont favorables à un pays étranger ». Il répondait ainsi à ceux qui estiment que Saad Hariri ne voudrait pas intégrer les alaouites à son équipe en raison de leur partialité vis-à vis du régime syrien.
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commentaires (12)
Le Hezbollah en détresse, aux abois, prend tout le Liban en otage, pour nous faire couler avec lui ! Et ses acolytes de députes sunnites pro syriens, en abondant dans le sens du Hezbollah, contribuent à notre naufrage collectif ! Toutes leurs théories constitutionnelles surréalistes ne sont que tergiversations! L’histoire s’en souviendra! Il aura fallu la tenue du sommet Arabe pour que G. Bassil y voit plus claire et qu’il réalise, un tant soit peu, le chaos qui nous attend et l’urgence de la situation !!! Réussira-t-il pour autant à faire retourner leur veste ces députés sunnites ??
Bibette
14 h 14, le 28 janvier 2019