Ce 24 janvier, le Liban entre dans son neuvième mois sans gouvernement. Depuis que le président Michel Aoun l'a chargé, le 24 mai dernier dans la foulée des élections législatives, de former le nouveau gouvernement, le Premier ministre désigné, Saad Hariri, n'est toujours pas parvenu à une formule de consensus, alors qu'un climat d'incertitude pèse sur la situation économique et financière du pays.
Ces huit derniers mois, les "nœuds" chrétiens et druzes, liés à la répartition des portefeuilles réservés aux principales forces politiques représentatives de ces deux communautés, ont été réglés à l'issue d'âpres négociations. Mais l'émergence du "nœud sunnite" né de la demande de six députés sunnites non affiliés au courant du Futur de M. Hariri, et bénéficiant du soutien décisif du Hezbollah, d'obtenir un portefeuille, ainsi que la volonté du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, de s'octroyer un tiers de blocage, ont de nouveau bloqué le processus de formation du gouvernement, alors qu'une solution semblait imminente avant les fêtes de fin d'année.
Après la tenue du sommet économique arabe à Beyrouth qui s'est achevé dimanche, les tractations, qui se concentrent désormais sur la résolution de ces deux derniers blocages, ont repris. Mardi, le Premier ministre désigné exprimait l'espoir que le nouveau gouvernement "voie le jour d’ici à une semaine, voire moins".
Retour sur les huit derniers mois d’âpres négociations entre Saad Hariri et les différentes composantes du pays.
Ce qui a été réglé
Portefeuilles régaliens
Dans la tradition des tractations gouvernementales libanaises, les quatre ministères dits "régaliens", à savoir les Affaires étrangères, la Défense, les Finances et l'Intérieur - le ministère de la Justice n'a pas ce statut - sont équitablement répartis entre chrétiens (un maronite et un grec-orthodoxe) et musulmans (un sunnite et un chiite). Alors que certains avaient émis l'idée d'une redistribution des portefeuilles entre les principales formations politiques, ces dernières se sont accordées pour maintenir les attributions du cabinet sortant. Ainsi, les ministres sortants des Affaires étrangères Gebran Bassil (maronite, CPL), et des Finances Ali Hassan Khalil (chiite, Amal) devraient être reconduits. Le Futur devrait garder la main sur le ministère de l'Intérieur, et la présidence de la République nommer le ministère de la Défense, qui devrait être Elias Bou Saab.
Nœud chrétien
Le premier véritable obstacle est apparu au moment de décider de la répartition des portefeuilles réservés aux chrétiens qui, comme le veut l'usage, disposent de la moitié des portefeuilles. Le point de friction portait principalement sur la répartition entre le CPL, qui mène également les négociations au nom de la présidence de la République à laquelle est réservée une quote-part, et les Forces libanaises, qui ont renforcé leur place prépondérante sur la scène chrétienne après les législatives.
Après une période de montée des enchères entre les deux formations, à couteaux tirés depuis plusieurs mois, les FL, qui ont réclamé un portefeuille régalien ou un ministère de poids comme celui de la Justice, ont finalement accepté de se voir attribuer quatre postes mais seulement deux portefeuilles dans le but de faciliter la naissance du gouvernement. Le 29 octobre, la formation de Samir Geagea a annoncé le nom de ses quatre ministrables : Ghassan Hasbani (grec-orthodoxe) pour la vice-présidence du Conseil, Camille Abousleiman (maronite) au ministère des Affaires sociales, May Chidiac au ministère de la Culture et Richard Kouyoumjian (arménien-catholique) à un ministère d’État.
Les Marada, formation chrétienne présidée par Sleiman Frangié, devraient, eux, reconduire Youssef Fenianos au ministère des Travaux publics.
Le CPL et le chef de l'Etat se verraient ainsi octroyer 10 portefeuilles chrétiens dont ceux de la Justice et de l’Énergie. Le parti arménien Tachnag, membre du bloc parlementaire du "Liban Fort" dont le CPL est la principale composante, devrait obtenir un portefeuille (inclus dans les dix).
Nœud druze
La distribution des trois portefeuilles réservés aux druzes a opposé pendant plusieurs semaines le chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, qui revendiquait le droit de nommer l'ensemble des ministres druzes, et le chef du Parti démocratique libanais, son principal rival sur la scène druze, l'émir Talal Arslane, soutenu par son allié du CPL, qui réclamait au moins un portefeuille. Après des semaines de discussions, un compromis a été trouvé, en vertu duquel le troisième ministre druze, nommé par le chef de l’État, ne serait pas affilié au bloc du PSP mais serait agréé par Walid Joumblatt.
Ce qui bloque encore
Nœud sunnite et tiers de blocage
Début novembre, alors que la formule ministérielle était sur le point d’être annoncée, le Hezbollah, qui s'est vu attribuer le ministère de la Santé comme il le demandait, a soumis une deuxième revendication : intégrer au gouvernement l'un des six députés sunnites anti-Hariri regroupés au sein de la "Rencontre consultative" et soutenus par le Hezbollah.
Un compromis, concocté par le leader du CPL et négocié par le directeur général de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, a été trouvé avant les fêtes. Selon ce compromis, le chef de l'Etat devait désigner un ministre sunnite dans une liste de noms proposés par la Rencontre consultative. Les députés sunnites se sont accordés sur le nom de Jawad Adra. Mais le chef du CPL a insisté à l'inclure au bloc aouniste, ce qui reviendrait à octroyer au président de la République et au CPL le tiers de blocage. En désaccord avec M. Bassil, les sunnites pro-8 Mars ont fini par désavouer M. Adra, le compromis était alors enterré. Selon plusieurs observateurs, cet épisode a tendu les liens entre le courant aouniste et le Hezbollah.
Selon des informations de presse, la "Rencontre consultative" est aujourd'hui toujours attachée à être représentée. Trois noms de ministrables, figurant dans la liste des noms proposés par le groupe, circulent : Osman Majzoub, proche du député de Tripoli Fayçal Karamé (membre de ce groupe); Hassan Mrad, le fils du député Abdel Rahim Mrad (membre de ce groupe); et Taha Naji, candidat aux dernières législatives. Selon des médias locaux, M. Bassil devrait être chargé des discussions avec les députés sunnites pro-8 Mars.
Pour surmonter le "nœud sunnite" et la volonté de M. Bassil de s'octroyer le tiers de blocage, l'idée d'une formule à 32 ministres, permettant d'attribuer au chef du CPL le tiers de blocage sans vampiriser le ministre sunnite que la "Rencontre consultative" réclame, a germé. Le tandem Hezbollah-Amal a donc proposé une formule de 32, comprenant un portefeuille attribué à la communauté alaouite et un autre attribué à l'une des communautés chrétiennes minoritaires et nommé par le chef de l'Etat. Selon des informations concordantes, Saad Hariri a refusé cette formule car l'attribution d'un portefeuille aux alaouites constituerait un précédent.
Le président Aoun, M. Hariri et le leader du CPL se sont mis d'accord sur une autre formule de 32 ministres mais comptant sept ministres sunnites, soit un portefeuille de plus que les chiites ou les maronites. Mais cette formule, qui remet en cause l'équilibre communautaire d'usage, n'a jamais été proposée. Mardi, le président du Parlement et leader du mouvement Amal, Nabih Berry, avait déclaré que le Premier ministre désigné n’a pas l’intention de former un gouvernement de 32 ministres. Selon des sources fiables, M. Hariri songerait à nouveau à la formule des trois blocs de dix ministres, sans tiers de blocage.
Portefeuilles "ordinaires"
En parallèle des discussions entre M. Bassil et les membres de la "Rencontre consultative", M. Hariri doit se pencher dans les prochains jours sur la distribution de portefeuilles dits "ordinaires" entre les différentes formations politiques. Selon des médias locaux, M. Berry a accepté, sur proposition de M. Hariri, d'abandonner le ministère de l'Environnement, qui lui était attribué lors des dernières tractations, au profit de l'Industrie, promis, lui, au PSP, qui devrait garder le ministère de l’Éducation. Dans ce cadre, le Premier ministre désigné va sonder le PSP sur sa disposition à remplacer le portefeuille de l’Éducation par celui du Développement administratif. Selon des informations concordantes, le ministère de l'Information et de l'Agriculture font également l'objet de concertations.
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Ridicule ce pays avec des portefeuilles régaliens et d'autres qui ne valent rien . Triste .
21 h 00, le 24 janvier 2019