Les différentes forces politiques, dont le Hezbollah, se sont-elles entendues sur la nécessité de dissocier la crise du gouvernement des conflits de la région et d’appliquer concrètement la politique de distanciation pour sanctuariser la scène libanaise face à la lutte entre les axes ? Partant, iront-elles jusqu’à former un gouvernement neuf mois après la nomination de Saad Hariri pour mener à bien cette mission ? Le landernau politique libanais est-il désormais convaincu que la situation économique a atteint un stade si critique après le déclassement du Liban par l’agence de notation américaine Moody’s qu’il convient de n’épargner aucun effort pour qu’un nouveau cabinet soit formé, loin des conditions rédhibitoires des uns et des autres ?
Selon des sources ministérielles, il existerait un effort manifeste en faveur de la formation du gouvernement, doublé d’une volonté ferme de la part des parties prenantes à ce processus d’assurer à chacun que ses intérêts seront pris en compte. Les développements régionaux, et plus particulièrement le spectre de la conférence sur le Proche-Orient prévue à la mi-février à Varsovie – et qui doit porter notamment sur la stabilité au Liban et la confrontation de l’ingérence iranienne dans les affaires arabes –, ont en effet créé un point de rencontre entre les intérêts divergents des formations politiques libanaises.
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Au Liban, les développements se sont succédé, surtout depuis la visite du sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires politiques David Hale et ses prises de position depuis la Maison du Centre, d’où il a invité à mettre fin à toute présence militaire en Syrie et à « faire face aux agissements iraniens dans la région, dont le financement des organisations terroristes comme le Hezbollah ». « Seul l’État libanais a le droit de se défendre. Il est inacceptable qu’il y ait une milice agissant en dehors du giron de l’État (…) qui creuse des tunnels et qui accumule un arsenal de centaines de missiles pouvant être une menace pour la stabilité », a ajouté le diplomate américain, provoquant une réponse de l’ambassade iranienne, qui a dénoncé des propos qui constituent « une ingérence flagrante dans les affaires des autres ». Suite à quoi l’ambassadeur d’Iran, toujours depuis la Maison du Centre, a exprimé son soutien aux efforts visant à former un gouvernement sous la présidence de Saad Hariri, précisant qu’il n’y avait pas de lien entre ce processus et les développements extérieurs. Il y a eu ensuite le sommet économique arabe de Beyrouth, avec son lot de prises de position et d’actes politiques répercutant le climat régional tendu, si bien que le Liban a paru redevenir une arène de confrontation entre les États-Unis et l’Iran.
Tous ces développements ont contribué à entraver les démarches visant à mener à bon port le processus de formation du nouveau gouvernement, notamment après la demande par le binôme chiite Amal-Hezbollah à la présidence de la République d’effectuer une ouverture vis-à-vis du régime syrien et de prendre l’initiative de réclamer le retour de Damas au sein de la Ligue arabe. Certains ont aussitôt proposé le troc suivant : normalisation des rapports entre Beyrouth et Damas en contrepartie du déblocage de la formation du gouvernement. Cette proposition a été confrontée par une position unanime et tranchée arabe exprimée par le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmad Aboul-Ghaïth, selon laquelle il n’existait pas de consensus arabe jusqu’à l’heure pour le retour de la Syrie au sein de cette instance. Selon des sources diplomatiques bien informées, l’étape actuelle ne serait pas articulée autour d’un retour de Damas dans le giron arabe, mais d’une tentative de redynamiser le rôle arabe visant à trouver une solution à la crise syrienne comme préalable à toute discussion sur une éventuelle réintégration de la Syrie au sein de la Ligue, dans la mesure où il est inconcevable que la Russie, l’Iran et la Turquie assument la mission de trouver une solution au problème syrien sans aucune participation arabe. Du reste, certaines conditions devront être assurées avant un retour de la Syrie dans le giron arabe, notamment le fait de savoir quelle sera la formule de solution à la crise ou le rôle de Damas dans le projet de paix américain au Proche-Orient ainsi qu’une rupture des liens politiques avec Téhéran.
Selon des sources arabes qui suivent de près le dossier syrien, les travaux de réfection de l’immeuble abritant l’ambassade des Émirats arabes unis à Damas, en vue d’une reprise de contact diplomatique entre les deux pays, ont été stoppés pour l’heure. Des dirigeants arabes seraient plus circonspects sur le fait de se rendre dans la capitale syrienne en raison des développements régionaux et internationaux qui ont quelque peu refroidi l’élan d’optimisme en faveur d’une normalisation des rapports. Au Yémen également, les mesures positives en faveur du règlement de la crise ont été gelées, mais aussi en Irak, pour aplanir les obstacles conduisant à la formation d’un gouvernement, ou en Syrie, où la situation sécuritaire s’est détériorée dans le nord du pays.
(Lire aussi : Gouvernement libanais : qu'est-ce qui bloque, encore, aujourd'hui?)
L’ensemble de ces développements ne sont pas sans se répercuter sur la scène locale. Cependant, un regain d’optimisme se fait sentir de nouveau au niveau du processus de formation du nouveau cabinet au lendemain du sommet de Beyrouth. Les concertations menées par Saad Hariri ont lieu dans un climat d’optimisme. Pourtant, le tandem chiite affirme mordicus que ce climat n’est fondé sur aucune donnée concrète et que rien ne pousse à dire qu’il y aura un nouveau gouvernement d’ici à la fin du mois, comme l’affirme M. Hariri. Sauf si le chef du Courant patriotique libre (CPL), le ministre sortant Gebran Bassil, lâche le tiers de blocage. De sources bien informées, le Premier ministre désigné œuvrerait pour une formule suivant laquelle le sixième ministre sunnite ferait partie de la quote-part du président de la République et serait comptabilisé comme représentant de la Rencontre consultative sunnite. Le ministre-roi ferait donc partie de l’équipe du chef de l’État et ne voterait pas contre ses intérêts, mais resterait neutre. Une permutation aurait également lieu au niveau des portefeuilles : le CPL obtiendrait ainsi l’Environnement, qui était attribué selon la mouture de base au mouvement Amal. Ce dernier hériterait de l’Industrie, qui était dévolu au Parti socialiste progressiste (PSP), lequel se rabattrait sur l’Économie, qui se trouvait entre les mains du CPL. Cet amendement ne concernerait pas la quote-part des Forces libanaises qui ont suffisamment fait de compromis dans la première phase.
Les milieux politiques intéressés estiment que le climat positif au niveau de la formation du gouvernement serait dû au danger économique pressant et aux besoins de certaines parties d’avoir un cabinet à leur goût qui leur assurerait une couverture légale avant la conférence de Varsovie et la nouvelle fournée de sanctions contre l’Iran et le Hezbollah. Téhéran délivrera-t-il le cabinet de ses chaînes ? Le Hezbollah mettra-t-il fin au blocage par besoin de couverture légale face aux défis qui le guettent ? C’est sans doute le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui ouvrira, dans son entretien télévisé aujourd’hui, la voie aux réponses à ces questions.
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commentaires (5)
Au fond du bunker, un cogélateur bourré de plats pré-cuisinés: des épicés, des sans gluten, et même des sucrés...miam-miam ! Irène Saïd
Irene Said
16 h 06, le 26 janvier 2019