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Culture - L’artiste de la semaine

Dyala Khodary répète Beyrouth à l’infini

Celle pour qui l’art est un « luxe nécessaire » raconte sa ville natale d’un trait sensible et engagé dans son exposition « Beirut in patterns », à la galerie Art on 56th*.


Dyala Khodary. DR

La peinture bat furieusement dans ses veines depuis l’âge de quatre ans. Diplômée en 2002 de l’Université libanaise des beaux-arts, sa carrière de peintre s’est vue concurrencée par la découverte du métier de peintre en décor. Dyala Khodary mène depuis une double vie rythmée par ces deux activités. « Je suis tombée amoureuse par hasard de ce travail décoratif. Mais, au final, ces deux chemins se rejoignent et s’enrichissent réciproquement», dit-elle. Elle se met à travailler pour une grande compagnie de peinture et, naviguant entre les chantiers et son atelier, elle acquiert des techniques utiles pour la carrière artistique qu’elle mène en parallèle. « J’ai appris à manier les textures, les effets que je voulais obtenir. À composer des motifs, à les répéter et les insérer dans des perspectives. »


Portraits pop
Usage de l’aérographie et réinvention de la société moderne par le biais de portraits : il y a dans les premières toiles de l’artiste des influences très pop. Ses premières peintures seront exposées aux différents Salons d’automne organisés par le Musée Sursock. Lors d’une exposition collective à la galerie Art on 56th – avec laquelle elle engage une relation de fidélité –, elle présente des natures « semi-mortes », détournant le lieu commun de la nature morte. C’est dans cet endroit qu’aura lieu sa première exposition en solo, Tailor Maid, où elle rassemble des portraits de ses amis, les éclaire et montre comment chaque visage réagit à ces sollicitations lumineuses. « Je voulais montrer que la lumière taillait un habit particulier pour chacun », explique-t-elle. Aujourd’hui, le sujet de son exposition Beirut in patterns, est moins personnel, laisse plus de possibilité à l’appropriation : Beyrouth, ô Beyrouth.

Une attention quasi religieuse est prêtée au cadrage dans ses tableaux. À travers les multiples perspectives qu’elle utilise, l’artiste ne représente pas la capitale, elle la raconte. Là, une devanture de maison devant laquelle traîne un ballon qu’aucun enfant ne poursuit. Ailleurs, on bat un tapis, ritournelle familière des débuts de printemps. Les rues sont vides comme si les sujets battaient en retraite à la vue du visiteur. Au milieu de cette ambiance engourdie, surgit en contre-plongée un magnat de l’immobilier.

Le poing serré, il s’apprête à s’attaquer sur ce qu’il n’a pas encore réussit à corrompre. Sur le tableau d’à côté, une vieille maison beyrouthine est écrasée par une tour qui lui pousse rageusement dans le dos. La démarche de l’artiste apparaît alors très ostensiblement et vise à dénoncer.


« Le chat dort et dort... »
L’artiste s’exprime à travers le motif, l’ornement, le modèle qui se voit inlassablement répété : le « pattern ».

Dans la ville comme dans l’histoire. Partout les mêmes formes circulaires, mosaïques, silhouettes de maisons coloniales propres au vieux Beyrouth. Des détails si familiers qu’ils en deviennent invisibles. Côte à côte, deux tableaux représentent un même chat assoupi dans le coin de l’atelier d’un rempailleur de chaise. Entre les deux, rien n’a changé, si ce n’est l’heure et la lumière qui a baissé. « Le chat dort et dort, sans que le temps qui passe ne fasse rien évoluer. On reste coincés dans des modèles. Ce chat continuera à dormir tandis que le savoir-faire sera oublié. » Elle alerte sur l’ancien qui se voit relégué au rang de pièce de musée. Mais pointe également du doigt le paradoxe contenu dans ces tours qui se propagent comme des bactéries et l’émerveillement des Libanais devant leur richesse architecturale, qu’ils laissent pourtant disparaître. « Les gens ne devraient pas s’extasier de la sorte devant leur propre patrimoine : ça devrait faire partie d’eux, être naturel. Aujourd’hui, l’ancien est devenu glamour, le vieux est exotique », s’insurge-t-elle. « Quand je pense à Beyrouth avant, à sa beauté, ça me fait mal. Dans ce pays on ne fait que subir. On est témoins de cette annihilation de la vie. »

L’art est un processus qu’elle tient à maîtriser de A à Z, rémanence de son activité décorative. Dyala Khodary sait exactement ce qu’elle veut : elle visualise. Rien n’est superflu, la quête de sens n’oppresse pas. Pourtant, pas de platitude non plus mais un juste équilibre qui évite à sa démarche toute prétention.

« Les choses peuvent être simples mais signifiantes. » Détestant la futilité, il lui est difficile d’accepter une société libanaise de plus en plus étrangère. « Je veux être une artiste au Liban. Je refuse de quitter le Liban. Mais je lutte avec mon sentiment d’appartenance parce que je ne me sens pas toujours appartenir à la société libanaise. Ce travail reflète qui je suis : j’aime le beau au Liban mais je suis désorientée parce que je ne me rapporte pas aux individus, à la société d’ici. Chaque jour, je suis de plus en plus déçue », confie-t-elle.

L’artiste espère que son exposition saura sensibiliser à sa ville qui s’autodétruit.


* Art on 56th. Jusqu’au 17 novembre.


1979

Naissance à Beyrouth.

2002

Diplômée de l’Université libanaise des beaux-arts.

2005

Première participation au Salon d’automne du Musée Sursock.

2008

Projets déterminants pour sa carrière de peintre en décor.

2010

Reproduction d’un tapis persan sur un plafond, « Magic carpet », à Bahreïn.

2013

Rencontre avec la galerie Art on 56th.

2015

Première exposition solo, Tailor Maid, à Art on 56th.

2017

Participation à un jeu vidéo.

2018

2e exposition en solo « Beirut in Patterns » à Art on 56th.




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