Rechercher
Rechercher

Culture - L’artiste de la semaine

Karim Chaya, complément d’objets du désir

Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est explorer des territoires qui ne lui sont pas familiers. Le designer a toujours montré une appétence particulière pour l’objet, celui qu’il crée, qu’il offre et qu’il partage avec le reste du monde.

Karim Chaya a toujours cherché à comprendre le pourquoi du comment. Photo Géraldine Bruneel

Le hasard fait souvent bien les choses. Karim Chaya et Raëd Abillama se connaissent depuis l’enfance, se retrouvent sur les bancs de la même université aux États-Unis, à Rhodes Island : l’un pour le design industriel et l’autre pour l’architecture, et décident, de retour au Liban, de travailler à quatre mains et de fonder ACID (pour Abillama, Chaya Industrial Design), une entreprise de production et de design, à laquelle se joindra Fouad Matta, en tant que partenaire et directeur. Quelques années plus tard, l’entreprise emploie plus de 170 personnes et s’active à réaliser de grands projets, souvent pour des grandes surfaces, des escaliers aux formes impensables et aux matériaux insolites, des panneaux coulissants surdimensionnés, ou des toits ouvrants. Mais Karim Chaya a plus d’une idée dans son sac et décide, il y a une dizaine d’années, de fonder une petite société, en collaboration ensuite avec l’un de ses élèves designers, Kamal Aoun. Spock Design (inspiré du nom de son chien, lui-même surnommé d’après Mr Spock) voit le jour. « C’était ma façon d’échapper à une entreprise très structurée, d’aborder des projets plus expérimentaux, et de laisser mon imaginaire prendre son envol, libérée de toute commande ou de toute contrainte. »

Le pourquoi du comment

« Le design, pour moi, ressemble à l’art culinaire. On prend des ingrédients, on les mélange, et au final, on offre et on partage. » Karim Chaya est né en 1972 à Beyrouth. Benjamin d’une fratrie de quatre, il évoque ses frères et sœurs ou ses parents avec beaucoup d’affection et de respect. Scolarisé au Lycée de Beyrouth, il était un élève appliqué qui se tirait toujours d’affaire. « J’aimais l’histoire, la philo, la bio et la physique, mais ce qui me turlupinait par-dessus tout, c’était de comprendre le comment du pourquoi : deux molécules d’oxygène et d’hydrogène devenaient de l’eau, et ça, personne n’a jamais réussi à me l’expliquer. » La curiosité et le désir d’aller au fond des choses avaient déjà commencé à germer dans son esprit.

La famille Chaya n’échappera pas aux multiples déplacements que la guerre impose. Tantôt la France, tantôt le Canada. Mais pour lui, partir était toujours synonyme de revenir. « D’ailleurs, j’ai vécu les années de combats sans angoisses ni frayeurs. Mes parents nous ont toujours protégés psychologiquement des affres de la guerre et les heures de jeu étaient sacrées, dans la rue au moment des accalmies, à la maison autour d’un jeu de Lego ou de Meccano, ou à bricoler dans l’atelier de mon père. » Car ce qu’il faut savoir, c’est que chez les Chaya, l’atelier était un lieu incontournable. Pareil à la salle de séjour à laquelle n’échappe aucune demeure libanaise, le père avait consacré une pièce pour en faire un lieu de d’apprentissage et, quelque part, d’éducation. « Aucun outil ne manquait à l’appel et si mon père ne trouvait pas un objet à bricoler, il démontait ou même sabotait pour mieux reconstruire. Et nos pupilles émerveillées renvoyaient des messages à nos petites menottes qui aussitôt s’activaient. On n’achetait jamais de lit, on accompagnait mon père chez le menuisier pour les confectionner nous-mêmes. »

Primé à 10 ans

La magie de la création avait ainsi fait irruption d’une manière précoce dans sa vie, et Karim Chaya évoque non sans émotion le souvenir de son oncle décédé récemment qui a participé au processus de son éducation inventive. « Il était ingénieur et nous communiquait son pragmatisme et son souci de toujours poser un regard scientifique sur nos créations prématurées et audacieuses, mais aussi la nécessité de toujours tout remettre en question. » C’est ainsi que face à un robinet qu’il ne se lassait pas de manipuler, le petit Karim âgé de 10 ans n’hésite pas à le démonter, puis il essaye avec ses petits moyens (pâte à modeler ou pâte à bois) de le remonter. En classe de septième, il obtient un prix et un billet de voyage pour avoir créé un chauffe-eau solaire.

Aujourd’hui, de sa collaboration avec son partenaire architecte, il dit : « Le design et l’architecture, c’est pareil, l’échelle de l’objet dessiné n’a pas d’importance, ce qui compte, c’est la réflexion qui l’accompagne. Parfois, l’objet est en contact avec le corps humain, comme une chaise ou une cuillère, et parfois, il entoure l’humain, comme une maison. Il nous arrive souvent de recevoir des commandes sans en connaître le juste cheminement qui mène à l’aboutissement, mais si tu sais au départ comment faire ce que tu dessines, il n’y a pas d’évolution possible. »

Grand amoureux des voitures anciennes (qu’il achète et qu’il conduit), il a entrepris avec son ami PDG de la marque au Liban de remettre à neuf en customisant une vieille Porsche abandonnée. Sa dernière création au sein de Spock Design est une initiative d’une jeune journaliste française, Anne-France Berthelon, spécialisée dans le design, en collaboration avec un céramiste français, Frederick Gautier. C’est une lampe commanditée par le restaurant Liza à Paris qui, dans le cadre de la foire Paris Design Week, s’occupe de promouvoir le design et la création libanais. La lampe a été réalisée avec un petit clin d’œil à son père, fondateur de Blatt Chaya, en intégrant un carreau de ciment à l’objet

Il n’y a pas de secret, le talent est souvent inné, mais c’est surtout un apprentissage et une éducation. La vocation est un miracle que l’on travaille sur soi-même. Karim Chaya a été à bonne école et ne cache pas son bonheur de pouvoir poursuivre ses idées et d’avoir les moyens de donner forme, mouvement et lumière à des œuvres qui permettent de nouvelles façons d’interagir avec l’espace, donc avec le monde.

Le Big Bang

Tout le monde y était...

1975

Premier voyage en avion. Une Caravelle d’Air France.

1981

Premier tabouret fabriqué chez le menuisier avec ses frères.

1986/87

Premier barbecue, où il a tout préparé lui-même.

1991

La première voiture qu’il a achetée, une Toyota FJ40 Land Cruiser, qu’il a toujours.

1997-2009

Spock, son chien.

2008

Être papa...



Dans la même rubrique

Farid Schoucair, tango avec un stylo Bic

Annie Kurkdjian, le mal par les maux

Tagreed Darghouth, peinture ardente

Kameel Hawa, tout en traits d’union

Nadine Abou Zaki, les arts tous azimuts

De l’empire du Soleil-Levant au règne de Nadim Karam

Le hasard fait souvent bien les choses. Karim Chaya et Raëd Abillama se connaissent depuis l’enfance, se retrouvent sur les bancs de la même université aux États-Unis, à Rhodes Island : l’un pour le design industriel et l’autre pour l’architecture, et décident, de retour au Liban, de travailler à quatre mains et de fonder ACID (pour Abillama, Chaya Industrial Design), une...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut