Né en 1972 à Beyrouth, Farid Schoucair s’était un jour révolté face à ses parents interloqués : « Je suis né 1 000 ans trop tôt. » « Oui, dit-il, j’aurais voulu avoir un vaisseau spatial pour aller à la conquête de tous les soleils cachés et les mondes occultes. » Mais c’est à bord de ses dessins qu’il embarquera un jour pour découvrir qu’il suffit d’un peu d’imagination et de sensibilité pour faire le plus beau des voyages...
Lorsque les stylos à bille Bic apparaissent en 1950, une vraie révolution s’opère dans le monde de l’écriture : il n’est plus nécessaire de transporter porte-plume, buvard et encre pour écrire. Mais c’est seulement en 1965 que les petits écoliers ont le droit de les utiliser à l’école. C’est ce stylo-là qui a obsédé Farid Schoucair toute son enfance. « D’abord, dit-il, sur les bancs de l’école, je me faisais toujours piquer mes stylos à bille. Ensuite, il n’arrivait jamais que je les utilise jusqu’à la dernière goutte! Ils disparaissaient, et de me poser toujours la même question : mais où vont tous les stylos perdus ? » Après une formation en graphic design à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), il ouvre sa propre boîte, ce qui lui permettra d’acquérir de l’expérience et de la maturité. Très attiré par la psychologie cognitive, Farid Schoucair suivra les cours nécessaires pour devenir le plus jeune psychologue de sa promotion. Il s’embarque pour le Canada pour accomplir un master en marketing qu’il se verra contraint d’interrompre lorsqu’il ne pourra pas décliner une offre de la compagnie Nintendo, où il sera en charge du développement de l’image de marque.
Les dimensions de l’esprit
Farid Schoucair est quelqu’un d’entier dont la stature et le discours ne manquent pas d’impressionner son interlocuteur. Sous le couvert d’un écorché vif par des passages difficiles, il reste un grand optimiste qui croit fermement que le monde ira mieux un jour.
L’homme accorde une part importante au dessin. « Quand je devais vider mon esprit, je prenais un Bic et je griffonnais, et mes dessins prenaient une ampleur thérapeutique. C’était un moyen d’accoucher de mes démons, de pouvoir surmonter les frustrations inhérentes à mon pays. » Tous ces croquis qui traînaient sous sa table, Farid Schoucair les désigne comme étant « les dimensions de l’esprit ». Puis vient le jour où l’artiste se lance un défi. « Combien pourrais-je utiliser ce médium seul pour qu’il s’accorde aux réflexions inconscientes ou subconscientes de mon esprit ? » Il décide alors de laisser le stylo à bille le guider. Et la ligne bleue, verte, rouge ou noire prend son envol, se décline en soleil bleu éblouissant, en formes circulaires ou labyrinthiques, en navire sur une mer houleuse, en formes féminines et sensuelles, en un univers merveilleux où le regard plonge et se perd, mais trouve toujours une issue par un hublot, par une porte, par un escalier, par des bulles joyeuses qui fendent un ciel paisible ou sur les ailes d’un aigle royal. « Rien n’est prémédité, dit-il, c’est la ligne qui me tient la main et m’emporte. » Comme ce médium n’admet aucune erreur, aucun retour en arrière n’est envisageable. Le stylo non effaçable comporte en lui le côté illusoire du temps, du moment qui s’écoule et qui ne revient jamais. Chaque ligne tracée génère une autre. Chaque monde créé s’ouvre et se déploie à l’infini. « Je préfère sentir et valider mon sentiment que de penser et de créer un sentiment », assure l’artiste.
Nudité
L’art de Farid Schoucair n’a pas d’âge. Il est tout aussi bien celui de l’enfance émerveillée que celui de l’adulte qui sublime ses douleurs et ses obsessions. Il est ainsi ouvert à tout un chacun pour qu’il y développe son propre imaginaire. Tout est là pour entraîner le visiteur dans l’expérience d’une aventure artistique pleine de surprises, alternant moments de tendresse et de frayeur, de bonheur et d’angoisse, de familiarité et d’inconnu. Un monde qui oscille entre le fantastique ou le naïf, le vécu ou l’onirique. « Il arrive que je me découvre en fonction de ce que les gens voient, et c’est à ce moment-là que je comprends le processus de création.
J’essaie d’exprimer l’amour de la vie sous toutes ses formes, l’amour dont la douleur fait partie intégrante. »
Son art est possédé par l’idée du flux, d’une sorte d’énergie du trait qui confère à ses œuvres une dynamique vitale, voire organique, un côté liquide et fluide qui s’imprime dans l’esprit et le regard du visiteur, bien après avoir achevé le parcours de l’exposition.
Dont on ne ressort pas indemne ! L’univers de l’artiste est en mouvement continuel, c’est un microcosme de ce que l’homme est intrinsèquement, une histoire dans une histoire, telle une mise en abîme, et chaque histoire vibre et interpelle.
L’art de Farid Schoucair est un monde à part qui échappe au piège des mots. Son parcours toujours en quête de renouvellement est si vaste et riche qu’il serait vain de vouloir l’aborder dans toute son ampleur en quelques lignes. Ce qu’il faudrait, c’est l’appréhender avec les yeux… et s’en délecter.
À la galerie Jacques Ouaiss
Achrafieh, Tabaris
Tél. : 03/777177
Jusqu’au 20 octobre 2018
20 octobre 1972
Naissance à Beyrouth
Octobre 1999
A rejoint le DigiPen Institute of Technology, Seattle USA
Février 2002
A lancé, au Liban, sa propre compagnie Element C2
Juin 2005
S’est marié
Oct 2010
A accompli 6 000 tests de capacités cognitives
Juin 2016
Fermeture de Element C2
http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/
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commentaires (1)
Un monde merveilleux, beau, sublime. Un vrai voyage. Merci à l'orient le jour et particulièrement à l'artiste Farid Schoucair
Sarkis Serge Tateossian
09 h 43, le 10 octobre 2018