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Culture - L’artiste de la semaine

Nadine Abou Zaki, les arts tous azimuts

Derrière son allure de rêveuse et son joli minois, se dissimule une militante qui prône l’art à la portée de tous et avant toute chose.

Nadine Abou Zaki. Photo DR

Née en 1975 à Beyrouth, Nadine Abou Zaki est l’aînée de cinq enfants. D’un père journaliste engagé et fondateur d’un magazine et d’un groupe économique, elle retiendra que la pensée engendre l’écriture et que l’écriture transcende la pensée. À l’âge de 7 ans, elle quitte son pays pour poursuivre ses études scolaires en France. La révélation a lieu durant son année de terminale quand elle découvre la philosophie et avec elle la réflexion méthodique fondée sur l’usage de la raison. Plus tard, après avoir obtenu son master en philosophie à l’Université Saint-Joseph, puis son doctorat en philosophie à la Sorbonne Paris IV en 2005, elle couchera ses idées et ses réflexions sur des pages blanches, et en fera des livres parmi lesquels, en 2010, Le lieu et le corps ; en 2012, De femme à homme, et, en 2018, Le journal d’un mûrier. Mais pas que… Lorsque par hasard l’art, sous la forme de la sculpture, se trouvera sur son chemin, elle l’embrassera de toutes ses forces et, son chemin faisant, donnera naissance à une multitude de projets.


Philosophie bien creusée
De son expérience philosophique, elle acquiert un certain savoir essentiellement intellectuel, celui qui nécessite l’effort de la pensée et s’adresse à l’entendement et à la raison, mais reste dans l’abstrait. Nadine Abou Zaki parvient à le relier à l’art, celui qui s’adresse à la sensibilité et relève uniquement du sensible et du plaisir.

La gageure étant de ne pas tomber dans le piège qu’une notion (les pensées philosophiques) assujettisse l’autre (l’art) ou de créer une dépendance de l’une par rapport à l’autre. Nadine Abou Zaki réussit à préserver l’autonomie et la valeur propre de chacun en réussissant le pari qu’ils deviennent complémentaires et constructifs. « Pour moi, dit-elle, le monde de l’art et celui de la philosophie ne sont pas séparés et plus je m’engage dans les méandres de l’un et plus je retrouve l’autre. Tout mon travail de sculpture est lié à mes réflexions philosophiques et plus je me pose des questions, plus je creuse dans la pierre et plus mes idées se libèrent. » Pour elle, la pensée et les émotions se reflètent à travers les mots et à travers la matière. Et Abou Zaki d’ajouter : « La matière nous fait voyager vers l’immatériel, vers ce qu’il y a au-delà de la matière. » Mais ce voyage, elle n’a pas voulu le faire seule. C’est ainsi qu’après avoir longtemps travaillé aux côtés des plus grands sculpteurs, Aref Rayess, Mona Saoudi et Sami Rifai, Nadine Abou Zaki décide de se lancer dans sa première aventure. Elle réalise des sculptures dans une pièce complètement obscure laissant ses pensées diriger ses mains et son sens tactile l’emporter sur celui visuel. Mais elle ira encore plus loin. De cette exposition qu’elle nommera Please don’t touch, « elle invite le public à pénétrer la pièce obscure et à laisser les phalanges caresser ses pensées. « Je voulais, dit-elle, bousculer le tabou du Please don’t touch dans les musées et créer de nouveaux codes de l’art, il n’était plus visuel, il devenait tactile. » Et comme une pensée philosophique entraîne l’autre, un projet dicte le prochain. Elle décide de collaborer avec des danseurs et des musiciens. Les corps enveloppés de tissu étaient devenus les sculptures en mouvement, et l’art devenait mobile. Cette performance sera présentée durant trois années consécutives.


Et si l’on renversait les poubelles ?
La crise des déchets battait son plein… Plutôt que de se lamenter et de poser la question « mais où va-t-on ? », Nadine Abou Zaki décide d’utiliser cette cause à bon escient. Please touch the trash voit le jour en collaboration avec sept écoles et 1 200 élèves qui devaient transformer le très laid en plutôt beau. Des murs entiers dans les cours d’école se verront pousser des arbres en canettes écrasées, mégots de cigarettes et autres détritus. Une école ira même jusqu’à habiller sa façade principale d’une œuvre monumentale. « Je me penchais, avoue l’artiste, sur les nouvelles technologies et leur capacité de changer notre rapport au temps et à l’espace. Je réalisais que grâce à l’art, on pouvait voyager sans prendre l’avion et communiquer sans prononcer une syllabe. Cette expérience interactive me fait réaliser combien il était important de sensibiliser la jeunesse à l’art. » Et voilà l’artiste qui se lance dans la création d’une ONG, Red Oak, créée en 2017 et qui n’arrêtera plus d’innover. Avec Zeid Hamdane, ils décident de monter un orchestre avec les enfants qui transforment tout objet trouvé dans une poubelle en instrument de musique, et voilà que le son intervenait.

L’initiative la plus audacieuse de Nadine Abou Zaki reste celle où, avec l’aide du ministère de la Culture et en partenariat avec le musée Omero – musée tactile fondé par un non-voyant –, elle invite trois grands musées libanais, le musée national, le musée Sursock et le musée libanais Macam, à mettre des œuvres à disposition des non-voyants. Certaines sculptures, mosaïques, pièces archéologiques pourront ainsi être visitées des mains, les toiles seront adaptées de façon à pouvoir être ressenties au toucher. On ouvre les portes à l’art pour tous, d’où le nom du projet : Doors please touch. L’inauguration est prévue le 29 octobre 2018 en présence du président du musée Omero. Pressée de dire quel est votre philosophe préféré, Nadine Abou Zaki assure qu’elle est « plutôt platonicienne ». Une réponse que l’on aurait pu deviner si l’on connaît un tant soit peu ce grand philosophe grec pour qui la philosophie c’est s’interroger sur la condition humaine, sur le sens de la vie, sur l’origine de l’univers et sur sa nature. Platon sondait nos préjugés à propos de la réalité quotidienne, Nadine Abou Zaki cherche à savoir quel est le fond des choses et invite l’homme à prendre une distance salutaire, en permettant de voir avec lucidité le réel qui l’entoure, ce qui est réellement réel, au-delà des apparences immédiates.

Nadine Abou Zaki donne une représentation de « Journal d’un mûrier » demain samedi 15 septembre au Hammana Artist House, à 19h. Billets à la librairie Antoine.


1975

Naissance à Beyrouth.

2004

Participe au XXIVe Salon d’automne du musée Sursock.

2006

Introduction aux « Épîtres de la Sagesse, l’ésotérisme druze à la lumière de la doctrine de

Çankara » – L’Harmattan, Paris.

2009

Prix international de la laïcité, par le comité de la laïcité républicaine, Paris City Hall, France.

2014

« Please don’t touch », performance et sculpture interactive, Agial

Gallery – Station, Beyrouth.

2016

Chevalier dans l’Ordre des palmes académiques, ministère français de l’Éducation nationale.

2017

« The Diary of a Mulberry Tree », performance, théâtre al-Madina, Beyrouth.

2017

« Up-cycling for Hope », un projet street art en partenariat avec l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et le ministère libanais de l’Éducation.


http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/



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