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Idées - Nucléaire iranien

Trump est passé à côté de l’essentiel : maîtriser les tensions régionales

Donald Trump à la Maison-Blanche, à Washington, le 8 mai 2018. Photo Saul Loeb/AFP

Grâce à Donald Trump, l’accord âprement négocié en 2015 à Vienne entre l’Iran et le groupe du P5 + 1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne), qui a permis d’instaurer un processus pour mettre fin au programme d’armement nucléaire iranien, est désormais à l’agonie. Après des semaines de démarches ou visites de ses homologues des autres États signataires pour l’en dissuader, Trump a annoncé mardi que les États-Unis se retireraient de l’accord et réimposeraient les sanctions levées dans ce cadre. Dès lors, en dépit de la volonté des autres signataires de le sauvegarder, sa survie paraît difficilement envisageable.

Trump ayant passé des années à déclarer que cet accord était le « pire jamais négocié » par son pays, sa décision de retrait n’est pas étonnante, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas choquante. Certes, l’accord contient de nombreuses lacunes : d’abord ses dates d’extinction – de 10 à 25 ans après son adoption, selon les activités concernées – ne permettent pas de répondre aux préoccupations à plus long terme sur le programme nucléaire militaire (or Téhéran est réputé pour sa capacité à jouer sur le temps long…) ; ensuite, il ne limite pas la capacité du pays en matière de missiles balistiques ; enfin, et peut-être surtout, il n’a pas permis d’endiguer l’attitude de l’Iran au Moyen-Orient. « L’Iran se comporte mal, a tendance à développer des missiles balistiques intercontinentaux. Nous devons contrecarrer ce que l’Iran fait dans la région. Nous devons être plus durs », avait ainsi affirmé lundi le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, sur un talk-show de la chaîne américaine Fox News – dont Trump est réputé être un téléspectateur fidèle. Pour autant, il a aussi exhorté les États-Unis à ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Un plaidoyer qui, comme celui de la plupart des autres dirigeants du monde, est tombé dans l’oreille d’un sourd…


(Lire aussi : Pourquoi les Iraniens ont baissé le ton)


Le jeu de Riyad et Tel-Aviv
Du coup, quelles vont être les conséquences diplomatiques de cette décision de déchirer l’accord ? D’abord, force est de constater qu’elle fait le jeu de l’Arabie saoudite et d’Israël. Elle va également attiser des tensions déjà vives à travers le Moyen-Orient, déversant de l’huile sur les feux bellicistes en Syrie, au Yémen, en Irak, au Liban et au-delà...

Les belligérants des différents conflits qui ont essaimé ces dernières années dans la région relèvent grosso modo sont de deux camps distincts : le camp pro-iranien structuré autour de Damas, de Bagdad, du Hezbollah et de toute une série d’acteurs non étatiques ; et celui structuré autour de la plupart des monarchies du Golfe et de l’Égypte. Chaque confrontation est vue par les deux camps comme une opportunité pour refaçonner l’ordre régional en leur faveur, mais ce faisant, accroissant ainsi les risques d’erreur, de mauvais calcul ou de catastrophe. La rivalité irano-saoudienne n’est par ailleurs pas la seule à jouer un rôle central dans la formation du Moyen-Orient contemporain : celle opposant Téhéran à Israël – dont Riyad cherche d’ailleurs à se rapprocher – aux États-Unis reste toujours structurante.

Le débat autour de la signature et du maintien de l’accord de Vienne porte tout autant sur l’évolution des rapports de force entre ces différents camps que l’accord lui-même. Washington, Riyad et Tel-Aviv s’inquiètent depuis longtemps du développement d’une arme nucléaire iranienne, mais le problème à court terme concerne le comportement de Téhéran en Syrie, au Bahreïn, en Irak, au Yémen et au Liban, où il capitalise sur des schismes internes pour les exploiter. Tant que l’Iran se sentira libre de continuer à agir ainsi, les conflits cauchemardesques en Syrie et au Yémen seront encore plus difficiles à résoudre.


(Lire aussi : Moscou, arbitre de facto entre l’Iran et Israël)


Escalade des tensions
Mais c’est sans doute dans la réponse israélienne au défi posé par Téhéran que résident les préoccupations majeures. L’Iran a tenté de surmonter ses enjeux géopolitiques en développant sur influence sur des territoires situés bien au-delà de ses frontières souveraines. Cette capacité d’influence est certainement un objectif stratégique clé, mais ce faisant, Téhéran s’insère directement dans l’équation sécuritaire israélienne.

Depuis la révolution de 1979, Israël considère la République islamique d’Iran avec une grande appréhension. Au fur et à mesure que les inquiétudes concernant les aspirations nucléaires iraniennes augmentaient, la rhétorique anti-iranienne des dirigeants israéliens suivait la même trajectoire. Personne n’a oublié les propos tenus par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu devant le lobby israélien aux États-Unis (Aipac) en mars 2012 : « Si ça ressemble à un canard, si ça nage comme un canard et si ça cancane comme un canard, alors qu’est-ce ? C’est qu’il s’agit sans doute d’un canard. Mais, ce canard-ci est un canard nucléaire. »

Plus récemment, Tel-Aviv a produit un dossier censé démontrer que Téhéran avait menti pendant les négociations qui ont abouti à l’accord de Vienne. Surtout, Israël a déjà instauré des précédents en matière de frappes préventives contre ce qu’il perçoit comme une menace sérieuse pour sa survie, en témoignent celle du réacteur irakien d’Osirak en 1981 ou celle contre un réacteur nucléaire syrien dans la région de Deir ez-Zor en 2007 (et officiellement assumée en mars dernier). Si l’accord s’effondre et que l’Iran redémarre son programme nucléaire, des frappes similaires ne sont certainement pas à exclure.

Par conséquent, si l’accord devenait totalement caduc, les tensions à travers le Moyen-Orient pourraient dégénérer à un niveau dangereux : les divers fronts en Syrie n’en deviendraient que plus meurtriers tandis que l’Iran redoublerait d’efforts pour préserver son influence sur son « corridor terrestre vers la Méditerranée » (et, par extension, vers Israël…).

En fin de compte, Trump est passé à côté de la pierre angulaire du plaidoyer de ses homologues pour le maintien de l’accord : il s’agissait tout autant de limiter la latitude dont dispose l’Iran pour fabriquer une arme nucléaire que de maîtriser les tensions au Moyen-Orient et d’empêcher une nouvelle guerre désastreuse. Une éventualité qui devrait désormais donner quelques nuits blanches aux diplomates du monde entier...


Ce texte est la traduction, revue par l’auteur, d’un article publié en anglais sur l’édition américaine du site "The Conversation".


Simon Mabon est professeur de relations internationales et directeur du Richardson Institute de l’Université de Lancaster (Royaume-Uni)


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IL VEUT ATTISER LES TENSIONS AU M.O. POUR FINIR AVEC LES PROVOCATEURS PERSIQUES !

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 50, le 13 mai 2018

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Commentaires (1)

  • IL VEUT ATTISER LES TENSIONS AU M.O. POUR FINIR AVEC LES PROVOCATEURS PERSIQUES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 50, le 13 mai 2018

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