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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Pourquoi les Iraniens ont baissé le ton

Téhéran souhaite, pour l’instant, éviter l’escalade avec Israël.

Le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, hier au Salon du livre de Téhéran. Photo AFP

Il semble loin le temps des discours triomphalistes annonçant la victoire de l’axe pro-iranien dans toute la région. C’était il y a quelques mois seulement, pourtant. L’Iran et son obligé libanais considéraient qu’ils avaient gagné la guerre en Syrie, et se félicitaient, non sans une certaine arrogance, de la formation d’un corridor chiite reliant Téhéran à la Méditerranée, en passant par l’Irak, la Syrie et le Liban. Même le président iranien Hassan Rohani, censé représenter la branche modérée du régime, avait vanté en octobre dernier « l’importance de la nation iranienne dans la région qui est plus forte qu’à toute autre période ».

Face à la menace de l’éclosion d’un axe anti-iranien Washington-Riyad-Tel-Aviv, Téhéran bombait alors le torse. Alors qu’il cristallise aujourd’hui toutes les tensions régionales, il fait désormais profil bas. Du moins pour le moment. Les manifestations contre le pouvoir au mois de décembre dernier, la sortie américaine de l’accord nucléaire iranien, la chute de la monnaie iranienne ou encore la détermination israélienne à l’empêcher de s’installer militairement en Syrie sont passées par là. Menacé sur plusieurs fronts, le régime iranien semble considérer qu’il a intérêt, au moins dans un premier temps, à baisser le ton. D’une part pour tenter de sauver l’accord nucléaire, de l’autre pour éviter une guerre directe contre Israël qui, dans ce contexte, lui serait extrêmement coûteuse.


(Lire aussi : L’affrontement israélo-iranien est-il inévitable ?)


 Au lendemain des frappes les plus importantes réalisées par Israël contre l’Iran, la République islamique a choisi d’opter pour la diplomatie. Au lieu de répondre comme à l’accoutumée, notamment via le Hezbollah, par des menaces de représailles, Téhéran cherche vraisemblablement à éviter l’escalade. L’État hébreu a réalisé dans la nuit de mercredi à jeudi des dizaines de raids contre des sites iraniens en Syrie, détruisant, selon le ministre israélien de la Défense Avigdor Lieberman, « toutes les infrastructures iraniennes en Syrie ». Sans mentionner directement l’offensive israélienne, le président Hassan Rohani avait joué l’apaisement dès jeudi en déclarant que l’Iran ne cherchait pas « de nouvelles tensions ». Dans le même temps, le Hezbollah déclarait que la stabilité intérieure au Liban était sa « priorité ».

« Les attaques répétées du régime sioniste contre le sol syrien ont été menées sous des prétextes inventés qui sont sans fondement », a réagi enfin officiellement hier le ministère des Affaires étrangères, dans un ton là encore inhabituellement modéré. S’ils en doutaient encore, les Iraniens ont pu constater à quel point les Israéliens étaient résolus à contrecarrer leur projet d’implantation en Syrie. L’État hébreu semble prêt à faire la guerre pour parvenir à ses fins. Il bénéficie clairement du feu vert de Washington, dans un contexte où l’Iran est mis sous pression par les risques d’un déchirement de l’accord nucléaire. L’Iran n’est pas prêt, pour l’instant, à faire cette guerre. Sa volonté de sauver l’accord nucléaire l’oblige à privilégier la voie diplomatique afin de convaincre les autres cosignataires de son sérieux et de faire porter la responsabilité de l’échec sur les épaules américaines. C’est pour parvenir à cet objectif que le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif va entamer samedi une tournée à Pékin, Moscou et Bruxelles.


(Lire aussi : Lieberman à Assad : Mettez les Iraniens dehors)



Ne fermer aucune porte
La signature du JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) en juillet 2015 avait été largement célébrée par les Iraniens, dont l’économie était étouffée par les sanctions. La perspective d’un rétablissement des sanctions, alors que la situation économique ne s’est pas améliorée et que la population a largement manifesté depuis son mécontentement, n’augure rien de bon pour le pouvoir, en particulier pour le camp modéré du président Rohani qui avait tout misé sur cet accord. 

Les conservateurs qui n’ont eu de cesse de vilipender le JCPOA, notamment pour des raisons tactiques, devraient profiter de cette atmosphère pour accroître leur pouvoir. À leur appel, des milliers de personnes ont manifesté hier à Téhéran en brûlant des drapeaux américains et en lançant des slogans anti-israéliens. La colère du camp des durs semble toutefois être contenue pour l’instant par la volonté du guide suprême de tenter le pari diplomatique ou au moins de ne fermer aucune porte. Il est en effet impossible que les déclarations de M. Rohani affirmant que l’Iran était prêt à rester dans l’accord nucléaire, malgré le retrait américain, n’aient pas été validées en amont par l’ayatollah Khamenei. Ce dernier joue pour l’heure la carte diplomatique avec Rohani, sans pour autant renoncer, en cas notamment d’échec du plan de sauvetage du  JCPOA, à laisser une plus grande marge de manœuvre aux gardiens de la révolution, en première ligne en Syrie. 


(Lire aussi : Dans une déclaration historique, Bahreïn soutient « le droit d’Israël à se défendre »)


Sa présence sur de multiples fronts (Irak, Syrie, Gaza, Yémen) ainsi que sa capacité à s’immiscer dans le tissu socio-politique, par la voie communautaire, des pays concernés sont le principal atout iranien, bien davantage que ses infrastructures. C’est ce qui fait réellement de la République islamique une grande puissance dans la région, et ce qui sera le plus difficile pour ses adversaires à endiguer. Mais l’accroissement de l’influence iranienne, qui a été relativement confirmée par les résultats des élections libanaises et qui devrait l’être également durant les élections irakiennes à venir ce week-end, est loin de faire l’unanimité. Contestée par Israël, par l’Arabie saoudite et par les Occidentaux, la présence iranienne en Syrie n’est pas acceptée par les grands acteurs de la région. Même la Russie, partenaire de l’Iran dans le renflouement du régime syrien, semble ne pas s’émouvoir d’un affaiblissement de Téhéran sur son terrain de prédilection. En témoigne son accord tacite vis-à-vis des frappes israéliennes. Le président syrien Bachar el-Assad, qui ne pourra pas fermer le chapitre de la guerre tant que les Iraniens seront la cible des attaques israéliennes, pourrait être tenté de faire le même pari. L’Arabie saoudite en mars dernier, via le prince héritier Mohammad ben Salmane, et Israël, par la voix d’Avigdor Lieberman hier, ont adressé le même message au président syrien : on peut s’accommoder de ta présence, mais pas de celle des Iraniens. Il est donc dans ton intérêt de t’en éloigner. Reste à savoir si le message a été entendu…


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commentaires (13)

Il faut faire attention a la ruse Perse, il faut cesser de donner de l'argent au Hezbollah et affamé son peuple et assez dire l'unité du Liban, je pense il faut un autre Alexandre le Grand peut-être Trump?

Eleni Caridopoulou

10 h 44, le 13 mai 2018

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Commentaires (13)

  • Il faut faire attention a la ruse Perse, il faut cesser de donner de l'argent au Hezbollah et affamé son peuple et assez dire l'unité du Liban, je pense il faut un autre Alexandre le Grand peut-être Trump?

    Eleni Caridopoulou

    10 h 44, le 13 mai 2018

  • Hahaha Poutine leur a dit de se calmer car ils n’allaient pas faire poids surtout quoi leur a dit qu’il n’allait pas les aider

    Bery tus

    22 h 59, le 12 mai 2018

  • Parce qu'ils ont les jetons ...

    Remy Martin

    20 h 33, le 12 mai 2018

  • Et une dernière chose si on me permet de revenir sur cet article , la Russie qu'on critique pour avoir été mise au courant de l'agression et à qui on reproche de ne plus parler des S300 à livrer à la Syrie, je leur dirai de patienter et de garder en mémoire qu'il n'y a pas de "free lunch" . Attendons l'addition que Poutine, l'homme fort du monde actuel va présenter aux usurpateurs et à leurs allies.

    FRIK-A-FRAK

    13 h 50, le 12 mai 2018

  • LE PLUS SYMPA DANS TOUT CELA EST LA DECLARATION RUSSE, NIANT CATEGORIQUEMENT AVOIR JAMAIS PRIS LA DECISION DE POURVOIR LE REGIME SYRIEN DES MISSILES S 300 ! de quoi foutre en l'air 2 reactions datant du moment ou on publiait cette "promesse: 1- les differents decrypteurs, analystes, journalistes, politiques, medias sociaux et autres QUI DEJA , criaient victoire et MENACAIENT ISRAEL DE TOUS LEURS FOUDRES 2- les syrien eux memes pour des raisons evidentes - je ne veux pas etre mechant !

    Gaby SIOUFI

    12 h 32, le 12 mai 2018

  • On aimerait bien voir l'intégrité et l'avenir du Liban défendue avec tant d'enthousiasme et acharnement de la part de ses propres citoyens...! Irène Saïd

    Irene Said

    12 h 31, le 12 mai 2018

  • Et pour rester fidèle à une information plus juste , faut pas oublier que cest le videur de boite de nuit Lieberman qui a , le 1er, DÉCLARÉ ne pas vouloir d'escalade. Merci de rectifier .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 43, le 12 mai 2018

  • Le gros problème des ennemis de l'Iran NPR, c'est pas sa force militaire qui fait ses preuves chaque jour que DIEU fait, c'est tout simplement l'intelligence de ses dirigeants de l'axe de la résistance. Je ne sais pas si on se rend compte du nombre de fois " qu'on a jubilé " sur un semblant de victoire et que très vite "on" a déchanté. Les capacités de l'axe sont énormes, c'est pas des frappes par ci et par là qui y oterait quelque chose à l'ancrage régionale. Bon week-end les enfants.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 30, le 12 mai 2018

  • ""Téhéran souhaite, pour l’instant, éviter l’escalade avec Israël"" et préfèrent instrumentaliser leurs hommes liges. Que de gesticulations, de fanfaronnades...

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 45, le 12 mai 2018

  • On a vraiment pitié de ces enturbanés de noir, à Téhéran et ici au Liban, emprisonnés dans leurs théories et croyances obscurantistes, incapables de raisonner autrement que: guerres, menaces, dominer ou même éliminer ceux qui pensent autrement, quitte à faire payer leur adeptes en destructions, morts et conséquences économiques désastreuses. Ils lisent "Fire and Fury" de Michael Wolff...et font exactement la même chose...mais à l'iranienne, BRAVO ! Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 10, le 12 mai 2018

  • L’Iran veut surtout gagner du temps, digérer et réparer tous les dégâts matériels et morales à la suite de frappes israéliennes sans précèdent. On ne discute pas diplomatiquement quand on est en position de faiblesse (voir l’exemple de la Corée du Nord) et ce ne sont pas des élections truquées qui font de l’Iran une grande puissance.

    Aref El Yafi

    08 h 40, le 12 mai 2018

  • LES DECULOTTAGES AYATOLLAHIENS ONT COMMENCE ! TOUTE DEFLAGRATION EN SYRIE ET AU LIBAN SERAIT TRANSPORTEE ILLICO EN IRAN MEME ! ISRAELIENS ET AMERICAINS Y SONT D,ACCORD ! LEUR BUT : DERACINER LA PIEUVRE PERSE DE CES DEUX PAYS EN LUI COUPANT SES TENTACULES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 03, le 12 mai 2018

  • Analyse réaliste et rassurante pour le Liban... On réalise la limite de l’arrogance des Iraniens qui voulaient jouer à l’éléphant menaçant dans la région, mais qui semble être aux pieds d’argile, montrant sa fragilité et ses contradictions face aux menaces israéliennes et occidentales. Finalement, la vulnérabilité de l’Iran viendrait carrément de l’intérieur, en tant que menaces sociales et économiques majeures, mettant en doute ses capacités de se lancer dans une guerre totale qui serait dévastatrice... C’est pourquoi on assiste à une baisse de ton guerrier et ils semblent faire profil bas et essayer la carte diplomatique où on entend même le Hezbollah, de manière assez hypocrite, déclarer que la stabilité du Liban était sa priorité. Espérons que cette analyse nous permettra d’ espérer que le Liban pourrait être maintenu en dehors de ce conflit, mais pour combien de temps?

    Saliba Nouhad

    04 h 58, le 12 mai 2018

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