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Idées - Commentaire

Quand l’Iran et Israël testent les codes de leur dissuasion mutuelle

Quand l’Iran et Israël testent les codes de leur dissuasion mutuelle

Il s’agit de la première attaque directe jamais menée par la République islamique contre le territoire israélien. Photo d’archives AFP

Comment analyser le duel auquel se sont livrés l’Iran et Israël, à la suite de l’élimination par une frappe israélienne de plusieurs hauts gradés des gardiens de la révolution réunis au consulat iranien à Damas le 1er avril 2024 ?

Téhéran a cru devoir cette fois réagir, car il constatait que la prudence relative dont il avait fait preuve jusqu’ici encourageait les Israéliens à s’en prendre de plus en plus à ses intérêts en Syrie et ailleurs. Il a fait le choix de briser un tabou en « désanctuarisant » le territoire israélien ou contrôlé par Israël à partir de son propre territoire par son opération spectaculaire du 14 avril : plus de trois cents missiles et drones, sans beaucoup d’impact puisque interceptés à plus de 99 % par la défense d’Israël ou celle de ses alliés dans la région. À n’en pas douter, les Iraniens ont été déçus par la contre-performance de certains de leurs engins – les missiles balistiques en particulier –, mais leur offensive à grand spectacle – que l’on songe au ciel en feu au-dessus du dôme du Rocher – n’en était pas moins « calibrée » pour ne pas faire beaucoup de dégâts. Il s’agissait sans doute ainsi d’éviter une rétorsion trop violente de la part de l’État hébreu.

Avantage israélien

De ce point de vue, l’opération était assez bien calculée : la réaction israélienne a consisté à son tour à « désanctuariser » le territoire iranien, mais de façon suffisamment limitée pour ne pas justifier une contre-riposte. Israël et Iran ont en quelque sorte testé le code d’une relation dissuasive entre un État nucléaire (non déclaré) et un État dit « du seuil ». On peut soutenir qu’Israël a pris l’avantage à la fois sur la défensive (efficacité du Dôme de fer israélien, impuissance de la défense iranienne) que sur le plan offensif : ses frappes ayant atteint des installations militaires dans la région d’Ispahan, à proximité d’installations nucléaires cruciales, adressaient le message clair que son armée pourrait faire beaucoup plus mal le cas échéant.

Quelles leçons Téhéran va-t-il tirer de cet épisode ? Sans doute le régime des mollahs va-t-il dans l’immédiat éviter de prendre trop de risques, mais les partisans du passage à l’arme nucléaire ont probablement marqué des points dans le débat interne au sein des cercles dirigeants. Deux autres facteurs jouent dans le même sens : l’isolement de l’Iran dans la région, qu’a illustré la part non négligeable prise par la Jordanie et d’autres États arabes modérés dans l’interception des missiles iraniens le 14 avril ; et l’actuelle posture de la Russie, dépendante du flux d’armes en provenance de l’Iran et donc peu encline à s’opposer à la marche de ce pays vers la bombe. Dans le même temps, l’Iran garde intact son réseau de milices alliées dans la région, dont le Hezbollah constitue le fleuron.

Du côté d’Israël, on ne sait si le « calibrage » de sa riposte à la riposte, le 19 avril, a résulté d’un savant calcul ou d’un « deal » avec Washington. Sans doute un peu des deux. L’administration Biden souhaitait avant tout éviter un embrasement de la région. Il se dit que Benjamin Netanyahu a échangé le caractère limité de l’attaque israélienne du 19 contre un feu vert de Washington sur une offensive contre Rafah, quartier par quartier pour limiter les conséquences humanitaires (mais qu’est-ce que cela veut dire ?). Cette hypothèse est d’autant plus vraisemblable que le Hamas a refusé – de manière synchronisée avec l’attaque iranienne – la dernière tentative de trêve effectuée par les États-Unis, l’Égypte et le Qatar. Et que de surcroît, les Israéliens peuvent se sentir renforcés par la solidarité dont ont fait preuve avec eux face à l’Iran leurs alliés occidentaux et leurs potentiels alliés dans la région, dont il est clair qu’ils restent attachés à leur objectif de normalisation avec l’État hébreu.

Dilemme irrésolu

Dans ces conditions, quelles leçons tirer pour l’avenir des huit jours – entre le 14 et le 19 avril – qui ont fait trembler le Proche-Orient ?

Premièrement, on voudrait croire qu’une forme de dissuasion a été rétablie entre Israël et l’Iran, mais rien n’est moins sûr. Si l’on se focalise sur le seuil à partir duquel une attaque sur un territoire a priori sanctuarisé ou quasi sanctuarisé devient une option, ce seuil a été de part et d’autre abaissé. S’il est exact par ailleurs que les partisans de la bombe à Téhéran sortent renforcés, la tentation de la prolifération sera également plus forte chez les Saoudiens et d’autres, sans que l’on puisse assurer que des politiques de non-prolifération plus robustes soient mises en œuvre par les Occidentaux et leurs alliés.

La deuxième leçon est que l’Amérique fait ainsi son grand retour dans la région, mais sa capacité d’influence reste très relative. La Russie se frotte les mains à la perspective de tensions prolongées, qui continueront de distraire l’attention de sa guerre d’agression en Ukraine. La Chine n’a pas été loin de soutenir le narratif iranien de la « légitime défense ». Le Sud global risque de voir dans le soutien occidental à Israël contre l’Iran un nouvel exemple de « deux poids, deux mesures » des Occidentaux. C’est cet ensemble de facteurs qui devrait déterminer la politique des États qui veulent l’apaisement.

Enfin, la balle reste dans le camp israélien. Le gouvernement de Netanyahu ne va pas changer de posture au moins jusqu’à l’élection présidentielle américaine. Les chances d’une trêve s’éloignent. Israël va courir le risque d’un enlisement à Gaza, synonyme de conséquences humanitaires – mais aussi politiques – effrayantes. Il n’a résolu ni le dilemme de ses otages ni celui de sa sécurité sur le front nord. Tout cela conduit à des perspectives de nouvelles secousses dans la région, y compris au Liban. Il serait plus que temps qu’une coalition États-Unis-Europe-régimes arabes modérés prenne en charge non pas la préparation du « jour d’après », mais bien la définition – et la mise en œuvre sans délai – d’une sortie de crise.

Par Michel DUCLOS, ancien ambassadeur, conseiller spécial géopolitique et diplomatie à l’Institut Montaigne (Paris). Dernier ouvrage paru : « Diplomatie française » (Humensis, 2024).

Comment analyser le duel auquel se sont livrés l’Iran et Israël, à la suite de l’élimination par une frappe israélienne de plusieurs hauts gradés des gardiens de la révolution réunis au consulat iranien à Damas le 1er avril 2024 ? Téhéran a cru devoir cette fois réagir, car il constatait que la prudence relative dont il avait fait preuve jusqu’ici encourageait les...

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