
Hugo Danaguezian, heureux devant son restaurant Maz Mez. Photo DR
Les adeptes d’Instagram et de cuisine ont pu suivre sur le compte @pari_beyrouth la genèse palpitante de l’ouverture du restaurant Maz Mez qui aura lieu dans quelques jours, à deux pas de la place de la République. Entre les toilettes « les plus stylées de France », les carreaux de ciment, la quête du parfait bartender ou les arcanes d’un aménagement écoresponsable, Hugo Danaguezian a multiplié les récits les plus insolites sur les réseaux sociaux. Le tout parsemé de créations culinaires innovantes, de la moghrabiyé forestière aux artichauts gremolata, en passant par une fraisaliyé détonante. Clairement, le jeune chef s’amuse avec les saveurs et avec les traditions, et ça marche !
C’est dans la bonne humeur et non sans humour qu’il a mené et partagé le long processus de la création de son restaurant qui se veut insolite à bien des égards, en s’entourant d’une équipe à son image, jeune, qualifiée et, surtout, qui ne se prend pas trop au sérieux. Dans ses vidéos comme dans son restaurant, le trentenaire garde le même allant, la même spontanéité et le même enthousiasme pour raconter l’histoire d’un rêve parisien qui a émergé… à Mrouj. « Mon père a grandi à Antélias, dans la communauté arménienne du Liban, il est parti en 1978. Nous y passions tous les étés dans notre maison familiale, et je garde de nombreux souvenirs de repas où nous étions tous rassemblés. Des moments qui se prolongeaient et dont j’adorais l’ambiance toujours très festive. Nos retrouvailles autour de la table m’ont fait aimer les repas en général, et dès 10 ans, je savais que je voulais en faire mon métier », raconte Hugo Danaguezian.
L’ouverture officielle de Maz Mez aura lieu le 15 février. Photo DR
« Avant mes trente ans, j’ouvrirai mon propre resto »
Bon élève, le futur chef, qui grandit dans le Beaujolais, s’oriente vers une école de commerce. « Mes parents aimaient faire de grandes réceptions avec leurs amis, raconte-t-il, j’ai vite été engagé comme commis, et petit à petit je montais en compétence, je faisais les épluchages, les découpages, puis je roulais les kafta… J’ai fait mes études avec un pincement au cœur, je savais déjà que c’était à travers la cuisine que j’allais donner le meilleur de moi-même et m’épanouir. Je me suis juré qu’avant mes 30 ans, j’ouvrirais mon propre resto. » Sans surprise, un de ses premiers stages a lieu chez Ladurée, à Paris. « C’était en 2015, on m’avait pris pour une mission qui devait recenser les allergènes dans les différentes recettes, ce que j’ai exécuté rapidement. Ce travail m’a permis de m’intéresser aux différents aspects de l’établissement. En découvrant les codes très stricts du milieu, j’ai compris que je ne voulais pas vivre comme ça, je voulais pouvoir aller travailler en jogging, même si je n’en mets jamais ! » poursuit-il avec fougue. Il enchaîne ensuite différents métiers dans les nouvelles technologies, chez Microsoft, dans des boîtes de logiciels, puis chez Amazon, à Londres. « Mais je recevais beaucoup, je peaufinais mes recettes en les servant à mes amis. Et puis un jour, j’ai eu le choix entre évoluer professionnellement aux États-Unis, ou… me lancer tout seul dans ce que j’aimais. J’ai foncé sur la seconde option ! J’étais heureux d’habiter à Paris, j’aime son effervescence et sa poésie », explique-t-il, sans se voiler la face sur les difficultés afférentes.
« La recherche du local a duré plus d’un an, je ne connaissais pas les codes du métier, et j’ai souvent péché par naïveté… En parallèle, j’ai lancé mes chaînes sur les réseaux sociaux, où je documente tout le processus du projet. Et j’ai compris ce qui, en fait, animait ma démarche : une histoire à raconter autour de la diaspora, et les héritages mêlés qu’elle implique. Cela parle à beaucoup de gens en France, issus de la deuxième génération. Ils vivent le pays de leurs parents à travers les vacances : par le récit, ils se réapproprient leurs origines et en font quelque chose d’un peu différent. Instagram correspondait au départ à une stratégie de communication, et c’est devenu une passion qui a dépassé ce que j’attendais », confie humblement le jeune homme. « Je parle avec le cœur, et cette authenticité plaît aux gens. Je ne vais pas dire que je suis un grand chef renommé, mais je suis passionné par la cuisine et j’ai plein d’histoires à raconter ! » renchérit-il.
La superbe fresque de Raphaëlle Macaron imprimée sur du papier peint et qui décore les toilettes du restaurant. Photo DR
Maz Mez, une histoire d’ambiances
Les murs de Maz Mez racontent les valeurs d’Hugo Danaguezian. L’aménagement a été confié à une jeune société lyonnaise d’écoconception. Aux fenêtres, des rideaux constitués de chutes de tissus créés par l’artiste marseillaise Sybille Berger, en rouge et vert, aux couleurs du Liban. Au sol, des tomettes du Beaujolais récupérées dans un manoir en rénovation, et des carreaux en ciment à la libanaise, disposés en carrés colorés. « On a fait appel à des artistes diversifiés, dont l’illustratrice libanaise Raphaëlle Macaron, qui a dessiné une fresque que l’on a imprimée sur du papier peint. Elle va du sol au plafond, dans les toilettes. Elle avait carte blanche : elle y raconte le Liban, le fait de partir, revenir, le lien qu’on entretient avec le pays à travers la cuisine, le soleil, l’été, les vacances. Je l’ai découverte le jour de l’installation, et le résultat est vraiment magnifique. On a aussi travaillé avec Guillaume Credoz et sa société Post Industrial Crafts. Libanais de cœur, marié à une Libanaise, il nous a confectionné des luminaires en plastique recyclé et une moucharabié », explique l’ancien spécialiste de nouvelles technologies. « J’ai envie d’ajouter des photos de mes deux familles, notamment mon grand-père qui tenait une bijouterie et un salon de coiffure à Antélias. Le resto est truffé d’artefacts chinés par des amis, qui évoquent l’art libanais, en verre ou en métal. Je suis même en train de penser à créer un set de cartes type Pokémon que l’on pourrait donner à nos clients et qui reprennent les détails du resto », lance-t-il joyeusement. En arrière-fond, une playlist concoctée par un autre de ses amis, DJ Mirik. « Elle matche avec l’identité du lieu, en associant des musiques très différentes, des instruments libanais avec de la musique électro, du jazz, du rap…» précise le maître des lieux.
« Maz Mez habibi »
Certes, il y a plus de 300 restaurants libanais à Paris, mais Maz Mez se définit un peu autrement. « Je ne me sentirais pas légitime à rendre compte de la pure tradition libanaise ; ce que je raconte, c’est comment la cuisine se transforme dans un environnement marqué par la culture libanaise. Ce que nous proposons reflète un ethos un peu différent, marqué par un souci d’accessibilité aussi bien économique qu’humaine. Notre management est marqué par un travail en équipe où chacun a son mot à dire. La dimension antigaspi de la cuisine libanaise se retrouve dans notre approche écoresponsable. Nos produits sont tracés et proviennent de circuits courts, en harmonie avec les saisons. Pour les produits d’épicerie libanais, on travaille notamment avec Hiam Habib Farhat et sa coopérative, Les filles de Tanios, notamment pour l’huile d’olive et le zaatar, préparés à Chawalik. Quant à nos amandes bio aux 7 épices, elles sont produites par mes parents dans le Gard », précise fièrement le jeune homme.
Une cuisine libanaise qui raconte des histoires. Photo DR
Dans son appellation si libanaise, Maz Mez invite déjà à savourer, lentement, les mets que l’on partage. « J’ai beaucoup entendu cette formule, car j’étais un peu glouton quand j’étais petit ! Elle signifie qu’il faut prendre le temps de déguster ce que l’on goûte. “mazmez habibi”, comme on me le répétait, c’est tout à fait l’esprit que je veux recréer. Si je n’aime pas trop les termes “bistronomique” et “fusion”, je dois reconnaître qu’ils correspondent bien à mon resto. Nos plats sont un mélange d’influences françaises, libanaises, mais aussi italiennes et anglo-saxonnes. Ma mère étant franco-italienne, ces deux influences sont essentielles sur la carte de Maz Mez. Et puis j’ai vécu à Londres et j’ai été très influencé par le jeune cuisinier rock’n'roll Jamie Oliver », explique encore Hugo Danaguezian. Le résultat ? Des assiettes innovantes, sucrées ou salées . « Nous proposons, par exemple, un plat imprégné de l’esprit junk food et un poulet frit que l’on traite comme un chich taouk, mariné dans un mélange d’épices et de buttermilk. Pour la panure, le pain français de la veille, et on l’accompagne d’ail et d’un colesaw au zaatar. Dans un autre style, nous avons créé un œuf cocote servi avec du awarma maison et une crème de chanterelles, avec une pensée pour ma grand-mère haute-savoyarde », décrit joyeusement l’entrepreneur. « La friké est travaillée en risotto, la mouhallabiyé se réinvente en crème brûlée, le mille-feuille est garni de labné citronnée, la ousmaliyé est agrémentée de poires pochées au sirop de cardamome… » poursuit le créateur de recettes, heureux des nombreux retours positifs qu’il reçoit.
Tout en racontant le patrimoine gastronomique de la diaspora libanaise, Maz Mez propose une expérience entière, à vivre lentement. Hugo Danaguezian a réussi le pari, son pari_beyrouth, de rester bien ancré dans ses terroirs, et dans l’air du temps.
Maz Mez, 70 rue René Boulanger, Paris 10e.
Instagram : pari_beyrouth/ mazmez_restaurant
C’est a bouffer qu’on pense aujourd’hui?
09 h 20, le 16 février 2025