Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a appelé mercredi les autorités libanaises à normaliser les relations avec le régime syrien de Bachar el-Assad et engager un dialogue avec lui afin de trouver des solutions à la crise économique qui secoue le Liban et mettre un terme à la contrebande frontalière entre les deux pays, un dossier qui mobilise les plus hautes autorités libanaises qui ont décidé mercredi de renforcer les points de contrôle frontaliers.
"Si certains au Liban cherchent encore à reporter les discussions pour la réorganisation des relations avec la Syrie, en misant sur une chute du régime, ils se font des illusions. Tout retard est nuisible au Liban", a d'emblée affirmé le leader chiite, lors d'un discours télévisé retransmis en direct à l'occasion de la quatrième commémoration de la mort de Moustapha Badreddine, le responsable militaire du Hezbollah, tué à Damas le 13 mai 2016.
Moustapha Badreddine est accusé par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) d'avoir été le "cerveau" de l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, le 14 février 2005 dans un attentat au camion piégé à Beyrouth. Quatre autres suspects, tous membres présumés du Hezbollah, sont jugés par contumace. Le jugement dans cette affaire est attendu depuis la fin des audiences, en octobre 2018. Mais le TSL a annoncé dimanche un report du verdict normalement prévu à la mi-mai, en raison de la pandémie de coronavirus. Hassan Nasrallah avait déjà fait savoir par le passé que le parti ne livrerait à la justice aucun des suspects. Sur Twitter, le porte-parole arabophone de l'armée israélienne, Avichay Adraee, a accusé mercredi "Nasrallah et Kassem Soleimani (le puissant général iranien tué le 3 janvier 2020 dans une frappe de drone américain en Irak, NDLR) d'avoir fomenté l'assassinat (de Moustapha Badreddine) à l'aéroport de Damas".
"Chercher la solution en Syrie"
Lors de son discours, Hassan Nasrallah a abordé la situation économique et financière du Liban, ainsi que la question des passages illégaux et du trafic entre les deux pays.
"Si le gouvernement libanais cherche à obtenir un soutien de la part de la communauté internationale et du Fonds monétaire international, il serait logique de revoir certaines choses. (...). Améliorer les relations avec la Syrie peut offrir des opportunités au Liban", a ainsi estimé Hassan Nasrallah. "Le vrai pari que je soutiens aujourd’hui, c’est celui qui mise sur le plan interne, sans compter sur les parties étrangères. Nous devons renforcer les secteurs agricoles et industriels, nous avons la main d’œuvre et les cerveaux requis. Cette production nécessite des marchés, et pour exporter cette marchandise, cela ne peut se faire sans la Syrie. Il en est de même pour l’Irak, qui se trouve à proximité. Il suffit de traverser la Syrie. Car l’Etat irakien est un Etat frère. Mais la porte d’entrée se situe en Syrie. Celui qui veut régler les problèmes doit chercher la solution en Syrie", a martelé le leader chiite.
"Question compliquée"
Le chef du Hezbollah a également adopté la même approche en évoquant la question de la contrebande frontalière. "Personne ne nie qu’il y a de la contrebande et des passages illégaux à la frontière avec la Syrie. Il faut régler ce problème. Je ne parle pas du passage des combattants de la Résistance qui se rendent en Syrie. Cela est une autre question. Mais le Liban ne peut pas régler seul le problème de la contrebande frontalière. Partout dans le monde, la lutte contre le trafic frontalier se fait de manière bilatérale", a estimé Hassan Nasrallah. "L’armée libanaise, si elle se déploie tout le long de la frontière avec la Syrie, ne peut pas régler le problème, car les zones sont enclavées. La question est compliquée. Il s’agit d’une sécurité bilatérale entre deux armées, deux Etats. Quelles Nations unies peuvent régler ce problème ? Vous croyez vraiment que les Nations unies empêchent les violations israéliennes ou peuvent empêcher une future agression israélienne? Tout ce qui les inquiète, c’est la présence de la Résistance au Liban-Sud. (…) Dans quelles illusions vivez-vous?", a lancé le leader chiite à ses adversaires politiques. Il a dans ce contexte affirmé que "déployer une force (internationale) à la frontière entre le Liban et la Syrie était l’un des objectifs de l’agression israélienne en juillet 2006. Le vrai objectif était de s’en prendre à la force de dissuasion au Liban et réaliser les ambitions israéliennes". Pour Hassan Nasrallah, "la solution ne nécessite pas plus d’un an. Mais elle requiert une décision politique. Il faut surmonter les rancunes, car la lutte est existentielle".
Lle Conseil supérieur de la défense s'est penché sur ce dossier lors d'une réunion au palais présidentiel de Baabda sous la houlette du chef de l'Etat, Michel Aoun, et a annoncé un renforcement des points de contrôle à la frontière. Le chef de l'Etat et le Premier ministre Hassane Diab ont pour leur part exprimé une volonté de fermeté pour régler ce dossier qui secoue le pays qui fait face à sa pire crise économique et financière en trente ans.
Ayant renforcé sa présence en plusieurs endroits de la frontière, notamment depuis l’épisode de l’infiltration d’islamistes radicaux du groupe État islamique au Liban depuis le pays voisin, l’armée libanaise s’est avérée incapable de gérer une frontière-passoire de 360 km et reconnaît implicitement la difficulté de surveiller près de 150 points de passage illégaux entre le Liban et la Syrie. Ces voies d’accès illégales, opératoires depuis des décennies sans qu’aucun gouvernement n’ait réussi, ou voulu, les colmater, constituent une source d’inquiétude d’autant plus grande qu’elles permettent, en plus du trafic de marchandises, d’exfiltrer dans les deux sens des personnes, ce qui constitue un trafic risqué en temps de propagation du Covid-19. Ce dossier polémique des voies de passage illégales et les scandales sur la contrebande florissante entre les deux pays sont de nouveau au cœur de l’actualité, notamment après l'intervention du chef des Forces libanaises (FL) Samir Geagea et la diffusion d'un reportage télévisé dévoilant les dessous de la contrebande de farine et de mazout acheminés en Syrie, ainsi que de récentes déclarations du secrétaire adjoint américain aux Affaires du Proche-Orient, David Schenker. Ces deux produits qui passent illégalement en Syrie font tous les deux l'objet d'un mécanisme mis en place par la Banque du Liban pour faciliter le financement des importations.
Coronavirus
Sur un autre plan, le chef du Hezbollah a très brièvement mentionné la lutte contre le coronavirus, quelques heures avant une fermeture totale du Liban pour quatre jours, afin d'enrayer la propagation de la pandémie dans le pays. "J’appelle tous les Libanais et les résidents au Liban à se conformer aux mesures de protection, sinon tous les efforts déployés auront été vains", a prévenu le dignitaire chiite.
Le gouvernement a décrété mardi un reconfinement total de quatre jours, de 19h00 ce mercredi à lundi matin 5h00, sur fond d'une nouvelle hausse du nombre de contaminations au coronavirus avec l'assouplissement des restrictions. Le pays avait en effet amorcé fin avril un plan de déconfinement progressif et continuait en parallèle de rapatrier ses expatriés. Le Liban a officiellement recensé 878 infections à la maladie Covid-19 depuis l'apparition de la pandémie dans le pays le 21 février, dont 26 décès, selon le dernier bilan des autorités.
"Bataille imaginaire"
Au début de son discours, Hassan Nasrallah a consacré plus d'une heure au conflit syrien où sa formation est engagée militairement aux côtés du régime Assad depuis 2013. Il a qualifié les frappes que mène Israël en Syrie de "bataille imaginaire" contre la présence militaire iranienne, qu'il a minimisée. Il a en outre indiqué que sa formation avait allégé sa présence dans certaines régions, après la "victoire" du régime. "En Syrie, Israël mène une bataille imaginaire (censée) empêcher toute présence de forces iraniennes armées" dans ce pays en guerre, a martelé Hassan Nasrallah. "En Syrie, il y a seulement des conseillers militaires iraniens et des experts militaires (...) dont le nombre augmente ou diminue au gré des besoins sur le terrain", a souligné le chef du Hezbollah. Selon lui, les conseillers et experts présents sur le terrain "jouaient et jouent encore un rôle très important". Ils "fournissent des conseils et de l'aide aux forces syriennes, ils gèrent, entraînent et équipent des groupes de résistance syriens, arabes et islamiques, en sus de la coordination avec des mouvement de résistance, y compris le Hezbollah (...)". Il a évoqué un seul "cas exceptionnel": celui de la bataille stratégique d'Alep en 2016, reconquise alors aux rebelles, à laquelle avaient participé "des forces iraniennes pendant deux ou trois mois". Il a enfin nié l'existence d'un différend ou d'une lutte de pouvoir entre l'Iran et la Russie, autre acteur majeur sur l'échiquier syrien. "La République islamique d'Iran ne mène aucune lutte d'influence ni avec la Russie ni quelconque autre" pays". La politique iranienne vise uniquement, selon lui, à "empêcher la Syrie de tomber sous l'hégémonie des Etats-Unis et d'Israël".
Depuis le début en 2011 du conflit en Syrie, Israël a mené des centaines de frappes dans ce pays voisin contre les forces de Damas mais aussi contre celles de l'Iran et du Hezbollah et autres groupes pro-Téhéran, qui participent à la guerre aux côtés du régime. Israël accuse l'Iran de chercher à accroître sa présence militaire et son influence à sa frontière, en s'enracinant en Syrie, et de développer un programme de missiles de précision qui seraient utilisés contre l'Etat hébreu. Hassan Nasrallah a affirmé que les Israéliens "attaquaient tout ce qui concernait la fabrication de missiles en Syrie".
La semaine dernière, le ministre israélien de la Défense Naftali Bennett a promis que son pays poursuivrait ses frappes en Syrie jusqu'au retrait des forces iraniennes, évoquant un "Vietnam" pour Téhéran sur le sol syrien.
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14 h 36, le 22 juin 2020