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Politique - Diplomatie

Berlin et le Hezbollah : motifs et conséquences du divorce

Le parti chiite devra faire profil bas et suspendre ses activités, mais il n’y aura pas de retombées sur la vie des Libanais d’Allemagne, assure le palais Bustros.

Le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer en mai 2018. AFP/Christof Stache

Survenue à un moment critique pour le Hezbollah et pour sa base populaire au Liban du fait de la crise économique et financière, la décision du gouvernement allemand du 30 avril dernier d’interdire les activités du parti chiite en Allemagne est venue resserrer un peu plus l’étau autour d’une formation déjà éreintée par les sanctions américaines la ciblant ainsi que son parrain, l’Iran. L’Allemagne, qui s’aligne jusqu’ici sur la position européenne opérant une distinction entre l’aile militaire du Hezb, considérée comme terroriste, et l’aile politique qui échappe à cette mise à l’index, n’irait pas, pour le moment, jusqu’à franchir le pas en rejoignant le club des États qui placent l’ensemble du parti chiite sur leur liste des organisations terroristes (États-Unis, Royaume-Uni, certains pays arabes...). La décision de Berlin s’inscrit dans le prolongement de l’adoption par le Bundestag d’une résolution interdisant toutes les activités du Hezbollah en Allemagne, mais préconisant aussi la nécessité d’abolir la distinction entre les ailes politique et militaire. Elle paraît plus motivée par des considérations internes que par l’effet de pressions extérieures, comme veut le faire croire la formation pro-iranienne.

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L’interdiction totale sur le territoire allemand des activités du Hezbollah, réclamée il est vrai avec vigueur par les États-Unis et Israël depuis un certain temps, a été aussitôt suivie d’une série de perquisitions dans plusieurs mosquées et associations caritatives, puis d’interpellations. Il s’agit notamment de l’association al-Irchad, qui dispose d’une mosquée à Berlin et qui est considérée comme l’un des centres-clés qui accueillent des sympathisants du Hezb. Des actions ont aussi été menées à Brême, dans le nord-ouest du pays, à Münster (Ouest), où se trouvent d’autres mosquées chiites, ainsi que dans un « centre pour émigrés libanais » à Dortmund, également dans l’Ouest. Plusieurs centaines de policiers au total ont été mobilisés pour l’opération.

« Le Hezbollah est une organisation terroriste qui a commis un grand nombre d’attentats et d’enlèvements dans le monde », a justifié le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, dans le quotidien Bild. « Ses activités illégales et la préparation de ses attentats se déroulent aussi sur le sol allemand », a-t-il ajouté.

Contrairement aux attentes, la réaction du chef du Hezb a été discrète, Hassan Nasrallah ayant consacré à peine quelques minutes à cette affaire dans son dernier discours. « Pour le Hezbollah, cette affaire n’a pas une portée stratégique dans la mesure où elle semble être la résultante de considérations purement internes et à caractère électoral propres à l’Allemagne. D’où le peu d’intérêt que lui a accordée Hassan Nasrallah », commente pour L’Orient-Le Jour Kassem Kassir, un analyste proche du parti. D’ailleurs, renchérit Ghassan Jawad, un autre sympathisant, « Hassan Nasrallah a d’autres chats à fouetter. Ses préoccupations sont principalement la situation économique du pays ».

Nasrallah minimise l’affaire

Mais comme on pouvait s’y attendre, le secrétaire général du Hezbollah, qui a nié toute activité de sa formation en Allemagne, a pointé un doigt accusateur en direction des États-Unis, qui seraient selon lui les instigateurs de cette décision. Dans une réaction bien calculée, il a appelé le gouvernement libanais à « prendre des mesures pour protéger les Libanais d’Allemagne », remettant l’affaire aux mains de l’exécutif comme pour dire que ceux qui sont visés en Allemagne ne dépendent pas du parti, mais sont de simples citoyens libanais qui relèvent de la responsabilité de l’État et éventuellement du Conseil supérieur chiite (CSC), gardien de la communauté. C’est à cette instance qu’a d’ailleurs été dévolue la charge de défendre les chiites d’Allemagne, qui constituent le gros des effectifs des Libanais dans ce pays. Son président, le cheikh Abdel Amir Kabalan, s’est exprimé la veille du discours de Hassan Nasrallah, condamnant la décision allemande et appelant la diaspora libanaise en Allemagne et en Europe à « agir et s’opposer à cette décision ». Pour l’activiste politique indépendant Lokman Slim, souvent critique à l’égard des forces dominantes chez les chiites, il s’agit probablement d’une incitation à recourir aux moyens légaux qui sont à leur disposition. En ce qui le concerne, le ministre des Affaires étrangères, Nassif Hitti, a convoqué l’ambassadeur d’Allemagne à Beyrouth, Georg Birgelen, pour lui signifier son désaccord de voir le Hezbollah – « une composante politique essentielle du pays et un parti présent au Parlement » – qualifié de terroriste. Le diplomate allemand a fait savoir pour sa part que la décision de son gouvernement « avait été prise depuis un moment et qu’elle est entrée en vigueur récemment », soulignant que « certains responsables » libanais avaient préalablement été informés de la teneur de la décision. « Celle-ci ne signifie pas que le Hezbollah soit classé organisation terroriste, mais que ses activités sont désormais interdites sur le territoire allemand », a également assuré le diplomate.

Contacté par L’Orient-Le Jour pour plus de précisions, Hadi Hachem, chef du cabinet de M. Hitti, a indiqué que la décision allemande « est purement souveraine et interne. Elle consiste à interdire toute démonstration publique ayant trait au Hezbollah (...) ainsi que toute activité parrainée par ce parti. Elle n’a aucune autre implication sur les Libanais résidant en Allemagne », a-t-il affirmé.

Soutien financier, recrutement

Selon une source diplomatique, la décision allemande serait l’aboutissement d’un long processus et d’un contexte lié à des calculs régionaux et à des équilibres à prendre en compte. « C’est le contexte qui a changé. Dans les faits, il n’y a rien de nouveau », ajoute la source. Ce qui a changé, estime Lokman Slim, c’est effectivement le nouveau contexte marqué par « le début de la fin du désamour entre les États-Unis et l’Allemagne. N’ayant pas grand-chose à perdre sur le terrain iranien où les échanges commerciaux ont drastiquement baissé, l’Allemagne a notamment voulu donner un signe de bonne volonté en direction de l’administration américaine », dit-il, soulignant toutefois que Berlin n’irait pas jusqu’à « suspendre ses relations avec le Hezbollah au Liban, un pragmatisme similaire à celui dont il fait preuve également en Afghanistan avec les talibans ».

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L’autre raison qui aurait motivé la décision de Berlin est à rechercher, selon lui, dans les dossiers que détiennent les services de renseignements allemands sur les activités du parti et qui pourraient s’avérer compromettants à l’issue des enquêtes. « Il existe plusieurs indices relatifs à une opération de blanchiment d’argent dans lequel le parti est indirectement impliqué, notamment à travers les activités de cercles mafieux qui font écouler certains articles de valeur sur le marché libanais », explique-t-il.

En Allemagne, les autorités évaluent à un millier environ le nombre des membres du Hezbollah que le renseignement intérieur accuse d’organiser des collectes de soutien et de recruter des sympathisants. D’autre part, plusieurs gangs et trafiquants de drogue seraient à l’œuvre dans plusieurs régions sur le territoire allemand sans que le lien direct avec le Hezb ne soit clairement établi.

Multiculturalisme revu et corrigé

Ralph Ghadban, chercheur d’origine libanaise et expert en affaires islamiques et en intégration, basé en Allemagne, estime que, même si elle verse dans la logique défendue par l’administration Trump, la décision allemande ne peut en aucun cas être perçue comme étant le fruit de pressions de la part des Américains et encore moins des Israéliens. « Les pressions américaines et israéliennes existent depuis très longtemps et n’ont rien de récent. L’Allemagne n’avait pas pour autant fléchi », affirme le chercheur, soulignant que l’explication du timing est à rechercher dans l’état d’esprit qui prévaut actuellement en Europe à l’égard des étrangers et des mouvements islamistes, tant sunnites que chiites.

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« Le concept du multiculturalisme longtemps défendu en Allemagne est en train d’être reconsidéré après la constatation d’un certain nombre d’activités considérées comme dangereuses et violentes dont certaines ont vraisemblablement été orchestrées sous les coupoles des mosquées », dit-il, rappelant au passage que la communauté musulmane dans son ensemble n’a pas fait preuve d’intégration au sein de la société allemande. Cette tendance a d’ailleurs fini par gagner un grand nombre de pays européens qui ont clairement viré depuis quelques années vers la droite radicale.

« L’actuel ministre de l’Intérieur ne fait aucune différence entre radicalisme sunnite et chiite », dit M. Ghadban. De plus, l’une des manifestations qui dérange outre mesure les autorités allemandes est celle de la fameuse journée al-Qods célébrée en grande pompe à Berlin, avec une présence notoire de gens soutenant le Hezbollah qui brandissent les drapeaux du parti et appellent à la destruction d’Israël. « Ce sont ces appels haineux et antisémites qui dérangent, bien plus que l’expression d’une opinion politique que Berlin a souvent tolérée, mais n’est vraisemblablement plus prêt à le faire », conclut le chercheur.

Survenue à un moment critique pour le Hezbollah et pour sa base populaire au Liban du fait de la crise économique et financière, la décision du gouvernement allemand du 30 avril dernier d’interdire les activités du parti chiite en Allemagne est venue resserrer un peu plus l’étau autour d’une formation déjà éreintée par les sanctions américaines la ciblant ainsi que son parrain,...

commentaires (7)

C’est sous la rubrique ""immigration"" plutôt que diplomatie qu’il faut lire l’article (bien que le ministre des Affaires étrangères s’en soit mêlé). Je ne partage aucune des déclarations des ""experts"". Le problème est réel à Berlin et dans d’autres Länders, où le Libanais n’a pas bonne réputation. Quelques ""têtes chaudes"" défrayent régulièrement la chronique des faits divers par leurs activités illicites. L’Allemagne, Etat de droit, qui a officiellement accueilli plus d’un million de réfugiés syriens, entend mettre de l’ordre dans les rangs des immigrés récents, car parfois son opinion publique a tendance à mettre tout le monde dans le même sac. Il y a de Libanais, anciennement installés et bien intégrés en Allemagne, souffrent de la mauvaise réputation de leurs ""compatriotes"". Ces mesures de sécurité n’ont à voir avec ses alliances européennes ou américaines etc, etc, et surtout pas avec le pays dont elle a un contentieux historique…. C’est un problème de société plutôt que de diplomatie… C. F.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

11 h 36, le 13 mai 2020

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Commentaires (7)

  • C’est sous la rubrique ""immigration"" plutôt que diplomatie qu’il faut lire l’article (bien que le ministre des Affaires étrangères s’en soit mêlé). Je ne partage aucune des déclarations des ""experts"". Le problème est réel à Berlin et dans d’autres Länders, où le Libanais n’a pas bonne réputation. Quelques ""têtes chaudes"" défrayent régulièrement la chronique des faits divers par leurs activités illicites. L’Allemagne, Etat de droit, qui a officiellement accueilli plus d’un million de réfugiés syriens, entend mettre de l’ordre dans les rangs des immigrés récents, car parfois son opinion publique a tendance à mettre tout le monde dans le même sac. Il y a de Libanais, anciennement installés et bien intégrés en Allemagne, souffrent de la mauvaise réputation de leurs ""compatriotes"". Ces mesures de sécurité n’ont à voir avec ses alliances européennes ou américaines etc, etc, et surtout pas avec le pays dont elle a un contentieux historique…. C’est un problème de société plutôt que de diplomatie… C. F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    11 h 36, le 13 mai 2020

  • Le ministre des affaires etrangeres defend les interets du Liban et de Libanais a l'etranger ou bien il se tient comme l'avocat du Hezb ?

    EL KHALIL ABDALLAH

    11 h 28, le 13 mai 2020

  • Que HN s’occupe de ses chats et nous nous occuperons de l’économie et de la stabilité de notre pays. Il en a tellement fait que nous nous trouvons dans un gouffre où seul un miracle divin saurait nous y hisser. Il faut qu’il comprenne que son dieu n’est pas le nôtre, le nôtre est miséricorde, amour constructif de la vie et des autres , alors que le sien n’est que haine destruction et mort. En fin de compte plusieurs messages de dieu lui ont été adressé pour se repentir et il n’en a rien à cirer de ses messages. Mais dieu est patient et n’abandonne jamais ses vrais adeptes.

    Sissi zayyat

    10 h 58, le 13 mai 2020

  • Le Hezbollah, "parti de DIEU" , malgré son nom, n'est pas un parti basé sur les enseignements religieux. Son chef actuel l'a transformé en un parti guerrier, qui ne vit que grâce à ses interventions dans des pays étrangers, tout en prétendant "résister" à Israël. Ses combattants, partisans ou membres ne sont pour lui que des outils pour accomplir les projets dictés par son commanditaire à Téhéran. Cela, les Allemands le savent également, et veulent se protéger, tout simplement. Le Hezbollah ne fait jamais quelque chose pour "servir DIEU"...mais pour servir les dieux de la guerre et des profits personnels. Nous le constatons chaque jour ici au Liban. Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 55, le 13 mai 2020

  • Si réellement, le Hezbollah n'a, comme oil le prétend, aucune activité en Allemagne, pourquoi proteste=t=il contre cette décision qui ne le concerne donc pas? Et pourquoi notre ministre des AE a-t-il convoqué l'ambassadeur allemand et protesté contre une décision qui n'aurait aucun effet?

    Yves Prevost

    07 h 02, le 13 mai 2020

  • Motif? Exportations par un régime intégriste iranien d’une certaine doctrine qui veut semer la haine et la misère par le biais de cellules appelées « terroristes » par certains et «  jihadistes » par d’autres. Cependant le seul point en commun de ces 2 appellations étant « morts, et destruction ». Le mot PAIX ne fait pas partie du lexique Hezbollah. Ils ne savent même pas ce que c’est.

    LE FRANCOPHONE

    02 h 01, le 13 mai 2020

  • Hassan Nasrallah a d’autres chats à fouetter. Ses préoccupations sont principalement la situation économique du pays ». C’est certain que s’occuper de deux pays Liban et Syrie implique de grandes responsabilités telles que le tracé sans cesse renouvelé des voies de traverses de la frontière pour nourrir la Syrie avec les devises des émigrés !

    PROFIL BAS

    00 h 59, le 13 mai 2020

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