« J’ai planté une fleur dans ma maison, elle m’a donné une histoire. » Cette phrase pleine d’humour de l’internaute Ali Awada légende la photo d’une plante qui, en fleurissant, donne des feuilles… en papier, et ces feuilles racontent une histoire. À lui seul, le trait d’esprit publié sur Facebook résume l’une des aberrations majeures dans la formation du nouveau gouvernement présidé par Hassane Diab : celle d’avoir accordé au ministre Abbas Mortada les deux portefeuilles de l’Agriculture et de la Culture. Deux ministères qui n’ont absolument rien à voir l’un avec l’autre, sauf dans leur étymologie. Tous les deux sont formés du mot culture, du mot latin cultura, qui veut dire cultiver et célébrer. Et cette aberration, les internautes ne se privent pas de la dénoncer, qui avec humour, qui avec colère, qui par des points d’interrogation pour montrer leur incompréhension et leur profond désaccord. « Abbas Mortada, membre d’Amal, est ministre de l’Agriculture et… de la Culture ? » demande ainsi Nadim el-Kak sur Twitter, comme pour se demander s’il n’y avait pas erreur.
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« Faire de son jardin une bibliothèque »
De son côté, Tania A. rappelle que « la culture version Liban 2020, c’est faire de son jardin une bibliothèque ». Alors qu’Anis Tabet explique tout bonnement qu’« on ne peut épeler le mot agriculture sans le mot culture ». Quant au militant des droits de l’homme Wadih al-Asmar, cofondateur de la campagne « Vous puez ! » et membre actif de la révolte populaire, il relève une « justification logique dans la fusion des deux ministères de la Culture et de l’Agriculture » dans un savant jeu de mots qui démontre qu’au final, il est difficile d’établir un rapport « entre la distribution de mazout (profession de membres de la famille du ministre) et la lecture ».
Car outre le cumul de ces deux ministères qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, la question se pose sur la capacité du nouveau ministre de 38 ans, époux de Roula Hamiyé et père de deux enfants, à assumer avec succès deux portefeuilles particulièrement chargés. À développer une agriculture locale moribonde de manière à améliorer la production et l’exportation. À faire rayonner la culture libanaise en manque de soutien à l’échelle locale, régionale et internationale. Un défi de taille pour cet hôtelier et directeur général d’une société immobilière, qui n’en est pas moins détenteur d’une licence en droit et poursuit un doctorat en histoire à la Beirut Arab University. « Un grand écart », pour certains, qui font part de leur profond scepticisme sur le bien-fondé d’une telle entreprise. Originaire de Baalbeck, de confession chiite, l’homme est aussi connu pour être proche du président du Parlement, Nabih Berry, et pour être membre de son mouvement Amal. Ce qui devrait lui laisser « peu ou pas de liberté » dans l’exercice de ses fonctions.
Il n’en reste pas moins que les avis des professionnels restent partagés. Entre ceux qui espèrent le voir développer leur secteur et les autres, sceptiques, qui n’en attendent absolument rien. Contactée par L’Orient-Le Jour, la présidente du Festival de Baalbeck, Nayla de Freige, insiste sur l’importance d’« une vision culturelle » pour le pays du Cèdre. « Je souhaite que la culture ne soit pas reléguée au deuxième ou troisième plan, malgré les difficultés que traverse le pays », souligne-t-elle. Constatant la participation au cabinet Diab de deux ministres originaires de Baalbeck, elle espère « que le festival obtiendra le soutien du gouvernement pour mener à bien sa mission ».
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« Du même parti que ceux qui ont détruit le secteur »
Commentant de son côté la nomination de M. Mortada, une source bien informée dans le milieu culturel « regrette que le ministère de la Culture ne soit pas considéré à sa juste valeur ». Car « il ne s’agit pas d’un petit ministère, mais d’un secteur d’importance, qui attend de voir appliquer la stratégie déjà mise en place et qui a besoin de financement ». Outre la gestion et la restauration des sites archéologiques (notamment les cinq sites qui figurent sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco), la gestion des musées, du conservatoire, du palais de l’Unesco et de la bibliothèque nationale, le ministère de la Culture soutient aussi nombre d’associations artistiques.
Du côté des agriculteurs, les réponses sont tout aussi partagées. C’est un niet tonitruant que le président de l’Association des agriculteurs, Antoine Hoyek, oppose au nouveau ministre Mortada. D’abord « pour ces deux portefeuilles qu’il a obtenus », et parce qu’ « il n’a rien à voir avec l’agriculture ». Mais surtout parce qu’« il vient du même parti (Amal) que ceux qui ont détruit le secteur agricole ». « Sa performance ne différera donc pas de celle de ses prédécesseurs qui ont échoué à esquisser ne serait-ce qu’une stratégie de protection et de développement du secteur, malgré les revendications des agriculteurs », affirme à L’OLJ M. Hoyek, qui revendique son appartenance à la révolte populaire et dénonce l’incompétence et la corruption de la classe politique.
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Plus mesuré, le président du Regroupement des agriculteurs de la Békaa, Ibrahim Tarchichi, « attend de voir les performances » du nouveau ministre avant de le juger. Pour l’avoir côtoyé, il salue « son niveau d’éducation et sa grande capacité de travail ». « L’essentiel est qu’il se penche sur le secteur agricole », insiste-t-il. Parmi les défis agricoles qui attendent Abbas Mortada, l’octroi de crédits aux agriculteurs pour l’achat de graines, d’engrais, d’insecticides et d’équipements, la protection de la production locale qui souffre de la concurrence étrangère et de la contrebande, le versement des subventions et indemnisations dues aux agriculteurs, la conclusion d’accords avec la Syrie pour le transit des produits agricoles à meilleur prix, l’amélioration des relations commerciales avec les pays arabes… « Je lui souhaite de réussir », conclut M. Tarchichi, tout en sachant pertinemment bien que le ministre devra jouer à l’équilibriste entre la culture et l’agriculture.
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Ceux qui l'ont nommé à ces deux postes sont très "culturés". Il fallait lui ajouter le ministère des sports pendant qu'ils y sont puisque qu'il ya la culture physique. Quand aux ministres qui détiennent deux ministères qui necessite chacun un travail à plein temps, ils ne sont pas en reste. Mais nous avons un gouvernement de bric et brocs certes mais un gouvernement qui leur ressemble. Bande d'illettrés.
14 h 17, le 26 janvier 2020