Rechercher
Rechercher

Le ciel et le fromage

On aurait aimé parler de la neige. D’un sentier qui se déroule à travers l’étendue blanche, lentement vers nulle part, et s’efface dans un invisible horizon. De quelques sapins qui s’ébrouent çà et là, rythmant le vide. Parfum d’ozone. La neige dépose l’odeur de la lune à portée de souffle et vos pas lourds de terrien maladroit savent qu’ils sont un peu sacrilèges. Un feu de bois au loin fait crépiter le silence. La neige est une telle grâce, et il est encore si beau par endroits, ce pays en qui le chanteur et poète Wadih el-Safi voyait une part de ciel. En qui notre classe politique ne voit qu’une part de fromage.

À défaut, nous parlerons donc de fromage. Plus précisément des honteuses chamailleries sur le partage de ce bloc de plus en plus congru, sachant que l’étiquette dicte à chaque convive de couper sa part avec un morceau de croûte, pour éviter de laisser le talon au dernier servi. Mais non. Chez ces gens-là, on se jette sur la meule comme si elle avait des ailes, ou plutôt comme si l’on en était le propriétaire attitré. L’absurdité de la démocratie « consensuelle », inventée pour obliger chaque seigneur à partager avec ses pairs le butin pris sur les biens publics, est désormais remplacée par une démocratie « consanguine », issue d’un amas de partis véreux autant que rivaux, relevant néanmoins de la même allégeance occulte. Cette dernière vient de nous accoucher d’une portée de lapins savants en guise de cabinet de « sauvetage ». Mais la révolte qui gronde aux fenêtres n’est dupe ni de ce tour de magie ordinaire, ni de la contrition des uns, ni des promesses de réformes des autres, fussent-ils bardés de diplômes et armés de la meilleure volonté. Car la confiance est perdue et ce gouvernement est né sous les pires auspices, désigné par un régime qui incarne, aux yeux d’une vaste partie de la population qui ne lui doit rien sinon tous ses malheurs, l’apogée de la corruption, de l’arrogance et de l’incompétence réunies.

La situation est si catastrophique qu’on comprend ceux qui appellent à donner une chance à la nouvelle équipe. Mais on a tendance à mieux comprendre ceux, plus nombreux, que la méfiance pousse à étouffer le monstre dans l’œuf avant que ne se révèle sa vraie nature, et que les sages « techno-politiques » ne soient contraints par ceux dont ils tirent leur pouvoir à des actes liberticides ou à davantage de corruption.

Certes, il n’y a plus grand-chose à rogner, et l’on sait déjà que le Premier ministre va prendre son bâton de pèlerin pour aller frapper aux portes des pays donateurs, les priant de lui prêter quelques sous pour subsister, etc. Mais on sait aussi qu’il lui faudra évaluer en chemin quelle part de la souveraineté du Liban il lui faudra sacrifier en retour. Il lui faudra s’assurer que le moindre sou soit désormais versé dans l’économie réelle et serve à produire des biens et des emplois. Aux partis traditionnels, la révolution ne laissera aucun répit, aussi vrai qu’au bout de si longues années sans alternance, leur pouvoir est usé et épuisé. Pour un grand nombre d’entre nous, l’appauvrissement inexorable qui s’annonce ne sera qu’un prix dérisoire à payer pour instaurer l’équité tant espérée et repartir sur des bases saines, loin des chipotages communautaires et au plus près des exigences du siècle. La génération qui affronte aujourd’hui les forces de l’ordre, moins à tort qu’à raison, blessée, éborgnée, estropiée, piétinée, arrêtée, portera toute sa vie les stigmates de son engagement. Au nom de leurs cicatrices physiques et morales, ces jeunes iront jusqu’au bout de leurs exigences. Ils méritent un pays qui rassemble ses forces pour leur assurer un avenir, au lieu de les envoyer littéralement paître ailleurs et profiter de l’argent qu’ils ramènent pour recommencer l’histoire du fromage.

On aurait aimé parler de la neige. D’un sentier qui se déroule à travers l’étendue blanche, lentement vers nulle part, et s’efface dans un invisible horizon. De quelques sapins qui s’ébrouent çà et là, rythmant le vide. Parfum d’ozone. La neige dépose l’odeur de la lune à portée de souffle et vos pas lourds de terrien maladroit savent qu’ils sont un peu sacrilèges. Un...

commentaires (5)

VOTRE DON MADAME FIFI : POETESSE !

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 59, le 23 janvier 2020

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • VOTRE DON MADAME FIFI : POETESSE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 59, le 23 janvier 2020

  • ""L’absurdité de la démocratie « consensuelle », inventée pour obliger chaque seigneur à partager avec ses pairs le butin pris sur les biens publics, est désormais remplacée par une démocratie « consanguine », issue d’un amas de partis véreux autant que rivaux, relevant néanmoins de la même allégeance occulte."" De démocratie consensuelle à démocratie consanguine, c’est le fond du problème ! Des seigneurs dans une société pas encore guérie d’une longue guerre. Parler de quote-part, comme s’il s’agit d’un compromis. Là aussi il faut du temps… pour se débarrasser de ces vieilles méthodes qui ne mènent qu’à des impasses... et de crise, en crise (économique, socio-politique) pour trouver les conditions de s’en sortir...

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 20, le 23 janvier 2020

  • Très beau papier sur la forme, comme toute la production si littéraire de FAD, mais j'ai des réserves sur le fond car en disant "Je voudrais d’abord remercier le mouvement de protestation qui m’a amené jusque-là», HD a pointé l'un des acquis de la Thawra, à savoir permettre à un "roturier" d'accéder à cette fonction en dépit des réticences du club très fermé des PM sunnites bien nés. En outre, plusieurs ministres ont dès parcours prestigieux et ce cabinet comprend six femmes. Ce n'est pas rien. Pour autant, la Thawra ne doit pas baisser la garde car les inamovibles sont toujours là et les corrompus n'ont pas été sanctionnés ni par les urnes ne par les tribunaux. Parlant de la Justice, j'avoue avoir du mal à suivre les méandres des suites d'humeur des juges qui, un coup sanctionnent, un coup pardonnent sans que l'on comprenne le pourquoi du comment.

    Marionet

    08 h 59, le 23 janvier 2020

  • ...""l’on sait déjà que le Premier ministre va prendre son bâton de pèlerin pour aller frapper aux portes des pays donateurs, les priant de lui prêter quelques sous pour subsister, etc."".. On peut dire qu’il est dans ses fonctions de quémander l’une ou l’autre, assistance, aide pour redresser la ""situation économique"". En vous lisant : ""l’appauvrissement inexorable qui s’annonce ne sera qu’un prix dérisoire à payer pour instaurer l’équité tant espérée et repartir sur des bases saines, loin des chipotages communautaires et au plus près des exigences du siècle."" Je me demande si les revendications des révolutionnaires, et je suis l’un d’eux, ne relèvent de l’impossible, quand je pense à la situation irréversible laissée par une longue guerre, et que les chefs communautaires, artistes dans les chipotages ne laissent que les miettes en guise de consolation.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    01 h 52, le 23 janvier 2020

  • oui ,ils méritent un pays nouveau! J.P

    Petmezakis Jacqueline

    00 h 20, le 23 janvier 2020

Retour en haut