Le Premier ministre libanais désigné, Hassane Diab, à l'issue de ses concertations parlementaires, le 21 décembre 2019. Photo fournie par le Parlement
Le Premier ministre libanais désigné, Hassane Diab, a de nouveau affirmé samedi soir sa volonté de former un gouvernement d'experts indépendants à l'issue de concertations politiques avec les différents groupes parlementaires du pays.
"J'ai entendu des encouragements concernant la formation d'un gouvernement le plus rapidement possible. Tous les députés veulent sortir de la crise étouffante que traverse le pays qui se trouve aux soins intensifs", a déclaré M. Diab à l'issue de ces concertations au Parlement. "Je suis appuyé par le fait que je suis indépendant. Nous avons besoin de ministres indépendants et experts", a-t-il ajouté, avant d'affirmer que "c'est le Premier ministre qui forme le gouvernement". "Personne ne m'a imposé de conditions, et mon objectif est de former un gouvernement restreint", a-t-il conclu.
Fait notable, il n'y avait aucune manifestation dans le périmètre du Parlement en parallèle de ces concertations, que ce soit de la part de partisans de M. Hariri, ou encore de la part des manifestants pacifiques qui réclament le départ de la classe politique accusée de corruption et d'incompétence, dans le cadre de la révolte populaire inédite déclenchée le 17 octobre.
"Toutes les formations parlementaires"
Arrivé au siège du Parlement peu avant 11h, Hassane Diab s'est d'abord concerté avec le président de la Chambre, Nabih Berry, afin de s'entretenir avec lui au sujet de la formation du prochain cabinet. A l'issue de son tête à tête avec M. Diab, Nabih Berry a publié un communiqué dans lequel il a indiqué qu'il a discuté avec le PM désigné de "la nature du gouvernement, le nombre (des ministres) et la répartition des portefeuilles". Il a souligné avoir "insisté sur la lutte contre la corruption et la relance économique et financière", dans le cadre du prochain cabinet. Nabih Berry a également insisté à ce que "toutes les formations parlementaires soient représentées, dont les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste, ainsi que (des représentants de) la contestation (populaire), exprimant clairement ainsi son soutien à un gouvernement politique, ou du moins techno-politique, d'union nationale.
Le bloc parlementaire du Développement et de la libération, affilié au mouvement Amal de Nabih Berry, a pour sa part affirmé qu'il n'avait "pas de demandes spécifiques" au sujet du prochain gouvernement. "Le bloc a des demandes générales et non spécifiques", a insisté le député Anouar el-Khalil, afin de démentir toute convoitise portant sur un portefeuille ministériel précis. "Les efforts doivent être déployés en vue de la formation d'un gouvernement d'urgence et de sauvetage, a-t-il souligné. Il est important que la contestation (populaire) soit représentée dans cette opération de sauvetage global", a-t-il ajouté.
Le groupe parlementaire du Hezbollah a de son côté appelé, comme M. Berry, à un gouvernement qui représente une large frange des formations politiques. "Nous avons évoqué les conditions de réussite du processus de formation du gouvernement. Plus ce gouvernement est représentatif (des formations politiques), plus il est réussi", a affirmé le député Mohammad Raad, au nom des députés du parti chiite. "Ce gouvernement n'est pas un gouvernement d'affrontement, ni un gouvernement monochrome. Ce gouvernement doit répondre à la douleur des Libanais (...)", a-t-il ajouté.
"Nous n'avons qu'une seule demande, à savoir une vision unique pour que le prochain gouvernement soit efficace", a de son côté déclaré Gebran Bassil au nom du groupe parlementaire du Courant patriotique libre. "Le but n'est pas que nous participions au cabinet, mais qu'il soit composé de ministres non politiques, méritants et compétents. Il faut un changement de politique économique et sociale", a-t-il ajouté. Et d'assurer : "Ceci n'est pas le gouvernement du Hezbollah, mais celui de l'ensemble des Libanais. Nous refusons que quiconque soit exclu et nous voulons que la contestation soit représentée".
Le député Michel Moawad, chef du Mouvement de l'Indépendance, s'est de nouveau prononcé en faveur d'un gouvernement d'"experts non partisans, ayant une large indépendance pour mener les réformes nécessaires et restaurer la confiance des Libanais" dans l'Etat. Il a insisté en outre sur la nécessité de "régler le problème de la couverture sunnite" (au Premier ministre désigné) et de "rassurer la communauté internationale".
(Lire aussi : Diab au travail aujourd’hui sous l’œil vigilant de la communauté internationale)
Le PSP, les FL et le Futur hors du prochain cabinet
Saad Hariri s'est également entretenu avec Hassane Diab. "Je veux dire aux jeunes qui manifestent dans la rue et qui ont exprimé leurs sentiments hier (vendredi). Chacun a le droit de s'exprimer, (...), mais nous souhaitons qu'ils le fassent de manière pacifique. (...) Que Dieu accorde le succès au Liban", a dit M. Hariri, lors d'un bref point de presse à l'issue de son entretien avec M. Diab, s'abstenant d'évoquer la question du prochain gouvernement. Saad Hariri s'est ensuite rendu au bureau de M. Berry au sein du Parlement, afin de s'entretenir avec lui.
"Nous avons dit (à Hassane Diab) que nous ne participerons pas, ni directement ni indirectement, au gouvernement. Nous avons également souhaité auprès du Premier ministre désigné que le prochain cabinet soit formé d'experts indépendants des partis et des formations politiques", a pour sa part annoncé le député Samir Jisr, au nom du bloc du Futur, à l'issue de son entretien avec M. Diab. La député Bahia Hariri, qui dirige le bloc, s'est abstenue d'assister à ces concertations, tout comme elle avait boycotté les consultations organisées au palais de Baabda jeudi.
Pour sa part, le groupe parlementaire du Rassemblement démocratique, affilié au Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt et dirigé par son fils Taymour Joumblatt, a fait savoir dans un communiqué qu'il ne participera pas aux concertations politiques avec Hassane Diab ni au cabinet qu'il va former, appelant à ce que ce dernier "reflète le poul de la rue".
Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a également affirmé, lors d'un entretien avec le responsable US David Hale, que son parti ne participera pas au prochain gouvernement. S'exprimant au nom du bloc des FL à l'issue de son entretien avec Hassane Diab, le député Georges Adwan a fait savoir que la formation "n'a aucune demande en tant que parti. Ce qui nous importe, c'est que le gouvernement soit formé d'experts dotés d'honnêteté et de transparence, qu'ils soient indépendants, et par là, nous voulons dire qu'ils soient maîtres de leur propre décision, qu'ils ne soient pas la vitrine d'un quelconque parti".
Le bloc du parti Kataëb, qui s'est exprimé par la voix de son chef, Samy Gemayel, a déploré "la coupure entre une grande partie de la population révoltée depuis 60 jours et la classe politique qui n'écoute pas sa voix". "Nous considérons cette approche comme fausse et pensons qu'elle va provoquer davantage de crises", a estimé M. Gemayel. "La seule solution est (...) la tenue d'élections législatives anticipées", a-t-il ajouté.
"J'ai été surprise car visiblement, le gouvernement sera formé d'experts indépendants", s'est étonné Paula Yacoubian, la seule député issue d'une liste de la société civile, ajoutant que le Premier ministre désigné se désistera si certaines formations politiques continuent de pousser en faveur de la formation d'un gouvernement "techno-politique".
(Lire aussi : Ingénierie de crise, l'édito de Issa GORAIEB)
Hassan Diab a assuré vendredi vouloir former un gouvernement de "technocrates indépendants" pour faire face à la grave crise économique que connaît le pays, comme l'exigent les manifestants. Il s'est donné un délai d'un mois à six semaines pour atteindre son objectif.
L'appui apporté à la désignation de M. Diab, un universitaire de 60 ans et ancien ministre de l'Education, par le Hezbollah et ses alliés a attisé la colère de la rue, notamment des sunnites, qui y voient une marginalisation de leur communauté, à laquelle revient le poste de Premier ministre. Bien que sunnite lui-même, M. Diab n'a reçu le soutien que de six députés sunnites, sur les 69 ayant voté en sa faveur lors des consultations. L'ex-Premier ministre Saad Hariri n'a pas publiquement apporté son soutien à son successeur, tandis que le courant du Futur, le parti qu'il préside, "ne participera pas au prochain gouvernement", selon une source proche citée par l'AFP.
Le sous-secrétaire d'Etat américain aux Affaires politiques, David Hale, en visite au Liban, a appelé à un gouvernement engagé "en faveur de réformes", alors que la diplomatie française s'est dit en faveur d'un gouvernement "efficace", capable de mener des réformes.
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commentaires (16)
Gebran Bassil dans un journal arabophone : "Ce gouvernement n'est pas un gouvernement "Hezbollah" mais un gouvernement de tous les Libanais. Nous voulons des ministres propres (ndhaf), intègres (awadem), capables et spécialistes." Dans un souk d'oignons, un étalier peut-il proposer des parfums Chanel - N° 5 ?
Un Libanais
11 h 56, le 22 décembre 2019