Entre le Hezbollah et le secrétaire d’État adjoint américain David Hale, les messages indirects sont clairs. La formation chiite voulait absolument que la désignation d’un nouveau Premier ministre ait lieu avant l’arrivée de l’émissaire américain à Beyrouth et que le nom choisi ne soit pas le favori des Américains pour bien montrer à ceux-là que leur influence sur le pays n’est plus ce qu’elle était. C’est donc ce qui s’est produit, lorsque vers 17h30 jeudi soir, le Pr Hassane Diab a été désigné par 69 députés pour former le prochain gouvernement, alors que le candidat supposé favori des Américains, l’ambassadeur et juge Nawaf Salam, n’a pas obtenu un nombre de voix déterminant.
C’est donc sous le signe de ce qu’il considère comme une victoire que le Hezbollah a voulu placer la visite de l’émissaire américain à Beyrouth. Mais, contre toute attente, ce dernier n’a laissé transparaître au cours de ses entretiens avec les responsables libanais aucune irritation de la non-désignation de Nawaf Salam. Plus même, il aurait fait l’éloge du Premier ministre désigné qu’il avait connu lorsqu’il était ambassadeur au Liban et que ce dernier était ministre de l’Éducation (2013-2014) et devant les journalistes, il a précisé que les États-Unis ne se soucient pas de la personne du Premier ministre mais des décisions du gouvernement et surtout des réformes nécessaires.
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Le Hezbollah, qui estime donc avoir remporté une victoire en empêchant la désignation de celui qu’il considère comme le candidat des Américains, s’est toutefois retrouvé avec un nouveau problème sur le dos : la révolte de « la rue sunnite » dans plusieurs régions du pays, face à ce qu’elle considère comme une désignation chiite du Premier ministre sunnite. Les propos tenus par certains jeunes gens venus pour couper les routes sont effrayants et dénotent une grande rancœur et un sentiment de frustration. De plus, les protestataires qui ont coupé des routes depuis jeudi soir et tout au long de la journée d’hier ont bloqué des artères névralgiques, comme l’autoroute du Sud, ou celle qui mène vers la Békaa, ou encore à l’intérieur de la capitale.
La situation est donc délicate, alors que la désignation de Hassane Diab aurait dû provoquer une détente et un soulagement notamment au sein du mouvement de révolte. Ce dernier n’a en effet cessé de réclamer, pour former le gouvernement, une personnalité qui n’appartient pas au monde politique, compétente, non corrompue et experte dans son domaine. C’est le profil qui a été choisi, sachant que le nom de Hassane Diab figurait sur la liste de personnalités susceptibles d’occuper des postes ministériels pour satisfaire le mouvement de révolte, qui avait été soumise au chef de l’État par les deux recteurs de l’AUB et de l’USJ. De plus, M. Diab ne constitue pas un rival potentiel pour Saad Hariri qui avait d’ailleurs donné son accord lorsque les deux émissaires chiites Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil lui avaient proposé son nom. D’ailleurs, le bloc du Futur s’est abstenu de nommer une personnalité pour former le nouveau gouvernement, ce qui a été interprété comme un consentement indirect ou, en tout cas, une volonté de faciliter sa désignation. Enfin, dans ses premières déclarations, M. Diab a affirmé qu’il a entendu la voix de la rue et qu’il n’y aura pas de retour à la situation d’avant le 17 octobre, tout en précisant qu’il compte former dans des délais courts un gouvernement d’experts. Autrement dit, il ne devrait pas y avoir dans le cabinet qu’il compte proposer des ministres membres de partis ou ce qu’on appelle désormais « des figures provocantes ». Ce qui est aussi une autre revendication du mouvement de protestation.
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Au-delà de la lutte sourde qui oppose le Hezbollah à l’administration américaine, la désignation du Pr Hassane Diab est donc sans nul doute une victoire pour le mouvement du 17 octobre et le gouvernement qu’il compte former devrait répondre dans une large partie aux aspirations des révolutionnaires. En effet, ceux qui voulaient pousser le camp du 8 Mars à former un gouvernement à coloration unique pour mieux le dénigrer par la suite n’ont pas atteint leur objectif, puisque le Premier ministre désigné a clairement déclaré qu’il ne compte pas former un gouvernement de confrontation, mais une équipe qui rassure à la fois les Libanais et la communauté internationale.
Pourtant, hier, nul ne semblait satisfait et dans les milieux sunnites, des appels à la fermeture des routes ont été lancés, dans l’objectif à peine caché de pousser le Premier ministre désigné à renoncer à la mission qui lui a été confiée. De plus, ce que redoutait le plus le Hezbollah et le mouvement Amal en appuyant jusqu’au bout la candidature de Saad Hariri qui s’est lui-même retiré de la course, à savoir les risques d’une discorde entre sunnites et chiites, se profile à l’horizon. Selon certaines informations, les protestations devraient atteindre un pic aujourd’hui, dans le but d’empêcher le Premier ministre désigné de procéder aux consultations parlementaires au siège du Parlement.
Face à ce tableau complexe, quels sont les scénarios possibles ? Le Premier ministre désigné effectue ses consultations et poursuit les négociations pour la formation du gouvernement, en misant sur un essoufflement des protestataires et sur le fait que les personnalités qu’il compte choisir pour le gouvernement seraient de nature à calmer les craintes de la rue. L’autre possibilité est qu’il renonce à cette mission et, à ce moment-là, il faudra procéder à une nouvelle désignation dans un climat de plus en plus tendu, aiguisé par une situation économique et financière de plus en plus difficile.
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commentaires (9)
Le Hezbollah ou le parti du diable veut coute que coute détruire le Liban
Eleni Caridopoulou
18 h 15, le 21 décembre 2019