Le Premier ministre désigné Hassane Diab, reçu le 20 décembre 2019 par le Premier ministre sortant Saad Hariri. Photo Dalati et Nohra
Le Premier ministre désigné, Hassane Diab, se donne un délai maximal de six semaines pour former un nouveau gouvernement et entame aujourd’hui les concertations parlementaires d’usage précédant les tractations politiques informelles devant déboucher sur la mise en place d’une nouvelle équipe ministérielle que le successeur de Saad Hariri veut entièrement composée d’« experts indépendants ». Il l’a lui-même affirmé au terme d’une visite à la Maison du Centre où il a eu un bref entretien avec M. Hariri, dans le cadre de la tournée protocolaire qu’il a effectuée auprès des anciens Premiers ministres, au lendemain de sa désignation pour former le nouveau cabinet. Une promesse que les Libanais et que la communauté internationale comptent bien retenir, d’autant qu’elle fait écho à leurs vœux, exprimés depuis le soulèvement populaire.
Issu du monde académique et se présentant comme un « expert indépendant », Hassane Diab s’était engagé dès sa nomination jeudi à répondre aux doléances du mouvement de contestation et à associer les courants qui le composent aux concertations précédant la naissance du gouvernement, en assurant qu’il n’est pas question d’un retour à la situation d’avant le 17 octobre.
Alors que la communauté internationale restait réservée sur sa désignation et sur les circonstances politiques qui l’avaient précédée et qui avaient amené Saad Hariri à se retirer de la course, les médias arabes et occidentaux présentaient hier Hassane Diab comme étant le candidat du Hezbollah, une étiquette que le principal concerné a rejeté, jugeant « ridicule d’être considéré » comme tel. La rue sunnite continuait, elle, de s’opposer farouchement à sa désignation, comme en témoignent les violences qui ont ponctué hier les mouvements de protestation à Tarik Jdidé et à Corniche Mazraa. Dans ces quartiers de la capitale où le courant du Futur est omniprésent, la population voit dans la désignation de Hassane Diab un affaiblissement de la communauté sunnite.
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Hale : Des réformes radicales durables
Sur le plan diplomatique, le sous-secrétaire d’État américain aux Affaires politiques, David Hale, qui a entamé hier une visite officielle au Liban, s’est gardé de commenter le choix parlementaire du successeur de Saad Hariri. La France aussi. M. Hale, qui a été reçu successivement par le président Michel Aoun, le chef du législatif, Nabih Berry, et le Premier ministre sortant, Saad Hariri, a plaidé devant ses hôtes pour la mise en place d’un gouvernement « qui inspire confiance, crédible et capable de lancer un chantier de réformes radicales et durables, indispensables pour que le Liban puisse se remettre sur pied », selon des sources proches de la Maison du Centre.
C’est à ce niveau que le Premier ministre désigné sera jugé. Les propos de David Hale, qui a tenu le même discours au terme de ses trois entretiens, peuvent facilement résumer ce que la communauté internationale attend du nouveau gouvernement. Le diplomate américain, dépêché à Beyrouth par le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a rappelé que les responsables libanais ont « pendant longtemps fait passer leurs partis et leurs intérêts personnels avant les intérêts nationaux ». « Nous voyons aujourd’hui l’impact de ces pratiques », a-t-il critiqué, en assurant que son pays est « prêt à aider le Liban à ouvrir une nouvelle page de redressement économique, caractérisée par une bonne gouvernance, sans corruption ». « Avec d’autres amis du Liban, nous pourrons le faire lorsque les dirigeants libanais prendront des engagements clairs, fermes et crédibles en faveur des réformes », a expliqué M. Hale, avant d’affirmer que les États-Unis n’ont « aucun mot à dire au sujet de la présidence ou de la composition du gouvernement ». « Ce qui nous importe, c’est que les dirigeants libanais honorent leurs engagements au service des besoins du peuple libanais et c’est seulement à ce moment que la communauté internationale pourra s’investir pour soutenir le pays », a-t-il insisté.
Lui faisant écho, la porte-parole du Quai d’Orsay Agnès von der Mühll a fait remarquer, en réponse à une question sur le Liban, qu’il n’appartient pas à Paris « de se prononcer sur la composition du futur gouvernement et qu’il appartient aux responsables libanais de le faire en ayant à l’esprit l’intérêt général de tous les Libanais ». « Le seul critère doit être celui de l’efficacité de ce gouvernement, au service des réformes attendues par la population », selon elle.
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Le diplomate américain a également soulevé devant les trois pôles du pouvoir la question des violences pratiquées par les forces de l’ordre contre les manifestants. Il a estimé que les manifestations « non confessionnelles et majoritairement pacifiques reflètent les demandes du peuple libanais » et a appelé à l’ouverture d’enquêtes sur le comportement de la police à l’égard des manifestants, soulignant la nécessité de protéger ces derniers, a-t-on appris de mêmes sources.
Hassane Diab se trouve ainsi aujourd’hui face à trois défis, le plus urgent étant celui de la rue sunnite entièrement soulevée contre lui, en dépit des appels à la retenue lancés par Saad Hariri à ses partisans. Le deuxième est sa latitude à mettre en place une équipe apte à déclencher sans tarder un chantier de réformes structurelles à même de redresser rapidement la courbe descendante vertigineuse de l’économie et des finances publiques et à se soustraire à cet effet aux influences des politiques. Le troisième est de présenter un programme sérieux et exécutable, sur base duquel le Liban pourra espérer obtenir l’aide internationale.
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Le Premier ministre désigné a besoin de faire vite, le temps étant aujourd’hui un facteur qui joue contre lui. Le courant du Futur qui n’a pas voulu lui accorder sa couverture au moment des consultations parlementaires contraignantes reste déterminé à lui faciliter la tâche, mais à condition qu’il montre, aussi bien au niveau de la composition de son équipe que de son programme, qu’il se conforme à la volonté de changement du mouvement populaire plutôt qu’à celle des forces du 8 Mars qui ont avancé sa candidature. De sources proches de la Maison du Centre, on n’exclut pas dans ce cadre que le courant du Futur accorde sa confiance au gouvernement Diab si sa composition et sa déclaration ministérielle correspondent aux exigences de la contestation. On assure qu’il n’est pas question pour Saad Hariri de prendre aujourd’hui des décisions ou d’adopter des comportements qui risquent d’avoir des répercussions négatives sur le pays, d’autant que le Premier ministre sortant réalise à quel point la situation est dangereuse, notamment au niveau de la rue.
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commentaires (10)
Le seul hic de cette nomination est le fait que le chantage se pointera avec la première décision de ce malheureux qui ne sait pas qu'il a mis ses pieds dans un guêpier truffés de frelons asiatiques qui n'hésiteront pas à le piquer mortellement au premier acte patriotique. Il n'aura d'autres choix que d'obéir à leurs ordres même si le cabinet est formé selon la volonté du peuple. Le manque d'expérience politique n'est pas en sa faveur malgré toute la bonne volonté qui l'anime, il restera à jamais leur obligé puisque ce sont eux qui l'ont mis au devant de la scène. Et c'est pour mieux t'assommer mon enfant...
Sissi zayyat
12 h 26, le 22 décembre 2019