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Liban - Focus

Désignation de Diab : pourquoi le mouvement de contestation reste sceptique

Ni « indépendant » ni « chef d’un futur gouvernement de spécialistes »... Des protestataires du 17 octobre voient dans la désignation de ce candidat inattendu le résultat d’un nouveau partage des parts politique.

La nomination de Hassane Diab a provoqué une flambée de colère dans les régions à majorité sunnite, comme ici au Akkar. Des manifestations, de nature différente, sont programmées ce week-end, à l’appel du mouvement de contestation.

La désignation de l’ancien ministre Hassane Diab au poste de Premier ministre en a surpris plus d’un, les groupes civils actifs dans la révolte populaire inclus. Alors que M. Diab est présenté comme « un universitaire indépendant », et bien qu’il ait lui-même annoncé son intention de former un gouvernement de spécialistes conformément à la volonté du peuple, les appels aux manifestations se multiplient pour le week-end, ce qui indique que cette désignation suscite, pour le moins, le scepticisme de la rue. D’un autre côté, depuis les concertations parlementaires contraignantes jeudi à Baabda, une mobilisation dans les quartiers et régions à majorité sunnite exprime la colère de cette communauté qui rejette la mise à l’écart du Premier ministre démissionnaire Saad Hariri au profit d’une personnalité soutenue par le Hezbollah et ses alliés. Une rue « communautaire » vient-elle se greffer sur l’intifada ? Et à quoi peut-on s’attendre dans les jours à venir ? Jusqu’à quel point y a-t-il des divergences de vues au sein du mouvement de contestation du 17 octobre ?

« Hassane Diab est un nom sorti de nulle part, suite à des tractations entre des parties politiques, souligne un membre du conseil exécutif du Bloc national, qui a préféré garder l’anonymat. En fait, cette nomination est le résultat de la victoire d’un camp politique sur un autre, pas une réponse aux demandes de la révolte, qui veut une personnalité à la hauteur du défi de la situation actuelle, choisie sur des bases claires et transparentes. » Selon ce cadre du BN, le nom de l’ancien ambassadeur Nawaf Salam (qui a récolté 14 voix au cours des concertations, NDLR) n’aurait pas déchaîné une telle colère dans la rue. « Tout son parcours politique en fait un candidat aux antipodes de la classe politique libanaise, poursuit-il. Cela n’en fait pas le candidat de la rue pour autant, ce n’est pas à nous de proposer des noms, mais le choix de Nawaf Salam montre quels sont les paramètres et les standards qui sont les nôtres. Hassane Diab a été ministre de l’Éducation, et de nombreux points d’interrogation entourent sa prestation en tant que ministre. » Et d’ajouter : « Il faut tenir compte d’une autre dimension, celle de l’acceptation des communautés arabe et internationale. Même si elle reconnaît craindre les retombées d’un gouvernement monochrome sur le pays, la classe politique a fini par envisager cette option. Et si le nouveau Premier ministre se défend de vouloir former un tel cabinet, les modalités de sa nomination suggèrent qu’il est soutenu par le camp mené par le Hezbollah. Or souvent, c’est la perception qui compte. »


(Lire aussi : Diab au travail aujourd’hui sous l’œil vigilant de la communauté internationale)

Pourquoi n’avoir nommé personne ?

Le général Khalil Hélou, membre du Mouvement des militaires retraités, note une certaine divergence de points de vues au sujet de M. Diab au sein de ce groupe. « Les avis sont partagés, dit-il. Certains, comme moi, pensent que cette nomination est inacceptable et ne répond pas aux aspirations de la rue. D’autres appellent à donner un peu de temps à cette personnalité qui veut former un gouvernement de spécialistes. »

Pourquoi, selon lui, cette nomination est-elle inacceptable ? « Sur un plan personnel, Hassan Diab a un CV qui me paraît acceptable, et je ne tiens personnellement pas compte des rumeurs à son sujet, affirme-t-il. Toutefois, qui avait entendu parler de lui avant sa nomination ? Il a été parachuté sur la scène publique, alors que plusieurs noms sunnites jouissant d’une grande crédibilité circulaient depuis plusieurs semaines. M. Diab a été choisi par un cercle de pouvoir restreint formé du président de la République Michel Aoun, du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, du mouvement Amal et du Hezbollah. Et les députés ont nommé ce monsieur sans même savoir qui il est. Le même bon vieux partage des parts. »

Le général à la retraite est encore plus virulent contre les députés et les blocs qui n’ont nommé personne. « Est-ce possible qu’après cinquante jours, ils n’aient toujours pas une opinion sur la personne capable de diriger l’exécutif ? lance-t-il. Ils ont failli à leur devoir dans des circonstances très délicates. » Il ne croit pas non plus à la formation d’un gouvernement de spécialistes neutres. « À mon avis, avant sa désignation, Hassane Diab doit avoir accepté de ne se retirer sous aucun prétexte, notamment sous la pression de la rue, et de former un gouvernement tel que le veut le Hezbollah, dit-il. Et puis, pourquoi ont-ils accepté l’idée d’un gouvernement de spécialistes dirigé par M. Diab et l’ont-ils refusé avec Saad Hariri, sur qui ils faisaient pression pour un cabinet techno-politique ? Il s’agit d’une manœuvre d’après moi. »

Le général Hélou refuse l’idée de participer à d’éventuelles concertations que le nouveau Premier ministre pourrait effectuer avec l’intifada en vue d’une participation au gouvernement. « Nous sommes face à une impasse », lâche-t-il.


(Lire aussi : À Corniche Mazraa, la rue sunnite craint d’être devenue « la plus faible »)


Une répression croissante ?

Après la colère des régions « sunnites », peut-on dire qu’il y a plusieurs rues aujourd’hui ? Le général Khalil Hélou acquiesce. Tout en réaffirmant que l’intifada se distingue par rapport aux rassemblements à caractère confessionnel, il reconnaît que « la rue sunnite » qui a bougé ces derniers jours est formée de partisans du Futur purs et simples, mais aussi de révolutionnaires qui ont participé au mouvement. « Ces rassemblements sont mus par la perception que l’on a fait payer tous les maux de la République au seul Saad Hariri, et que personne ne réclame le départ de Nabih Berry ou de Michel Aoun », explique-t-il.

Le cadre du BN cité plus haut estime pour sa part que « depuis le premier jour de la révolte, il y avait des partisans de différentes formations, ceux du Futur sont plus visibles depuis deux jours, voilà tout ». Et l’intifada, elle, ne chôme pas. Il souligne que « l’appel à une grande manifestation aujourd’hui samedi vient de plusieurs groupes d’opposition qui affirment qu’ils sont toujours mobilisés et qu’ils sont contre la nomination de Hassane Diab ». Il ne nie pas qu’il existe certaines divergences de vues au sein des groupes. « La position la plus modérée que j’ai décelée vient de régions sous pressions, comme Tyr, où l’un des trois groupes actifs pense qu’il faut donner sa chance à Diab tout en restant mobilisés pour faire pression sur la classe politique », souligne-t-il.

La société civile poursuit donc ses manifestations et son appel à une désobéissance civile croissante et l’ampleur de la mobilisation ce week-end sera décisive. Les groupes de l’intifada craignent-ils davantage de répression pour paver la voie à un nouveau gouvernement ? « Cela est tout à fait possible, mais rien n’y fera, affirme Khalil Hélou. Les responsables ont déjà essayé de nous intimider de plusieurs manières, mais aucune n’a réussi. » Selon le cadre du BN, « si radicalisation il y a, elle proviendra des autorités et non de l’intifada ».


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commentaires (2)

Mais pourquoi donc fallait-il absolument une personnalité de la nomenklatura pour diriger le gouvernement? Il y a là, au sein des protestataires, une contradiction flagrante: soit ils réclament des têtes nouvelles n'ayant pas participé au naufrage du pays, soit ils veulent rééditer indéfiniment le même scénario. Oui M. Diab peut former un gouvernement de technocrates là où M. Hariri ne pouvait que jeter sa propre ombre sur une équipe apolitique. Laissons-lui une chance d'agir alors que le pays menace de s'effondrer. M. Hariri a très bien fait de démissionner mais il avait sans doute sous-estimé la force d'inertie des appareils des deux autres présidents qui s'accrochent en espèrant des jours meilleurs. Quant à Joumblatt, Geagea et consorts, leur attitude est inqualifiable, indigne car s'abstenir dans des conditions pareilles pour préserver leurs chances futures, c'est archi-nul. Comment faire un contrepoids au Hezbollah et au CPL dans ces conditions? Kelloun yaani kelloun.

Marionet

10 h 01, le 21 décembre 2019

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Commentaires (2)

  • Mais pourquoi donc fallait-il absolument une personnalité de la nomenklatura pour diriger le gouvernement? Il y a là, au sein des protestataires, une contradiction flagrante: soit ils réclament des têtes nouvelles n'ayant pas participé au naufrage du pays, soit ils veulent rééditer indéfiniment le même scénario. Oui M. Diab peut former un gouvernement de technocrates là où M. Hariri ne pouvait que jeter sa propre ombre sur une équipe apolitique. Laissons-lui une chance d'agir alors que le pays menace de s'effondrer. M. Hariri a très bien fait de démissionner mais il avait sans doute sous-estimé la force d'inertie des appareils des deux autres présidents qui s'accrochent en espèrant des jours meilleurs. Quant à Joumblatt, Geagea et consorts, leur attitude est inqualifiable, indigne car s'abstenir dans des conditions pareilles pour préserver leurs chances futures, c'est archi-nul. Comment faire un contrepoids au Hezbollah et au CPL dans ces conditions? Kelloun yaani kelloun.

    Marionet

    10 h 01, le 21 décembre 2019

  • MACHINATION, MARCHANDAGES ET ACCAPAREMENT MILICIENS ET CPL... ET SURTOUT INACCEPTABLE AUX REVENDICATIONS DE LA CONTESTATION. GOUVERNEMENT VOUE A L,ECHEC.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 46, le 21 décembre 2019

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