Le Premier ministre libanais Saad Hariri s'adressant aux Libanais à l'issue du Conseil des ministres, lundi 21 octobre 2019. Photo Dalati et Nohra
A l'issue d'un Conseil des ministres crucial présidé par le chef de l'Etat, Michel Aoun, au palais de Baabda, le Premier ministre, Saad Hariri, a annoncé lundi que son cabinet a approuvé le projet de budget 2020 et une série de réformes économiques sur lesquelles les partenaires de la coalition gouvernementale s'étaient entendus dimanche.
Cette réunion gouvernementale a été organisée alors que le délai accordé par M. Hariri à la coalition gouvernementale pour se mettre d'accord sur ces "réformes radicales" était arrivé à son terme et alors que des centaines de milliers de Libanais ne décolèrent pas contre la classe politique jugée corrompue et incapable de trouver des solutions à la grave crise économique et sociale qui perdure. Après le discours de M. Hariri, les manifestants affluant dans tout le Liban depuis jeudi soir ont continué de crier leur colère face à une classe politique accusée d'avoir laissé couler le pays. Vendredi, le Premier ministre avait laissé entendre qu'en l'absence de compromis sur un plan de sauvetage, le cabinet pourrait démissionner, répondant à une des revendications lancées par les manifestants.
Ces réformes prévoient notamment de réduire de moitié les salaires des présidents, des ministres et des parlementaires, en exercice ou honoraires, et de baisser divers avantages accordés aux hauts fonctionnaires. Le ministère de l'Information et d'autres institutions publiques seront purement et simplement supprimés et certaines seront fusionnées, a ajouté le Premier ministre. Le gouvernement va aussi accélérer la délivrance de licences pour construire de nouvelles centrales électriques, un moyen de répondre à la crise de ce secteur coûteux et défaillant qui pèse particulièrement sur les finances publiques. Les banques privées vont parallèlement contribuer à la réduction du déficit budgétaire à hauteur de 5.100 milliards de livres libanaises (3,03 milliards d'euros), par le biais notamment d'une taxe sur les bénéfices. Le projet de budget adopté en Conseil des ministres prévoit un déficit de 0,6% en 2020, a précisé Saad Hariri.
Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé un budget 2020 avec un déficit de seulement 0,6%, sans mise en place de nouveaux impôts. M. Hariri a également annoncé le début d'un travail sur une loi sur le recouvrement de l'argent volé, précisant que des avocats indépendants pourraient y contribuer, la création d'un comité nationale de lutte contre la corruption et la mise en place de scanners sur les points de passage frontaliers, ajoutant qu'un "conseiller financier" sera missionné pour examiner le secteur des télécoms.
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"C'est votre mouvement qui a conduit aux décisions"
Saad Hariri s'est ensuite adressé aux manifestants. "Le but de l'action politique est d'assurer la dignité du peuple, la souveraineté et l'indépendance du pays, et lui assurer les services essentiels", a-t-il déclaré. Le peuple "a fait preuve de beaucoup de patience, et aujourd'hui, il a explosé pour exprimer sa colère et exprimer ses revendications". "Ces décisions peuvent ne pas répondre à toutes vos revendications, mais elles répondent à ce que je demande depuis deux ans à mes partenaires au sein du gouvernement. Ces décisions n'ont pas été prises en vue d'un marchandage. L'adoption de ces réformes ne vise pas à mettre fin aux manifestations. C'est vous qui déciderez de le faire, personne ne vous impose de délai", a-t-il affirmé. Et de poursuivre : "Dans la rue, vous demandez de la dignité, de l'emploi et qu'on entende vos demandes. De mon poste de responsabilité, je dis que tout ce que vous avez fait ces derniers jours a cassé tous les obstacles. Vous êtes la boussole, c'est vous qui avez fait bouger le Conseil des ministres, c'est votre mouvement qui a conduit aux décisions. Il s'agit d'un nouveau départ pour le Liban".
Le Premier ministre a même affirmé son soutien à la tenue d'élections anticipées réclamées par les manifestants. "Votre voix est entendue, et si vous réclamez des élections anticipées (...) moi Saad Hariri je suis personnellement avec vous", a-t-il déclaré.
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Le PSP quitte la séance, pas le gouvernement
Le Conseil des ministres s'est tenu en l'absence des quatre ministres des Forces libanaises : le vice-président du Conseil Ghassan Hasbani, les ministres du Travail Camille Abousleimane, des Affaires sociales Richard Kouyoumjian, et de la ministre d’État pour la Réforme administrative May Chidiac. Ces derniers ont présenté le matin leur démission au secrétariat général du gouvernement et à la présidence, sur demande samedi de leur groupe parlementaire.
Les ministres du Parti socialiste progressiste, Waël Bou Faour (Industrie) et Akram Chehayeb (Éducation) ont, eux, pris part à la réunion alors que ce parti avait refusé la veille de participer à un gouvernement dont ferait partie le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil. Les ministres PSP se sont toutefois retirés peu avant la levée de la séance, protestant contre le fait que leurs nombreux commentaires, concernant le budget et les réformes, n'ont pas été pris en compte.
Lors d'une conférence de presse tenue peu après le Conseil des ministres, M. Bou Faour a déclaré que sa formation est insatisfaite des réformes et des mesures approuvées. Il a en outre dénoncé le comportement du CPL "qui agit comme si les manifestations n'avaient pas lieu". "Ce qui s'est passé aujourd'hui en Conseil des ministres, c'est la confrontation entre deux logiques de réformes", a déclaré M. Bou Faour, exposant ses griefs contre le "parti fort du mandat fort". "Certains agissent comme si les manifestations n'avaient pas lieu", a-t-il ajouté, soulignant que les ministres du PSP "mènent de l'intérieur la bataille des réformes". Le CPL "se comporte comme un dictateur au sein du gouvernement", a affirmé le ministre, estimant que certains ministères, comme celui des Affaires étrangères, dirigée par M. Bassil, "sont au-dessus des lois".
Concernant le dossier de l'électricité, M. Bou Faour a indiqué que les ministres PSP ont "réclamé au début de la séance que l'avis de la Direction des adjudications soit pris en compte dans les appels d'offre concernant les centrales électriques, ainsi que la nomination des membres du conseil d'administration d'Electricité du Liban et de l'autorité de régulation du secteur de l'électricité, loin de la logique des quotas et de la soumission politique". "Mais le CPL "a mis un veto sur certains noms proposés pour le conseil d'administration d'Electricité du Liban, et ce même parti, qui a refusé la nomination d'une autorité de régulation du secteur de l'électricité, s'oppose aujourd'hui au fait qu'elle n'ait pas été nommé aujourd'hui", a-t-il ajouté, pointant un changement dans la position du CPL sur ce sujet. M. Bou Faour a précisé que les ministres affiliés au PSP "ont quitté la séance du Conseil des ministres, mais pas le gouvernement". "Nous somme sortis car certaines de nos remarques n'ont pas été prises en considération", a souligné le ministre de l'industrie.
Dimanche, le PSP avait soumis sa propre feuille de route économique. "Certains de nos points, comme l'impôt sur les bénéfices des banques ou le soutien aux crédits-logement ont été pris en considération. D'autres non", comme la loi concernant les infractions sur les bien-fonds maritimes et fluviaux, a déclaré M. Bou Faour. "Nous avions demandé la suppression des caisses comme celles des Déplacés, du Conseil du Liban-Sud, du Conseil pour la reconstruction et le développement (CDR) ou du Haut-Comité de secours. Le gouvernement a décidé de réduire leur budget, mais cela ne nous satisfait pas", a notamment détaillé le ministre.
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"Généraliser la corruption, une grande injustice"
Prenant la parole au début de la séance, le chef de l’État avait pour sa part déclaré : "Ce qu'il se passe dans la rue est l'expression des souffrances du peuple, mais généraliser la corruption à tous les responsables est une grande injustice". "C'est pour cette raison qu'il faut au moins que nous commencions à lever le secret bancaire sur les comptes de toutes les ministres, actuels et futurs", a-t-il ajouté, selon des propos repris sur le compte Twitter de la présidence.
Le président du Parlement, Nabih Berry, contre qui les critiques étaient virulentes au début du mouvement de contestation, notamment parmi des populations normalement considérées comme sa base électorale, a rejeté les accusations de corruption. "Mon crime, c'est que je suis en faveur de l'unité du Liban et de sa protection", a-t-il souligné dans un entretien au quotidien an-Nahar. "Ceux qui lancent des campagnes (contre lui) sont financés par des parties internes et extérieures", a-t-il ajouté, affirmant qu'il "protégera le Liban jusqu'au dernier jours de sa vie".
Dans le centre-ville de Beyrouth, le 21 octobre 2019. AFP / Anwar AMRO
Sur le terrain, les protestataires étaient mobilisés à travers tout le pays, pour la cinquième journée consécutive. Et les annonces de M. Hariri n'ont pas réussi à les calmer. A Beyrouth et à Tripoli, ils ont assuré qu'ils allaient rester sur place et réclamé à nouveau le départ de Michel Aoun, de Saad Hariri et Nabih Berry. La majorité des grands axes de communication étant par ailleurs toujours coupés par des barrages informels, les appels se sont multipliés pour faciliter la circulation des professionnels de plusieurs secteurs, notamment de la santé et la presse.
Sur un autre plan, le ministre de l’Education, Akram Chehayeb, a laissé le choix aux directeurs d'établissements, fermés depuis vendredi, d'ouvrir leurs portes ou non mardi. "Au vu de la poursuite des mouvements populaires, j'appelle à nouveau les directeurs d'école, de lycée, d'instituts et d'universités à évaluer la situation et à ouvrir leurs établissements lorsque cela est possible", indique un communiqué publié mardi par le bureau de presse de M. Chehayeb. Les écoles catholiques et orthodoxes ont annoncé pour leur part qu'elles seront toujours fermées mardi.
L’Association des banques (ABL) a de son côté indiqué que les banques, fermées également depuis vendredi, seront à nouveau fermées mardi "dans l'attente du rétablissement de la situation dans le pays".
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commentaires (15)
On dirait que le président est tombé de la dernière pluie. Celle qui a éteint le feu. Il vient de réaliser que le peuple n’en peut plus et souffre. On s’attendait depuis 2006 à ce que ce Monsieur prenne les rênes de ce pays et mette chacun à sa place. Ou même il n’y a pas longtemps lorsqu’un barbu se permet de déclarer la guerre à x et y sans que LE PRESDENT de ce pays ne bouge son petit doigt pour arrêter cette mascarade. Il misait sur la division du peuple. C’est mal connaître les Libanais. Quelle honte d’en arriver là et quelle bonheur de voir tous Libanais unis
Sissi zayyat
19 h 18, le 22 octobre 2019