L'annonce par le Premier ministre libanais, Saad Hariri, à l'issue du Conseil des ministres lundi, d'une série de mesures, a été accueillie sous les huées dans le centre-ville de Beyrouth. "Nous refusons les propositions de Hariri, nous voulons la démission du gouvernement", lançait un manifestant, après le discours du Premier ministre. "Les gens n'ont plus confiance, nous resterons là jusqu'à ce qu'ils s'en aillent tous", lançait un autre manifestant, du haut d'une tribune.
Quelques heures plus tard, peu après 21h, des dizaines de partisans de Amal et du Hezbollah ont sillonné les alentours du centre-ville, en mobylette, en brandissant les drapeaux des deux partis. Selon des témoins interrogés par L'Orient-Le Jour, ils criaient : "Nous sommes venus !". Les médias locaux ont précisé que l'armée les a empêchés de descendre vers le centre-ville, ce qui a donné lieu à quelques accrochages. Un peu plus tard, les deux formations chiites ont démenti leur implication dans cet incident.
Le Conseil des ministres a approuvé le projet de budget 2020 et une série de réformes économiques sur lesquelles les partenaires de la coalition gouvernementale s'étaient entendus dimanche pour tenter de mettre fin à la contestation populaire, a annoncé Saad Hariri. Ces mesures prévoient notamment de réduire de moitié les salaires des présidents, des ministres et des parlementaires, en exercice ou honoraires, et de baisser divers avantages accordés aux hauts fonctionnaires. Le ministère de l'Information et d'autres institutions publiques seront purement et simplement supprimés et certaines seront fusionnées.
Le gouvernement va aussi accélérer la délivrance de licences pour construire de nouvelles centrales électriques, un moyen de répondre à la crise de ce secteur coûteux et défaillant qui pèse particulièrement sur les finances publiques. Les banques privées vont parallèlement contribuer à la réduction du déficit budgétaire à hauteur de 5.100 milliards de livres libanaises (3,03 milliards d'euros), par le biais notamment d'une taxe sur les bénéfices. Le projet de budget adopté en Conseil des ministres prévoit un déficit de 0,6% en 2020, a précisé Saad Hariri. Assurant qu'il ne cherchait pas, avec ces mesures, à acheter la paix sociale, le Premier ministre s'est dit prêt à convoquer des élections législatives anticipées si les manifestants en exprimaient la demande.
"Va-t’en, Va-t’en, toi et ton mandat !", ont répondu les manifestants en chœur, après ce discours. Des manifestants qui ont assuré qu'ils allaient rester sur place, et qui ont réclamé à nouveau le départ de Michel Aoun, de Saad Hariri et Nabih Berry. Au micro, un orateur a harangué la foule, affirmant que Saad Hariri n’avait pas évoqué des points importants comme l’éducation, la santé ou les opportunités d’emploi, et que les manifestants le rejetaient.
A Tripoli, les manifestants ont également annoncé qu’ils resteraient sur la place al-Nour où ils sont regroupés depuis jeudi soir. "Saad écoute, Berry écoute, Hassan (Nasrallah) écoute, on ne s’agenouillera pas. Vous êtes tous des voleurs", ont-ils crié.
A Zouk, les manifestants ont rejeté le plan, estimant qu'il arrivait trop tard. "Kellon yaani Kellon" (tous sans exception) ont-ils répété après la déclaration du Premier ministre, affirmant qu’ils n’avaient pas confiance dans le gouvernement, et proclamant leur détermination à rester sur place et à garder la route fermée. A Saïda, les manifestants ont proclamé par hauts parleur leur rejet du plan Hariri et appelé à poursuivre le mouvement de contestation.
"Faire tomber le système"
Avant la fin du Conseil des ministres, les manifestants, rassemblés dans le centre-ville, se disaient sceptiques quant à une possibilité de voir un véritable changement.
"Nous continuons jusqu’à ce que le gouvernement démissionne et que les responsables rendent des comptes. Nous devons réussir cette fois sinon ils vont nous piétiner", lançait Abed qui a une agence immobilière à Beyrouth, en matinée. "Nous sommes déterminés à rester, quelle que soit la décision de Hariri. A moins que ce ne soit démission du gouvernement, reddition des comptes et restitution de l’argent public", affirmait-il.
"Il ne s’agit pas de faire chuter le gouvernement. Mais de voir surgir une réelle initiative étatique de réforme, expliquait à notre correspondante sur place Farouk Yacoub, représentant du regroupement du 17 octobre, de gauche, anciennement mouvement de la gauche démocratique. Le chantier à mettre en œuvre est énorme: d’abord créer un État digne de ce nom qui ne fonctionne pas selon le mode du clientélisme mais se penche sur les problèmes quotidiens des citoyens". Il expliquait que les demandes de faire chuter le gouvernement, sont plutôt des appels à "faire tomber le système et le réformer complètement : annuler les privilèges de certains qui saignent l’État. Nous voulons bâtir un État".
Deux Libanaises francophones, Nada et Joumana, se demandaient quant à elles quelle sera la suite, vu que le Hezbollah est toujours armé. Elles faisaient part de leurs doutes : comment le gouvernement, qui n'a jusqu'à présent pas réussi à lancer des réformes dignes de ce nom pourrait le faire en quelques jours.
Même les anciens locataires étaient là et réclament une politique de l’habitat. D'autres groupes demandent l'annulation du confessionnalisme politique et l'instauration du mariage civil.
Dans un communiqué, le parti Sabaa, issu de la société civile, a pour sa part appelé les protestataires à ne quitter la rue qu’après la réalisation de ces quatre demandes, estimant qu'il s'agissait d'une opportunité pour bâtir un État.
1- la fixation d'une date pour des législatives anticipées
2- La démission du gouvernement actuel
3- Un accord sur un cabinet réduit composé de spécialistes pour organiser les législatives et prendre les mesures financières urgentes en attendant la formation d'un nouveau cabinet.
4- L'adoption de la loi sur la restitution de l’argent public (la vraie pas la tronquée).
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14 h 16, le 22 octobre 2019