Il est neuf heures quand Milad Hadchiti, coach en psychologie positive, arrive à Meksseh, à l’entrée de la Békaa, dans l’un des deux collèges de l’Unesco pour les réfugiés syriens. Lui ne vient pas pour les élèves mais pour leurs mamans. Il a animé un atelier pour accroître la capacité des femmes syriennes réfugiées au Liban à faire face à l’adversité et au stress.
Pour un non-initié, le jargon théorique peut sembler abscons : agilité émotionnelle, souplesse psychologique, résilience, mindfulness ou pleine conscience… Et sur le papier, le concept de ces ateliers paraît être une réponse bien éloignée aux problèmes quotidiens de ces femmes. D’ailleurs, sur la soixantaine de participantes attendues, seule la moitié sont venues.
Mais loin d’être découragé, M. Hadchiti croit en sa démarche, et dans la pratique, les concepts abstraits disparaissent. Seules restent ces trois heures dont il dispose pour redonner confiance à ces femmes installées, depuis près de 7 ans pour certaines, dans la précarité matérielle et psychologique. Quand l’une d’entre elles demande au début de l’atelier : « Si je pense positif, qu’est-ce qui va changer concrètement à ma situation présente? » il leur parle de l’importance de la santé de l’esprit et de son influence sur presque tous nos comportements. Et de prévenir, en guise d’introduction : « Vous ne pouvez pas changer tous vos problèmes, la situation en Syrie, la situation ici, mais vous pouvez changer votre façon de gérer ces émotions. »
Pour les amener à faire face à leurs émotions négatives de manière constructive, à les gérer plutôt que les subir, M. Hadchiti leur demande d’abord d’exposer leurs problèmes et leurs angoisses. Et dans chaque bouche reviennent les mêmes inquiétudes, l’avenir des enfants, le manque d’argent, les tensions familiales qui en découlent, les loyers qui augmentent. Dernière préoccupation en date, la possibilité de travailler pour les réfugiés syriens est actuellement au cœur d’un débat politique qui ne leur est guère favorable, le gouvernement libanais accentuant la pression sur les patrons pour ne plus embaucher de Syriens.
(Lire aussi : Réfugiés syriens : HRW dénonce une « pression illégitime » du Liban)
Explorer les émotions
En les laissant s’exprimer, M. Hadchiti rend la dizaine de femmes présentes ce jour-là plus réceptives, et après une série d’exercices de respiration, la phase constructive de l’atelier débute. Il leur demande de lister leurs forces et leurs atouts et leur apprend à explorer leurs émotions – qu’elles soient négatives ou non – pour éviter de ressasser des pensées négatives. Si certaines femmes possèdent déjà des clés pour faire face à l’adversité et au stress, en marchant par exemple à l’air libre, en respirant ou en faisant le vide dans leurs pensées, d’autres y répondent de manière négative, en fumant ou en intériorisant et refoulant constamment leurs émotions. L’objectif du coach est de les laisser repartir avec des outils pratiques qu’elles pourront reproduire à chaque fois qu’elles en sentiront le besoin.
Il leur explique que tous les sentiments sont nécessaires et qu’il ne faut pas chercher à les refouler : « La peur, par exemple, permet au cerveau d’irriguer notre corps d’adrénaline, ce qui se révèle très utile dans l’action. » Le stress résulte alors de cette incapacité à agir, à extérioriser ses émotions.
Interrogée à la pause, Maïssa, une des participantes à l’atelier, réfugiée au Liban depuis 7 ans et 5 mois, avoue ne jamais parler à personne de ce qu’elle ressent, de ses angoisses, de ses doutes. Elle intériorise toutes ses émotions et ne trouve un exutoire que dans la prière et la lecture du Coran. Quand le fardeau intérieur est trop lourd, elle pleure, seule encore.
Imane, elle, fait partie d’un groupe WhatsApp, une sorte de soupape où avec ses amies elles peuvent s’exprimer et échanger sur les problèmes du foyer, les soucis financiers ou encore les engueulades. Mais en 6 et 7 ans, ni Imane ni Maïssa n’avaient reçu de soutien de ce genre et la possibilité de parler de leurs problèmes ou d’écouter des conseils pour apprendre à gérer le stress présent mais aussi passé, et celui de l’avenir, toujours incertain.
Et s’il est évident que de tels ateliers ne peuvent remplacer la nécessité d’une aide matérielle pour subvenir aux besoins des familles, ils peuvent contribuer à la rendre plus efficace en y alliant une aide psychologique. Surtout lorsque l’on sait que l’état d’esprit des parents se transmet et affecte directement celui des enfants.
(Lire aussi : Huit ONG libanaises mettent en garde contre l'expulsion forcée de Syriens)
Ces quelques heures volées aux problèmes quotidiens ont fait l’unanimité dans l’assemblée, et c’est le sourire aux lèvres qu’Imane, Maïssa et le reste des participantes quittent la salle de classe, avec un souhait : celui que des ateliers comme celui-ci puissent être mis en place régulièrement. Et comme le glisse une membre de l’organisation, elle aussi visiblement sous le charme, ces formations bénéfiques devraient même être étendues à l’ensemble de la population. Contactée par L’OLJ, la chargée du programme éducation de l’Unesco dans la région a confirmé la volonté de l’organisation d’étendre le projet, sans toutefois donner plus de détails.
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commentaires (1)
Très bon travail, la parole à des vertus dont il faut profiter. Nous souhaitons à ces femmes réfugiées de se défendre le mieux possible.
Ev deparis
11 h 07, le 23 juillet 2019