À l’instar de certains pays européens qui ont basculé vers un radicalisme de droite en matière de réfugiés et de migrants, le Liban semble à son tour fermement engagé sur cette voie dans l’espoir de pouvoir faire pression en vue du rapatriement, coûte que coûte, de près d’un million de réfugiés syriens résidant sur son territoire.
Amorcée depuis plus d’un an, la campagne de xénophobie orchestrée au niveau officiel vise à diaboliser la catégorie vulnérable des réfugiés en lui imputant la responsabilité de la plupart des maux qui gangrènent le pays, une tactique politique qui, de l’avis de nombreux analystes, servirait à faire dévier l’attention de l’échec cuisant de la classe politique à endiguer la crise économique, dont les causes principales sont plutôt à rechercher dans l’absence de vision, de politiques publiques inadaptées et dans la corruption rampante.
Afin de contrer les stéréotypes véhiculés à l’encontre de la population des réfugiés et tenter d’atténuer le discours de haine et de rejet qui commence sérieusement à influencer l’opinion publique, une association, Réfugiés = Partenaires, regroupant des intellectuels, des professeurs d’université et des économistes, a été créée pour tenter d’inverser la courbe infernale et réhabiliter la relation entre les deux peuples dans un esprit constructif.
Tablant principalement sur des études scientifiques, l’association vise notamment à faire la lumière sur la réalité du « poids des réfugiés » et leur impact réel sur le pays, chiffres à l’appui.
« Il s’agit de faire la lumière sur certains discours erronés et préjugés répercutés par certains médias traditionnels en publiant des chiffres et des données plus fidèles à la réalité », confie à L’Orient-Le Jour Fatmé Ibrahim, chef de projet au sein de l’association.
De la crise économique jusqu’aux désastres écologiques, en passant par les menaces sécuritaires et l’accroissement des crimes de droit commun, ce sont autant de fléaux que l’on fait assumer, matraquage médiatique à l’appui, aux réfugiés régulièrement qualifiés de « lourd fardeau », que le Liban « ne peut plus supporter ».
Ce discours discriminatoire souvent infondé a malheureusement commencé à prendre racine au niveau de la base, faisant monter la tension entre les sociétés d’accueil et les réfugiés, laissant planer des risques sérieux, à court et moyen terme, de conflits et débordements de part et d’autre.
Jour après jour, les incidents se multiplient et l’animosité augmente, laissant éclater une haine refoulée qui se manifeste parfois par des empoignades. Ce fut malheureusement le cas, le 6 juin à Deir el-Ahmar, une rixe ayant opposé des réfugiés à une équipe de la Défense civile dans des circonstances qui restent pour l’heure assez floues. Ce face-à-face, qui n’est pas le premier du genre, a provoqué la colère des habitants et des élus de cette bourgade chrétienne qui réclamaient leur expulsion depuis un certain temps, mais aussi parmi les déplacés dont près de 700 ont été boutés hors des lieux.
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Cohésion sociale
En recourant à un contre-narratif destiné à sauvegarder la dignité des réfugiés, leurs droits et leurs devoirs dans le pays d’accueil, Réfugiés = Partenaires entend informer et sensibiliser autour de cette question délicate en vue d’une meilleure cohésion sociale, mais aussi pour inciter à l’adoption de politiques publiques adaptées à la situation et pouvant bénéficier aussi bien aux Libanais qu’aux réfugiés.
S’adressant à l’opinion publique et aux activistes, la campagne se fonde sur des faits concrets et des recherches académiques qui, sans occulter les difficultés et la complexité du problème, cherchent plutôt à rationaliser l’approche et à l’éloigner autant que possible de l’instrumentalisation politique, dont les conséquences risquent de devenir désastreuses et néfastes pour les deux parties.
À maintes reprises, des responsables politiques, avec à leur tête le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, avaient mis l’accent, dans des termes parfois qualifiés de racistes, sur les séquelles engendrées sur les plans économique et autres par la présence de réfugiés. Il y a deux semaines, le chef du Courant patriotique libre avait fait état de « milliards de dollars de pertes » pour le Liban du fait de la présence des réfugiés et un « taux de chômage très élevé », à cause de la « rude concurrence sur le marché de l’emploi ».
Pour les activistes et membres de Réfugiés = Partenaires, ce sont autant d’allégations « infondées », étant donné que les dernières études chiffrées sur le marché du travail « datent de 2009, soit avant même le début de la crise syrienne ». Idem pour la concurrence présumée que représenterait la main-d’œuvre syrienne au Liban, aucune étude statistique sur ce phénomène n’étant disponible auprès de l’État libanais.
Confusion
Pour Cynthia Saghir, assistante de recherche au sein de l’association, le problème est « la confusion faite entre l’impact de la crise syrienne dans son ensemble sur l’économie libanaise (la fermeture des frontières face à l’exportation des produits libanais notamment) et l’impact causé par la présence des réfugiés. C’est ce qui a notamment contribué à nourrir la rhétorique négative à l’encontre des déplacés ».
Les études effectuées par l’association démontrent que 84 % de la main-d’œuvre syrienne active travaillent dans l’agriculture et le bâtiment, « des secteurs autorisés par la loi libanaise bien avant la crise syrienne », peut-on lire dans l’un des graphiques publiés sur la page Facebook de l’association. On apprend aussi que sur les 952 562 réfugiés officiellement enregistrés, seuls 130 731 travaillent effectivement, le taux de chômage parmi la population active au sein des déplacés étant de 40,5 %.
Également parmi les données chiffrées que l’association met à la disposition du public, la somme totale des aides humanitaires perçues par le Liban entre 2013 et 2018, qui s’élève à 5,8 milliards de dollars, soit près d’un milliard de dollars par an, une somme réinjectée dans l’économie libanaise.
Outre les aides dépensées dans les domaines de l’approvisionnement, la nourriture, la santé et les déplacements, les réfugiés, dont plus de 80 % vivent dans des logements en dur (seuls près de 17 % se trouvent dans des camps informels), dépensent au total entre 383 et 530 millions de dollars par an en loyers. Quatre-vingt-cinq pour cent des Syriens installés au Liban possèdent un téléphone portable, une activité qui profite aussi bien aux sociétés de téléphonie mobile qu’à l’État.
Si l’association Réfugiés = Partenaires insiste pour faire la lumière sur certains faits et données erronés, elle n’occulte pas pour autant et de manière systématique l’impact, réel cette fois-ci, de la présence massive des réfugiés sur l’environnement et l’infrastructure, notamment l’eau et l’électricité, des services qui étaient cependant assez défectueux déjà bien avant l’arrivée des déplacés.
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deja que par principe , verite & experience, les staistiques sont souvent moyen a manipulation. je ne veux pas accuser de cela REFUGIES = PARTENAIRES, par contre je ne peux que douter de leurs chiffres , surtout s'agissant de celui indiquant le nombre de syriens - parmi ceux refugies inscrits -qui travaillent au Liban.
17 h 11, le 24 juin 2019