Mike Pompeo et Gebran Bassil au cours de leur conférence de presse conjointe, hier. Jim Young/Pool/Reuters
Venant d’Israël, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a débarqué au Liban hier en tenue de combat, et c’est en termes très peu diplomatiques et sans mâcher ses mots qu’il a dénoncé les « activités déstabilisatrices » du Hezbollah au Liban et invité les Libanais à faire preuve de « courage » dans leur opposition à « ses desseins hégémoniques ».
Fidèle à la lutte contre l’Iran dont l’administration Trump a fait l’axe principal de sa politique dans la région, M. Pompeo a accusé en substance le parti chiite de piller les ressources de l’État en faisant mine de jouer le jeu des institutions libanaises, mais, en réalité, en poursuivant une politique forgée en Iran à travers sa « branche armée terroriste ».
À peine sorti de sa rencontre avec le président de la Chambre Nabih Berry, il a assuré dans un tweet que les États-Unis et Israël se tiennent « côte à côte », comme pour réduire à rien symboliquement tous les propos qu’il venait de tenir avec M. Berry
Cette offensive a atteint son paroxysme dans une conférence de presse conjointe qu’il a tenue avec le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil. Toutefois, aux propos de M. Pompeo, les dirigeants ont tenu un seul langage : « Le Hezbollah est un parti libanais, et ses députés ont été élus par le peuple libanais ; certes, des divergences existent, mais l’unité interne et la paix civile passent avant toutes les divergences. »
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Une journée harassante
Venant d’Israël, après une première escale à Koweït, M. Pompeo a eu une journée harassante. Il a été reçu par le chef de l’État, le président de la Chambre et le président du Conseil, a rencontré la ministre de l’Intérieur Raya el-Hassan et le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, avant de se rendre au domicile du président du chef druze Walid Joumblatt et de rencontrer au siège de l’ambassade US, à Aoukar, le président des Forces libanaises, Samir Geagea, et son épouse. En soirée, il a assisté à un grand dîner offert en son honneur au domicile de Michel Moawad, député de Zghorta. Aujourd’hui, il pourrait poursuivre ses rencontres, et se rendre en particulier à Bkerké et au siège de l’archevêché grec-orthodoxe de Beyrouth.
À l’issue de sa réunion avec le président du Parlement, le chef de la diplomatie américaine a « insisté sur les préoccupations des États-Unis concernant les activités déstabilisatrices du Hezbollah au Liban et dans la région et les risques qu’elles représentent pour la sécurité, la stabilité et la prospérité du pays », a indiqué son porte-parole Robert Palladino.
Le Hezbollah n’a pas tardé à réagir aux propos lancés par le responsable américain. « Qu’est-ce que les Libanais attendent de l’Amérique et de son ministre des Affaires étrangères à part une incitation à la division du peuple libanais ? » se sont interrogées des personnalités proches de ce parti.
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Unité et fissures
L’unité de façade manifestée par les dirigeants n’a pas été sans quelques fissures, certaines parties locales s’étant montrées plus sensibles que d’autres aux propos musclés de M. Pompeo. C’est ainsi que sa visite à la ministre de l’Intérieur et au Premier ministre ont été, apprend-on, plus détendues que celles qu’il a effectuées au président Berry, puis au chef de l’État Michel Aoun. À Baabda, les observateurs ont noté que le président a fait attendre une petite minute durant le secrétaire d’État américain, qu’il n’a pas salué ses deux adjoints, David Hale et David Satterfield, et que M. Pompeo n’a pas signé le registre d’or de la présidence.
Avec Mme el-Hassan les soucis sécuritaires ont été mis en avant par le secrétaire d’État, notamment en ce qui concerne la sécurité de l’Aéroport international de Beyrouth.
Les écarts diplomatiques de M. Pompeo que certaines parties ont relevé s’insèrent, selon le politologue Sami Nader, dans un contexte géopolitique qui comprend deux grandes priorités : la confrontation avec l’Iran, et à cet égard, l’heure est aux pressions maximales. Ainsi, M. Pompeo s’est félicité de l’appel aux dons lancé récemment par le secrétaire général du Hezbollah à ses partisans, estimant que les mesures destinées à étrangler économiquement la République islamique commencent à porter leurs fruits.
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La carte géopolitique du gaz
Mais, analyse Sami Nader, il est un autre objectif, plus stratégique, que poursuivent les États-Unis. Il porte sur la nouvelle carte géopolitique du gaz en Méditerranée orientale. À cet égard, il a relevé qu’avant son arrivée à Beyrouth, un véritable sommet pétrolier et gazier s’est tenu en Israël, où ont débarqué le Premier ministre grec et des responsables chypriotes. La carte en question, précise-t-il, ne porte pas seulement sur la production, mais aussi sur la distribution des dérivés pétroliers, dans le cadre d’un projet de pipe-line qui alimenterait l’Europe, sans passer par l’espace contrôlé par la Russie. Sachant que l’un des engrenages de déstabilisation de la Syrie a pu être le projet de construction d’un pipe-line venant du Qatar, auquel le régime syrien se serait opposé.
Les propos de M. Nader expliquent pourquoi, dans la conférence de presse conjointe qu’il a tenue au palais Bustros, M. Bassil a invité les grandes compagnies américaines à participer aux appels d’offres lancés par le Liban pour l’exploitation de ses ressources gazières maritimes, regrettant le fait que, jusqu’à présent, ce sont uniquement des compagnies européennes et russes qui se sont alignées, en dépit des conflits d’intérêts qui opposent l’Europe à la Russie. Enfin, Sami Nader y a vu, dans la manière de faire de M. Pompeo, une ressemblance avec ce que les États-Unis tentent de faire en ce moment au Venezuela, où Washington fait de tout pour faire tomber la dictature du président Maduro, et faciliter la prise de pouvoir des forces de changement.
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Pas de « droit de rester » pour les déplacés syriens
Par ailleurs, des propos plus conventionnels ont été tenus par le secrétaire d’État américain. C’est ainsi qu’il a insisté sur « la nécessité (pour les États-Unis) de continuer à soutenir les institutions légitimes de l’État », en référence à l’aide financière et l’entraînement fournis par Washington à l’armée libanaise.
MM. Pompeo et Berry ont également discuté de « la nécessité de maintenir le calme le long de la frontière entre le Liban et Israël », a précisé le porte-parole du secrétaire d’État.
Le volet réfugiés syriens a également été abordé avec M. Pompeo, aussi bien par le président Aoun que par le ministre Bassil. Dans sa conférence de presse, ce dernier a souligné que « la nécessité d’un retour dans la dignité ne signifie pas un retour volontaire », et que la nécessité de réunir les conditions d’un retour dans la dignité « ne donne pas aux déplacés le droit de rester ».
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commentaires (15)
Il faut savoir ménager la chèvre et le chou! Le tout occidental ou le tout arabe ou tout iranien n’est pas bon , on l’a vu des centaines de fois en pratique et cela nous a coûté des décennies d’emmerdements . Donc soyez ouverts et pragmatiques.
L’azuréen
20 h 47, le 23 mars 2019