C’est une bien triste image que le Liban a renvoyée de lui-même, avant le sommet économique arabe, qui sera finalement boycotté par le président de la Chambre et chef du mouvement Amal, Nabih Berry, après sa querelle avec les deux pôles de l’exécutif au sujet de la participation de la Libye à ces assises, qui se sont ouvertes hier avec la conférence ministérielle de la Ligue arabe et qui culmineront demain avec la tenue du sommet au Seaside Arena, en l’absence des chefs d’État arabes, à l’exception de ceux de la Mauritanie et de la Somalie.
Le ministre sortant de l’Économie, Raëd Khoury (CPL), a beau considérer que le niveau de représentation, le plus bas dans l’histoire des sommets arabes, « n’aura aucun effet sur les réunions, puisque les sujets à débattre restent les mêmes » – dans une tentative, pas très réussie, de minimiser l’importance de la désaffection arabe –, il reste que cette explication, trop simpliste, ne peut cacher ni la fracture entre le Liban et les pays arabes ni le conflit de fond, au sommet de l’État, sur les choix stratégiques du pays et sur le véritable pouvoir de décision.
L’absence des chefs et des dirigeants arabes au sommet montre, conformément à une première lecture faite par des analystes politiques, que le Liban est sorti de son milieu naturel arabe à partir du moment où il a accepté de se placer sous l’influence iranienne, donnant ainsi raison aux responsables iraniens qui se vantaient l’an dernier de ce que Téhéran contrôlait quatre capitales arabes, Damas, Bagdad, Sanaa et Beyrouth.
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Le forcing effectué par Amal, soutenu par le Hezbollah, d’abord pour obtenir la participation de la Syrie au sommet, ensuite pour empêcher la Libye d’y prendre part, à cause de son conflit avec Tripoli au sujet de la disparition de l’imam Moussa Sadr, a surtout montré l’absence d’un pouvoir central au Liban, ou plutôt l’incapacité du pouvoir central à défendre les choix stratégiques du pays, face à une autorité qui puise sa force dans ses armes et sa capacité à investir les rues. Le conflit qui a éclaté au grand jour entre les trois pôles du pouvoir au sujet de ces deux dossiers et qui a fait que Nabih Berry a décidé de boycotter le sommet pour protester contre ce qui est perçu dans ses milieux comme un manque de solidarité de la présidence de la République et du Premier ministre désigné, Saad Hariri, par rapport à l’affaire Sadr, risque de laisser des traces sur les rapports futurs entre les trois et de compliquer davantage la formation du gouvernement et la crise politique dans le pays.
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Cela est d’autant plus vrai qu’on a pu constater, à la faveur du conflit autour de la participation de la Libye au sommet, l’émergence d’une nouvelle dynamique politique qui s’est manifestée par des regroupements politiques communautaires autour des autorités religieuses. On cite dans ce cadre la réunion du Conseil supérieur chiite qui a pris fait et cause pour Nabih Berry, celle des députés et des chefs maronites à Bkerké, pour soutenir la présidence de la République et le fonctionnement des institutions, celle des druzes autour du cheikh Akl druze, destinée à réaffirmer la légitimité de l’institution du cheikh Akl au moment où l’on parle de l’émergence d’une opposition druze, proche de l’axe syro-iranien. Une telle dynamique, si elle perdure, risque bien d’accentuer la fracture dans le pays, en bouleversant les alliances en place et les bases sur lesquelles elles avaient été scellées. Pour l’heure, le conflit tourne autour des causes du boycottage du sommet par les chefs d’État arabes. Dans les milieux du Hezbollah, on indique que ce sont les États-Unis qui auraient encouragé les dirigeants arabes à ne pas venir à Beyrouth. On interprète ce boycottage par une volonté des pays de la Ligue arabe d’adresser un message fort au Liban à cause de son positionnement politique en faveur de l’axe syro-iranien. Dans le camp opposé, hostile aux menaces et aux actes déstabilisant qui ont fini par pousser la Libye à renoncer à venir à Beyrouth, on s’offusque de voir des partis politiques vouloir dicter au Liban sa politique étrangère. Mais une fois le sommet terminé, le discours politique devra changer. Les trois pôles du pouvoir pourront-ils faire semblant que rien ne s’est passé ?
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"Le Liban a accepté de se placer sous l'influence iranienne..." L'Etat libanais n'a jamais accepté officiellement de se placer dans la zone d'influence de l'Iran. Ce sont les armes de la milice iranienne au Liban qui ont imposé l'état actuel de l'Etat indépendant et souverain du Liban. Il y a quelques jours, un responsable iranien a déclaré sans honte que le Liban est dans la zone d'influence iranienne (sic) même Staline n'avait jamais méprisé la petite Bulgarie en disant qu'elle était sous l'occupation soviétique.
14 h 29, le 19 janvier 2019