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Sans queue ni tête(s)

Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !

(Victor Hugo, Les Châtiments)

Aux dernières nouvelles, il en restait quand même deux. Deux, sur les 21 rois et chefs d’État que compte la Ligue arabe, à confirmer leur présence à cette conférence socio-économique qu’abrite Beyrouth et qu’il faut bien continuer, malgré tout, d’appeler un sommet. Si ces téméraires sont bien là en personne, c’est qu’ils sont en charge qui de la Somalie, qui de la Mauritanie, les deux membres les plus défavorisés de la grande famille arabe ; armés d’une bonne dose d’optimisme, ravalant toute considération d’amour-propre, ils escomptent de leurs frères plus fortunés qu’ils les aident concrètement à sortir de l’ornière.


Sans être encore un de ces damnés de la Terre, le Liban aurait sacrément besoin, lui aussi, d’un tel soutien arabe, si tant est que la Ligue garde quelque trace de son esprit de famille. Mais même si cela était, comment donc aider un pays qui refuse obstinément de s’aider lui-même, qui offre l’affligeant spectacle d’un microcosme livré aux luttes intestines entre des chefs irresponsables ; un pays incapable de se gouverner et où la notion même d’État perd chaque jour du terrain face au blocage des institutions, aux agissements miliciens et à la corruption ambiante ?


De par son niveau de représentation, et avant même d’en présager les résultats, ce sommet est sans conteste un flop sans précédent dans les annales, pourtant riches en déconvenues, des rencontres interarabes. Or ce sommet foireux, le Liban n’était pas idéalement placé pour l’accueillir, si ce n’était l’excellence de l’hébergement, d’ailleurs vantée par le secrétaire général de la Ligue. Notre pays s’est trouvé lamentablement écartelé entre l’exigence d’une participation de la Syrie et celle d’une exclusion de la Libye, toutes deux brandies par une même formation politique – mais aussi paramilitaire – relevant d’un homme qui se trouve occuper la digne position de président du Parlement.


Dès lors, des actes de vandalisme ont été commis sans la moindre réaction de la force publique, des menaces de refoulement ou même de séquestration à l’aéroport de Beyrouth ont été proférées contre tout représentant libyen qui se hasarderait à y débarquer : peine perdue, puisque la Sûreté générale, agissant de son propre chef sans nul égard pour les souhaits du chef de l’État, avait pris les devants en invalidant les visas délivrés aux Libyens ! Tant de surréelles anomalies avaient amplement de quoi choquer, inquiéter et irriter les participants au sommet, dont l’absence équivaut clairement à une sanction.


Non moins hallucinante cependant est la performance déployée, à la réunion ministérielle préparatoire du sommet, par le ministre des Affaires étrangères. À son poste, le gendre du chef de l’État s’est surtout illustré, lors des précédentes conférences de la Ligue, par ses entorses à la règle de la solidarité arabe, en refusant de se joindre à la condamnation quasi unanime des ingérences iraniennes dans les affaires des États membres. Cette complaisance pour Téhéran, complètement étrangère aux traditions diplomatiques libanaises, nous a d’ailleurs valu plus d’une grave crise avec les royaumes pétroliers du Golfe, où travaillent des centaines de milliers de nos concitoyens.


C’est le même ministre pourtant qui, avec un bel aplomb, prêchait hier à ses pairs fraternité et solidarité face aux interférences étrangères, pressant le monde arabe de ne pas abandonner le Liban. C’est lui encore qui, faisant fi des sentiments d’une partie substantielle de l’opinion locale, comme des intérêts bien compris du Liban, plaidait vigoureusement pour une réhabilitation arabe de la Syrie. Et c’est lui enfin qui évoquait la vision idyllique d’une région arabe partageant en toute fraternité liaisons ferroviaires, ports, barrages, gazoducs et même… réseaux électriques. Car il s’y connaît, cet ancien ministre de l’Énergie à qui les Libanais doivent une bonne partie de leurs misères en matière de fourniture de courant.


On a beau avoir écopé d’un délirant sommet sans têtes dirigeantes, c’était là pousser le bouchon beaucoup trop loin.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! (Victor Hugo, Les Châtiments)Aux dernières nouvelles, il en restait quand même deux. Deux, sur les 21 rois et chefs d’État que compte la Ligue arabe, à confirmer leur présence à cette conférence socio-économique qu’abrite Beyrouth et qu’il faut bien continuer, malgré tout, d’appeler un sommet. Si ces téméraires sont bien...