Envers et contre tous les efforts du président de la République Michel Aoun – qui devrait s’entretenir avec le Premier ministre désigné Saad Hariri après son retour de Londres –, le gouvernement attendu depuis plus de six mois continue de buter sur le fameux obstacle sunnite, né de l’insistance du Hezbollah à intégrer ses alliés sunnites à la future équipe ministérielle.
Et pour cause : le différend opposant le Premier ministre désigné au parti chiite au sujet de la représentation des parlementaires sunnites gravitant dans l’orbite du 8 Mars ne cesse de s’aggraver. D’autant qu’aussi bien M. Hariri que les alliés sunnites du Hezbollah continuent de camper sur leurs positions respectives. C’est cette impression que l’on pourrait dégager des propos tenus hier par Jihad el-Samad, député de Denniyé, et membre de la Rencontre consultative regroupant les députés sunnites hostiles à M. Hariri.
Dans une interview accordée hier à la chaîne al-Jadeed, M. Samad a fait savoir que lors de leur entretien avec le chef de l’État à Baabda mercredi dernier, les députés sunnites du 8 Mars avaient réitéré leur insistance pour prendre part au futur gouvernement par le biais de l’un des six membres de la Rencontre. « Nous voulons participer au gouvernement dans le cadre de la quote-part réservée à la communauté sunnite. Et nous refusons de puiser notre siège dans le lot du bloc Le Liban fort », a-t-il ajouté.
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Il est évident qu’à travers ces propos, Jihad el-Samad laissait entendre que son groupe refuserait toute solution qui serait axée sur une éventuelle intégration des députés sunnites pro-Damas dans la quote-part relevant du chef de l’État. Une façon pour ces parlementaires de confirmer que le bras de fer actuel les oppose à Saad Hariri exclusivement.
Une position à laquelle le secrétaire général du Futur, Ahmad Hariri, a réagi sans mâcher ses mots : « Certains voudraient voir le Premier ministre désigné se plier aux conditions du Hezbollah et d’un groupe parlementaire qui le représente. Mais cela ne se produira ni aujourd’hui, ni demain, ni dans une centaine d’années », a-t-il affirmé lors d’une cérémonie à Tripoli, appelant « ceux qui ont créé le problème actuel » à la résoudre. « D’autant que le chef de l’État a indiqué dès le premier jour que les députés en question ne sont pas en droit de plaider pour une représentation gouvernementale. » Et d’ajouter : « Le chef du gouvernement désigné n’approuvera pas un cabinet taillé à la mesure du Hezbollah. D’ailleurs, sa mouture est prête et connue aussi bien par le président de la République que par le chef du législatif. »
M. Hariri a assuré que Saad Hariri « ne sera pas brisé », de même que les rapports entre Baabda et la Maison du Centre, dans la mesure où l’attachement de Michel Aoun et Saad Hariri au compromis présidentiel est à même de préserver la stabilité politique et sociale. « Saad Hariri n’a jamais tardé à faire des sacrifices quand ils étaient dans l’intérêt du pays. Sauf que ce dont il est question aujourd’hui n’a rien à avoir avec ceci. Il ne s’agit que d’une tentative de porter atteinte à la représentation politique de Saad Hariri », a encore dit le secrétaire général du Futur.
Tentant d’expliquer les raisons de l’attachement des haririens à leur position, un proche de la Maison du Centre souligne à L’Orient-Le Jour que « M. Hariri n’acceptera aucunement que des gens gravitant dans l’orbite de Bachar el-Assad soient présents dans son cabinet. Ainsi, toute concession de sa part à ce sujet est exclue ».
Mais le ministre sortant des Finances Ali Hassan Khalil, conseiller politique du président de la Chambre Nabih Berry, ne perçoit pas les choses sous cet angle. S’exprimant lors d’une cérémonie jeudi, il a lancé un appel à « tous les protagonistes » à faire « un pas en arrière », assurant que « cela ne constituerait aucunement un échec ». Selon un observateur politique contacté par L’OLJ, le ministre sortant exhortait ainsi implicitement M. Hariri à s’entretenir avec ses rivaux sunnites.
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Le tiers de blocage
Quoi qu’il en soit, Michel Aoun semble de plus en plus déterminé à opérer une percée au niveau des tractations gouvernementales. À en croire des sources proches de Baabda citées par notre correspondante Hoda Chedid, le chef de l’État poursuit ses contacts en vue de la mise sur pied d’un cabinet d’entente nationale qui regrouperait tous les protagonistes. D’autant que la conjoncture économique actuelle ne permet pas le luxe des atermoiements.
C’est d’ailleurs dans une volonté manifeste d’appuyer ces efforts que le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, s’est rendu hier à Baabda pour un entretien avec M. Aoun. À l’issue de la rencontre, le chef de l’Église maronite a implicitement critiqué l’insistance des parlementaires sunnites du 8 Mars à participer au futur cabinet. « Il ne suffit pas de venir ici et de dire au président : “C’est ce que je veux. Cela n’est pas un dialogue” », a-t-il dit, soulignant que le pays ne saurait fonctionner avec une telle attitude (lire par ailleurs).
En attendant la rencontre Aoun-Hariri, la polémique autour du tiers de blocage a repris de plus belle hier. Deux jours après des propos du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil dans lesquels il avait assuré que son parti ne cherchait pas à obtenir cette proportion au sein du cabinet, Jihad el-Samad a évoqué le sujet pour la deuxième fois en l’espace de quelques semaines. « Je refuse qu’un parti détienne le tiers de blocage », a-t-il lancé.
Certes, le positionnement politique de M. Samad confère à ses propos une certaine importance dans la mesure où ils pourraient être interprétés comme une position appuyée par le Hezbollah. Mais un proche du parti chiite affirme à L’OLJ que sa formation se soucie peu de cette question. « Ce qui nous importe le plus, c’est que la représentation de nos alliés sunnites au cabinet soit respectée et assurée », ajoute-t-il.
Même son de cloche à Baabda et chez le CPL. Selon des sources de la présidence, le chef de l’État n’a jamais demandé le tiers de blocage. Il n’a même pas évoqué la question avec le Premier ministre désigné. Mais il s’est entendu avec ce dernier sur une quote-part présidentielle de quatre ministres.
Interrogé par l’agence al-Markaziya, un député du groupe parlementaire Le Liban fort a naturellement emboîté le pas à Michel Aoun et Gebran Bassil, assurant que son parti n’a pas besoin du tiers de blocage. « Le fait d’évoquer ce problème maintenant n’est qu’une tentative de détourner l’attention de l’obstacle réel : la représentation des sunnites du 8 Mars », ajoute-t-il.
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commentaires (9)
Ok, bon, alors plus la peine d'y penser, on se donne tous rendez-vous dans 100 ans. Yallah, khalikoun!
Wlek Sanferlou
18 h 22, le 16 décembre 2018