Répondant aux questions de Marcel Ghanem sur la MTV, le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a plaidé hier soir en faveur d’une plus grande souplesse de la part de tous les protagonistes de la crise gouvernementale et parlé d’une nouvelle étape dans la vie du Liban où tout le monde doit faire preuve de réalisme et de pragmatisme. M. Joumblatt a estimé, en particulier, qu’on ne peut pas « prendre de haut Saad Hariri », mais que, parallèlement, « si ce dernier est véritablement le père de tous les sunnites comme il le dit, il devrait accepter de recevoir les six députés sunnites qui gravitent dans l’orbite du Hezbollah et du 8 Mars ».
La politique est faite « de souplesse et d’adaptation », a dit M. Joumblatt, regrettant avoir lui-même, dans une période antérieure, prononcé des jugements à l’emporte-pièce qui enflamment l’opinion.
« J’ai mis du temps à l’apprendre, mais je défends aujourd’hui le dialogue pacifique », a-t-il dit. Et de se donner en exemple de souplesse, en affirmant qu’il a fini par accepter d’être représenté par deux ministres druzes, et non pas trois. « Nous nous disputons pendant que le compteur de la dette marche, a gravement dit le leader druze, et dites-moi combien de temps peut tenir le pays, quels que soient les montages financiers du gouverneur de la Banque du Liban ? »
« Il y a plus grave que le gouvernement, a enchaîné M. Joumblatt, il y a la dette publique et il y a les réformes. » Et de déplorer que le Liban n’ait pas su, au fil des années écoulées, procéder à la moindre réforme dans les domaines de l’infrastructure, comme celui de l’électricité. À ce sujet, M. Joumblatt a réitéré son hostilité au néo-libéralisme et en général à la privatisation de ce qui doit être considéré comme « fortune nationale » et propriété de tous les Libanais.
Il a dénoncé le cartel qui domine le secteur de l’électricité et la privatisation « en secret » de la centrale de Deir Ammar, sans adjudication, sur base de la loi sur le Partenariat public-privé (PPP). Et le pire, a-t-il dit, c’est que nous n’avons « pas pu nous y opposer » en Conseil des ministres.
Tout au long de l’émission, d’ailleurs, M. Joumblatt a parlé de l’échec de toute une classe politique à produire des réformes qui conduiraient à l’État des institutions. « L’échec est collectif et nous y avons notre part, puisque nous faisons partie de ce système », a-t-il reconnu.
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Un régime brutal
Répondant aux questions de son interlocuteur, Walid Joumblatt s’en est vivement pris au régime syrien du président Bachar el-Assad et à ses « méthodes brutales », à savoir la liquidation physique de ses opposants.
C’est une intention de ce genre qu’il a identifiée, dans l’organisation par les partisans de Wi’am Wahhab d’une manifestation au cours de laquelle des cortèges de voitures, dont certains des occupants étaient armés, ont paradé jusqu’à Moukhtara.
Pour M. Joumblatt, il y avait là une sorte d’avertissement qui lui était adressé. Une accusation que, dans un tweet, M. Wahhab a nié, précisant que « ni lui ni le régime syrien n’étaient au courant de cette parade » qu’il a qualifiée « d’erreur ».
De son côté, M. Joumblatt a, lui aussi, utilisé le mot « erreur » pour qualifier l’équipée contre Jahiliyé lancée par une force du bureau des renseignements des FSI, en principe pour lui transmettre un mandat de comparaître, mais en fait, selon le leader druze, pour lui transmettre un mandat d’amener et le traîner vers un dépôt de Beyrouth.
« On ne mobilise pas 150 hommes pour aviser un homme qu’il est convoqué par un juge d’instruction », a dit M. Joumblatt. Au passage, M. Joumblatt a estimé que la balle qui a tué Mohammad Bou Diab pourrait bien être une balle perdue. En tout cas, « nous avons échappé à une discorde par miracle », a répété le leader de Moukhtara. Et c’est par un haussement d’épaules que M. Walid Joumblatt a accueilli l’idée qu’un front druze pourrait être formé contre son leadership par Talal Arslane, Wi’am Wahhab et Salim Daoud ; tout en réitérant qu’en raison des équilibres internes du Liban « personne ne peut éliminer l’autre ».
(Lire aussi : Formation du gouvernement : "Nous sommes dans les 100 derniers mètres", assure Hariri)
Recentrage
Sur ses rapports avec le Hezbollah, vers lequel il semble avoir opéré un nouveau recentrage, M. Joumblatt a affirmé avoir compris que ce dernier parti ne voulait pas la déstabilisation du pays ou de la Montagne, et qu’on est donc « loin d’un nouveau 7 Mai ». En tout état de cause, a-t-il estimé, « il faut que le Liban politique assimile la présence du Hezbollah, ou bien on va vers un changement de la formule libanaise ».En ce qui concerne la phase politique actuelle, M. Joumblatt a critiqué la nouvelle loi électorale, affirmant « qu’elle n’a rien de proportionnel et que chaque communauté a élu ses députés ».
Il a souligné qu’il ménage Michel Aoun parce que ce dernier est « un zaïm du Mont-Liban » et que lui-même a l’obsession d’éviter une discorde islamo-chrétienne dans la Montagne. Mais il a conclu sur une note sombre : « Le Liban de Zaki Nassif et de Feyrouz n’est plus. Nous sommes dans un autre Liban. Mais le Liban reste, et il vaut la peine qu’on le défende. »
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commentaires (9)
Faire avec et composer en consequence et en connaissance de cause. L’art de la Diplomatie au Levant. Une attitude courageuse.
Cadige William
11 h 45, le 15 décembre 2018