L'ancien président Camille Chamoun (g) et le chef des Forces libanaises, Bachir Gemayel, le 12 février 1981. Photo d'archives OLJ
La réconciliation historique entre les formations chrétiennes des Forces libanaises de Samir Geagea et des Marada de Sleiman Frangié, le 14 novembre dernier, est la dernière en date d'une longue série de rapprochements entre factions libanaises ennemies qui se sont affrontées durant la guerre civile (1975-1990). Ces initiatives, qui se sont multipliées depuis le déclenchement de la guerre civile, sont destinées à tourner la page du passé et panser les stigmates de la guerre, au niveau des partis et formations du moins, mais certaines d'entre elles sont également motivées par des considérations politiques.
Retour sur les principales réconciliations de ces 40 dernières années.
Les Kataëb et le PNL
Amine Gemayel, son frère Bachir Gemayel, Camille Chamoun et Pierre Gemayel, le père d'Amine et
de Bachir, le 27 août 1982. Photo d'archives OLJ
En 1980, Bachir Gemayel, à la tête des Forces libanaises, essaie de réunir sous sa coupe, de gré ou de force, toutes les autres milices chrétiennes qui affrontent les fedayine palestiniens et le Mouvement national (rassemblement des partis et forces palestino-progressistes sous la houlette de Kamal Joumblatt, NDLR) depuis cinq ans. Le 7 juillet 1980, les forces phalangistes lancent une offensive dans plusieurs régions chrétiennes contre la modeste milice des Tigres (Noumour el-Ahrar), l'aile armée du Parti national libéral de l'ancien président Camille Chamoun (1952-1958), dirigée par son fils, Dany Chamoun. Le siège opérationnel des Tigres se trouve à Safra, sur le littoral du Kesrouan. Lors de ce « jour des longs couteaux », 83 miliciens des Tigres sont tués. Dany Chamoun, lui, réussit à s'échapper à Beyrouth-Ouest, avant de partir pour Londres.
Le soir même du massacre, Bachir Gemayel et Camille Chamoun se rencontrent. L'histoire raconte que les deux hommes se sont donné l'accolade ce jour-là. À ses partisans, Camille Chamoun a déclaré qu'il pourrait perdre Dany et ses hommes, « mais pas perdre la société chrétienne ».
L'assassinat de Dany Chamoun et de sa famille, le 21 octobre 1990, pour lequel Samir Geagea a été condamné à perpétuité avant d'être libéré en 2005 après le retrait des troupes syriennes, n'a jamais entamé l'alliance entre les deux formations.
La réconciliation de la Montagne
Le leader druze Walid Joumblatt et le patriarche Sfeir à Moukhtara, le 4 août 2001. Photo d'archives OLJ
La « guerre de la Montagne » éclate en 1983 entre des miliciens druzes du Parti socialiste progressiste (PSP) de Walid Joumblatt et des miliciens chrétiens des Forces libanaises, après le retrait de l’armée israélienne de la région du Chouf. Des milliers de personnes sont tuées au cours de ces affrontements, des églises et des maisons sont détruites et des centaines de chrétiens se retrouvent forcés de quitter leurs villages.
Après la signature des accords de Taëf en 1989, M. Joumblatt prend langue avec le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir. En 1992, un ministère des Déplacés, chargé de mettre en œuvre les programmes nécessaires au retour dans leurs villages et régions d’origine de tous les déplacés libanais, est créé. En août 2000, le président Amine Gemayel effectue une visite à Moukhtara où il signe solennellement avec le leader du PSP, Walid Joumblatt, un « pacte d'honneur », premier pas vers une réconciliation entre les deux communautés.
Pour sceller au plan populaire la réconciliation entre druzes et chrétiens, le patriarche Sfeir effectue, du 3 au 5 août 2001, une visite historique dans la montagne du Chouf, marquée par l'accueil triomphal du chef de l'Église maronite au palais de Moukhtara. Il s'agit du premier acte politique d'union transcommunautaire accompli sous la tutelle syrienne. Il fut également l'embryon du futur mouvement du 14 Mars, en opposition à la tutelle syrienne.
La réconciliation druzo-chrétienne connaît en 2010 un nouvel épisode avec la visite de M. Joumblatt auprès du chef du Courant patriotique libre, Michel Aoun.
Échange d’amabilités entre Michel Aoun et Walid Joumblatt, le 11 janvier 2010 à Rabieh. Charbel Nakhoul/AFP
Les Kataëb et les Palestiniens
Le chef des Kataëb, Amine Gemayel, et le représentant de l'Organisation pour la libération de la
Palestine, Abbas Zaki, le 19 août 2008. Photo D.R.
Le 8 janvier 2008, le représentant de l’OLP au Liban, Abbas Zaki, proclame « la déclaration de la Palestine au Liban » dans laquelle il présente ses excuses aux Libanais pour les conséquences de la présence palestinienne au Liban, invitant les Libanais et les Palestiniens à tourner la page du passé. Le 13 avril de la même année, une délégation de l'OLP au Liban est reçue au siège des Kataëb à Saïfi, dans le centre-ville de Beyrouth, dans le cadre d'une rencontre de réconciliation.
Le CPL et les FL
Le chef des FL, Samir Geagea, et le leader du CPL, Michel Aoun, à Meerab, le 18 janvier 2016. ALDO AYOUB / AFP
En 1989, Michel Aoun, nommé à la tête d'un gouvernement militaire par le président Amine Gemayel à la fin de son mandat, lance l'armée à l'assaut des milices FL. C'est le début de la « guerre d'élimination », une période de combats fratricides meurtriers dans les zones chrétiennes qui dure plus d'un an et divise durablement le camp chrétien.
Après avoir combattu la tutelle syrienne, Samir Geagea et Michel Aoun, qui dirigent les deux plus grandes formations politiques sur la scène chrétienne, prennent à nouveau des chemins politiques opposés pendant 10 ans jusqu'à l'été 2015. Le palais de Baabda est sans locataire depuis plus d'un an, après la fin du mandat du président Michel Sleiman en mai 2014. Toutes les séances consacrées à l'élection d'un chef d'État sont avortées, faute de quorum et d'accord.
Après plusieurs semaines de discussions sous la houlette d'Ibrahim Kanaan pour le CPL et de Melhem Riachi pour les FL, les deux plus grandes formations chrétiennes signent alors une déclaration d’intention commune, appelant les chrétiens à agir pour parer le vide présidentiel, couronnée par une visite de Samir Geagea à Rabieh.
Comme pour prendre de vitesse la candidature à la magistrature suprême de Sleiman Frangié, qui bénéficie du soutien de Saad Hariri, les deux partis accélèrent leur rapprochement. Le 18 janvier 2016, Michel Aoun se rend pour la première fois à Meerab pour une rencontre avec Samir Geagea qui déclare son soutien à la candidature de Michel Aoun. Ce dernier est élu président en octobre 2016. Depuis, les relations entre les deux formations au sein du gouvernement et lors des élections législatives se sont détériorées.
Les FL et les Marada
Le chef des Marada, Sleiman Frangié, le patriarche Mgr Béchara Raï et le chef des Forces libanaises,
Samir Geagea, le 14 novembre 2018 à Bkerké. Photo AFP/Forces libanaises/Aldo Ayoub
Dans le sillage de la volonté de Bachir Gemayel d'unifier les milices chrétiennes autour de lui, l'une d'elles, les brigades des Marada, dirigées par Tony Frangié, le fils de l'ancien président Sleiman Frangié (1970-1976), pose un problème à Bachir Gemayel en raison de ses positions prosyriennes.
Le 13 juin, un commando de la milice Kataëb, dont faisait partie Samir Geagea, lance un assaut contre les Marada dans la région d'Ehden, dans le caza de Zghorta, et assassine Tony Frangié, son épouse Véra, sa fille de trois ans Jihane et une trentaine de combattants Marada. L'autre fils de Tony Frangié, Sleiman Frangié, doit sa survie à son absence des lieux.
Pendant 40 ans, les Forces libanaises et les Marada, dirigées ensuite par Samir Geagea et Sleiman Frangié, s'affrontent sur le terrain politique, notamment sur les relations avec la Syrie. Le 14 novembre dernier, après plusieurs semaines de rencontres et d'entretiens tenus secrets entre représentants des deux camps, les deux hommes se retrouvent au siège du patriarcat maronite à Bkerké. Le patriarche Mgr Béchara Raï salue une « rencontre historique » entre les deux responsables, qui signent un document confirmant « leur volonté commune de tourner la page du passé ».
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commentaires (8)
Le président Amine Gemayel, voilà ce qu'il écrivait en 1988 dans "ses mémoires" intitulé *l'offense et le pardon*. : "Dans la bataille entre l'arme qui asservit et l'opinion bâillonnée, entre le fusil qui tue et la plume qui interpelle, j'ai choisi mon camp"
Sarkis Serge Tateossian
19 h 20, le 02 décembre 2018