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À La Une - Retour sur l'histoire libanaise

L'accord de Taëf, trois semaines de négociations pour un texte fondateur et controversé

Signé le 22 octobre 1989, ce document est décrié par de nombreux responsables et plusieurs des points qu'il prévoit doivent toujours être mis en pratique.

Des députés libanais dans un bus au retour de Taëf, en octobre 1989. Photo Archives L'OLJ

Il y a vingt-neuf ans, le 22 octobre 1989, 58 députés libanais signaient, au terme de trois semaines de négociations, un accord visant à mettre un terme à près de quinze ans de guerre civile. Ce document a été entériné à Taëf, en Arabie saoudite, sous l'impulsion d'une "troïka" assignée par la Ligue arabe, et composée du Maroc, de l'Algérie et de l'Arabie saoudite.

Bien qu'à son adoption, le contenu du texte ait été décrié par de nombreux responsables, dont Michel Aoun qui était alors président d'un cabinet de militaires, et que plusieurs des points qu'il prévoit doivent toujours être mis en pratique, l'accord de Taëf est aujourd'hui considéré par la majorité de la classe politique comme fondateur et régulièrement rappelé dans les discours politiques actuels.

Retour sur cet épisode fondamental de la dernière année de la guerre libanaise. 


"Profond clivage"
Les premiers mois de l'année 1989 sont particulièrement violents pour le Liban, divisé en deux entre le gouvernement de Michel Aoun, nommé en septembre 1988 par le président sortant Amine Gemayel, et celui de Salim Hoss, reconnu par la Syrie et les leaders musulmans. Le 14 mars, Michel Aoun lance la "Guerre de libération" contre les troupes syriennes déployées sur le territoire, et à Beyrouth, les bombes s'abattent sans répit sur l'ouest comme sur l'est. En janvier 1990, des combats opposeront par ailleurs l'armée aux Forces libanaises dirigées par Samir Geagea. 

Face à ce chaos, les Etats membres de la Ligue arabe se réunissent en mai 1989 afin d'assurer le maintien d'un fragile cessez-le-feu et de travailler à un règlement politique du conflit. La Ligue nomme à cet effet un comité, composé des chefs d'Etat algérien, marocain et saoudien et de diplomates de ces pays, notamment l'émissaire de l'organisation au Liban, Lakhdar Brahimi. Au terme de mois de prise de contacts et de tractations entre les différentes parties, cette "troïka" invite les députés libanais à discuter de l'avant-projet d'un document d'entente nationale, développé par les médiateurs arabes en concertation avec la Syrie. 

A la veille de ce cycle de discussions, L'Orient-Le Jour annonce "une bataille politique ardue en raison du profond clivage qui sépare le camp chrétien des alliés de Damas". 


La Une de L'OLJ du 30 septembre 1989. Photo Archives L'OLJ


"Chicaneries"
Le 29 septembre 1989, soixante-deux députés libanais se mettent donc en route pour l'Arabie, au départ de Beyrouth, Paris et Larnaca, à Chypre. Leur réunion à Taëf, la première depuis plus d'un an, est considérée comme informelle, les parlementaires n'étant constitutionnellement pas habilités à tenir une réunion officielle hors de la capitale libanaise. La presse parle néanmoins d'une réunion "historique". Le correspondant de L'OLJ, présent dans le "centre de villégiature" saoudien, raconte qu'il faut être sur place pour "sentir la formidable pression morale et le poids de la responsabilité qui pèsent sur les députés", qui font tous part à la presse de leur détermination à enfin tourner la page de la guerre. 

Dès le début des discussions, les députés sont toutefois en désaccord sur plusieurs sujets essentiels, comme l'abolition du confessionnalisme politique et la présence syrienne. Les pourparlers sur ces questions sont donc temporairement reportés, le temps pour les parlementaires d'aborder les questions de réformes structurelles.  

Après une dizaine de jours de négociations, durant lesquelles l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, joue un rôle clé en coulisses, la situation est au point mort et le fossé continue de se creuser entre les deux parties. "Le mirage de Taëf. Plus on croit s’en approcher, plus il s’éloigne", résume L'OLJ du 13 octobre 1989, soulignant que les 62 Libanais "ont réussi l’exploit d’impatienter, par leur impuissance à s’entendre au bout de treize jours de débats, de chicaneries et d’arguties, l'impassible diplomate prince Séoud el-Fayçal (ministre saoudien des AE, NDLR), ainsi que ses homologues marocain et algérien(...)". 

Le volet "administratif" du document d'entente nationale fait pour finir l'objet, le 15 octobre, d'un accord, qui est toutefois menacé d'imploser si les parties ne s'entendent pas sur la suite des négociations. 


La Une de L'OLJ du 16 octobre 1989. Photo Archives L'OLJ



"Le problème-clé du retrait syrien"
Ce même 15 octobre, "le problème-clé du retrait syrien est enfin sur le tapis et les députés de l'Est engagent des tractations difficiles avec la troïka", annonce le correspondant de L'OLJ à Taëf. Les chrétiens militent notamment pour que les délais établis dans le document de base pour le retrait des Syriens soient revus à la baisse, voire stipulés, lorsque ce n'est pas le cas. 

Pendant ce temps, les principaux acteurs du conflit restés à Beyrouth suivent de près les développements des négociations. Du côté musulman, les leaders druze et chiite, Walid Joumblatt et Nabih Berry, se rendent à Damas afin de s'entretenir avec les autorités syriennes de l'avancement des tractations des députés. Des sources proches du camp prosyrien indiquent alors que les réformes comprises dans le document d'entente nationale en cours de négociations seront acceptées, mais qu'il n'est par contre "pas question de changer un iota aux dispositions concernant le redéploiement des troupes syriennes au Liban".

A Beyrouth-Est, Michel Aoun réclame pour sa part sans relâche des garanties du retrait syrien, menaçant les députés "qui ne tiendraient pas compte de la souveraineté et de l'indépendance du Liban à rester là où ils sont" et refusant "toute concession" sur la souveraineté. 


La Une de L'OLJ du 24 octobre 1989. Photo Archives L'OLJ



"C'est la Syrie qui décide"
Après un aller-retour du ministre saoudien des AE à Damas, afin de présenter aux autorités syriennes les amendements demandés par les députés libanais chrétiens, et des amendements "mineurs" finalement apportés au document initial, 58 des 62 députés présents à Taëf approuvent, le 22 octobre, le texte final de l'accord.

Du point de vue des réformes, ce document réorganise entre autres les pouvoirs entre les trois présidents, en diminuant les prérogatives du président de la République au profit des chefs du Législatif et de l'Exécutif et il augmente le nombre de députés de 99 à 108. Il prévoit également la création d’un Sénat, qui doit être établi après l’abolition du confessionnalisme politique, la décentralisation administrative et la dissolution de toutes les milices, libanaises ou non.  Concernant la présence de Damas au Liban, l'accord souligne que les forces syriennes "auront la bienveillance d’aider les forces de la légalité libanaise à étendre l'autorité de l'Etat libanais" et prévoit, dans un délai de deux ans, le regroupement de toutes les forces syriennes dans la Békaa, sans en dater le retrait définitif.

En adoptant un accord dont la mouture de base avait été pré-approuvée par la Syrie et auquel n'ont été apportées que des modifications anecdotiques, les députés, y compris ceux de l'Est qui militaient pour un retrait des troupes étrangères du Liban, tournent une nouvelle page du conflit au Liban, qui n'est pas celui de la résolution politique voulue mais de la consécration de l'emprise syrienne sur le pays. 

Dans une interview, le député de Jbeil Raymond Eddé, volontairement exilé à Paris depuis le début de la guerre et qui n'a pas assisté aux pourparlers, estime que "le compromis adopté transforme le Liban d'un pays sous mandat syrien à un pays colonisé par la Syrie et consacre, dans son essence, le fait qu'au Liban, c'est la Syrie qui décide". A partir de cette date, en effet, et jusqu'au retrait des troupes syriennes quinze ans plus tard, la politique libanaise sera sous la coupe de Damas, et notamment, les Premiers ministres, dont les pouvoirs ont été renforcés par Taëf, seront officieusement nommés par les autorités syriennes. 

C'est en raison de ces risques que cet accord est, dès le début, catégoriquement rejeté par Michel Aoun qui le qualifie d'"atteinte à la souveraineté de l'Etat et de légitimation des crimes commis par la Syrie au Liban". Pour ôter toute légitimité au texte, M. Aoun dissout le Parlement, mais sa démarche reste sans effet pratique. Il est soutenu dans sa prise de position par de nombreuses manifestations, regroupant des milliers de Libanais et par un mouvement de grève générale dans tous les quartiers Est de la capitale, qui se poursuivra jusqu'à après l'élection du nouveau président, René Mouawad, le 5 novembre 1989, deux semaines avant qu'il ne soit tué dans un attentat.

Du côté musulman, et particulièrement chiite et druze, le document est critiqué avec virulence, surtout en ce qui concerne les réformes administratives. Qualifiant l'accord de "jeu absurde et ridicule", Walid Joumblatt affirme notamment qu'il "ne servira à rien". "L'alliance maronites-sunnites-conservateurs a gagné contre l'axe minoritaire alaouites-druzes-chiites", regrette-t-il.

Dans les faits, et alors que les amendements constitutionnels nécessaires à la mise en œuvre de l'accord de Taëf sont adoptés par le Parlement le 21 août 1990, les réformes fondamentales évoquées dans le texte tardent à voir le jour. La guerre n'a pris fin qu'un an plus tard, avec l'exil forcé de Michel Aoun ; Les Syriens n'ont quitté le Liban que quinze ans après la signature du texte, le 26 avril 2005 ; le Hezbollah n'a pas encore déposé les armes ; et, près de trente ans plus tard, le Liban attend toujours le confessionnalisme politique, la décentralisation administrative et la création d'un Sénat.


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Il y a vingt-neuf ans, le 22 octobre 1989, 58 députés libanais signaient, au terme de trois semaines de négociations, un accord visant à mettre un terme à près de quinze ans de guerre civile. Ce document a été entériné à Taëf, en Arabie saoudite, sous l'impulsion d'une "troïka" assignée par la Ligue arabe, et composée du Maroc, de l'Algérie et de l'Arabie saoudite. Bien qu'à son...

commentaires (4)

Je suis triste de lire tout ça mais ça n'a pas change avant c'était les syriens et maintenant les iraniens

Eleni Caridopoulou

17 h 00, le 22 octobre 2018

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Commentaires (4)

  • Je suis triste de lire tout ça mais ça n'a pas change avant c'était les syriens et maintenant les iraniens

    Eleni Caridopoulou

    17 h 00, le 22 octobre 2018

  • mais dans les textes … si l'accords de Taef avait été appliquer dans son intégralités les syriens seraient sortie du liban avant 2000

    Bery tus

    15 h 39, le 22 octobre 2018

  • puisqu'on parle Musulman/Chretien, c'est bien de rappeler comment les chefs Musulmans sans exception ont tous defendu becs et ongles les interets syrien aux depends du Liban....apres on se plaint que les syrien et acolytes ont assasine hariri/chatah/hassan/etc...

    George Khoury

    12 h 15, le 22 octobre 2018

  • Que des humiliations pour notre pays ... La raison ? Qui peut être autre ? Que notre égo et nos divisions incessantes, irréfléchies, intestines.

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 00, le 22 octobre 2018

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