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Liban - Retour sur l’histoire

Pourquoi, en 1991, des députés libanais étaient nommés plutôt qu’élus...

Le 23 mai, Élie Ferzli était élu à la vice-présidence du Parlement issu des législatives du 6 mai. À cette occasion, une ligne dans sa biographie faisait remonter à la surface un épisode de l’histoire récente du Liban : en 1991, M. Ferzli et des dizaines d’autres députés, dont Nabih Berry, avaient été « nommés », et donc pas élus, au Parlement. Retour sur cette incongruité de l’histoire récente du pays du Cèdre.

Le président du Parlement libanais, Hussein Husseini, en 1990. Photo d’archives/L’Orient-Le Jour

Le 3 mai 1972, trois ans avant le début de la guerre civile libanaise qui durera 15 ans, les Libanais élisaient leurs 99 députés au Parlement. Ils étaient censés renouveler la Chambre en 1976. Mais en 1975, la guerre éclate, et avec elle, tout le fonctionnement institutionnel du pays. Durant 20 ans, le Liban n’organisera pas d’élections. Le mandat de la Chambre sera renouvelé chaque deux ans. En 1989, avant la fin du conflit, le Parlement s’octroie une nouvelle rallonge prévue techniquement jusqu’en 1994.

Entre-temps, l’accord de Taëf, signé en Arabie saoudite fin 1989, met un terme à la guerre civile. La nouvelle Constitution du 21 septembre 1990 prévoit alors d’instaurer la parité islamo-chrétienne au Parlement. Avant Taëf, 54 sièges étaient réservés aux communautés chrétiennes, et 45 aux communautés musulmanes, pour un total de 99 sièges (sur base d’une proportion de 6 sièges pour les chrétiens contre 5 pour les musulmans, soit un nombre de députés multiple de 11 conformément à un accord conclu en ce sens lors de l’indépendance de 1943). La nouvelle Loi fondamentale prévoit le rajout de neuf sièges réservés aux députés musulmans, portant le nombre total de sièges à 108, répartis de manière égale entre les deux religions.

Le 23 mai 1991, après l’arrêt des combats, une nouvelle loi voit le jour et consacre cette parité. Mais il n’y aura pas d’élections. « Pour une seule fois », les sièges vacants (de parlementaires décédés depuis 1972) et les neuf nouveaux sièges seront pourvus par nomination, stipule l’accord de Taëf. C’est le gouvernement de Omar Karamé qui procédera à ces nominations, considérées par divers milieux comme une atteinte flagrante à la démocratie, à l’époque où le Liban était sous la tutelle du régime syrien.

Retour sur cet épisode qui a marqué l’histoire moderne du pays du Cèdre.


(Lire aussi : Parlement libanais : Le grand bond en arrière...)


Une vive polémique
1991. Le Liban est présidé par Élias Hraoui, Omar Karamé dirige le gouvernement et Hussein Husseini préside la Chambre. Avec la fin de la guerre civile, les chefs de milice troquent le treillis pour le costume-cravate et se préparent à intégrer la vie politique, le tout sous l’œil de la Syrie voisine avec qui le Liban vient de signer un « accord de coopération et de fraternité ».

Sur les 99 sièges de la Chambre, seuls 73 sont encore occupés par les députés, raconte Hussein Husseini, dans un entretien accordé à L’Orient-Le Jour. En vertu de l’accord de Taëf, il fallait donc pourvoir ces sièges vacants et ceux nouvellement créés, « exceptionnellement, et pour une seule fois, par désignation faite par le gouvernement d’Entente nationale (...) ».

Mais début juin 1991, la pilule ne semble pas passer. Dans son édition du 4 juin 1991, L’Orient-Le Jour parle de la « polémique de plus en plus vive que suscitent les nominations parlementaires ». « Lors de son approbation par le gouvernement, on croyait que la polémique était tombée et que la page était tournée. Et voilà que la question explose comme une bombe et menace sérieusement la cohésion du gouvernement. » Non moins de 348 candidats se présentent. Parmi eux, les 13 ministres en exercice, à l’exception de Hagop Jokhadarian qui accepte de retirer sa candidature.


(Lire aussi : Considérations sur le nouvel ordre parlementaire libanais)


« Compromis à la libanaise »
Les tractations battent leur plein, les ex-seigneurs de la guerre et notables politiques veulent s’assurer une part du gâteau et la compétition est rude. « Michel Murr, ne trouvant vraisemblablement rien d’autre, a fini par présenter sa candidature au siège de Mounir Aboufadel de Aley. Or, deux jours auparavant, le secrétaire général du Parti communiste libanais, Georges Haoui, menaçant l’État de toutes les foudres des nationalo-progressistes s’il n’obtenait pas satisfaction, briguait ce siège en proclamant qu’il avait passé un accord avec M. Murr et qu’il avait confiance dans la parole de ce dernier… », peut-on lire dans L’OLJ. Élie Hobeika, qui pensait initialement (…) au siège du Metn laissé vacant par Amine Gemayel (après son accession à la présidence de la République en 1982), s’est rabattu sur le siège de Pierre Gemayel (fondateur des Kataëb) à Beyrouth pour lequel le parti avait nommé son chef de section à Achrafieh, Alfred Madi. Certaines figures du paysage politique, comme Dory Chamoun et Samir Aoun, refusent toutefois de participer à ces nominations.

Les désaccords sont profonds et concernent même la manière de faire les nominations. Faut-il qu’elles se fassent par vote à main levée ou au scrutin secret ? « Aux partisans du scrutin secret, nettement moins embarrassant, les opposants, dont le chef du législatif, répliquent que le gouvernement n’a pas le droit de se constituer en collège électoral », peut-on lire dans nos archives.

Finalement, dans la nuit du 6 au 7 juin 1991, « tractations, marchandage et net arbitrage syrien ont déblayé la voie à temps, le tout débouchant sur un compromis “à la libanaise” », écrit L’OLJ. À minuit cinquante, le ministre de l’Information de l’époque, Albert Mansour, lit le nom des députés désignés. Parmi eux, on retrouve Élie Hobeika, Michel Murr, Élie Ferzli, Walid Joumblatt, Nayla Moawad, Nassib Lahoud ou encore Nabih Berry, qui décroche le siège chiite nouvellement créé pour la circonscription de Zahrani.



Réunion chez Ghazi Kanaan
Les obstacles qui entravaient ces nominations ont été surmontés lors d’une réunion « discrète » dans la soirée du 5 juin à Chtaura, au domicile de Ghazi Kanaan, le chef des services de renseignements syriens au Liban. Le chef de l’État libanais de l’époque, Élias Hraoui, le Premier ministre Omar Karamé et le chef de l’état-major syrien Hikmat Chehabi étaient présents. La priorité allait être donnée aux ex-chefs de milice qui étaient devenus proches de Damas, à savoir Élie Hobeika, qui dirigeait les Forces libanaises après la scission avec Samir Geagea, Walid Joumblatt, à la tête du Parti socialiste progressiste, et Nabih Berry qui dirige le mouvement Amal. Georges Haoui, assassiné en 2005, et qui dirigeait à l’époque le Parti communiste, sera exclu du deal, en faveur de Michel Murr qui fait figure d’exception, sachant qu’il n’a jamais dirigé de milice. Côté logistique, il a fallu réaménager l’hémicycle à la hâte pour pouvoir accueillir 108 députés, alors que celui-ci ne prévoyait que 99 places.


(Lire aussi : Élie Ferzli, un retour par la grande porte)


« Passer de l’état de guerre à celui de la paix »
Le ministre de l’Information de l’époque, Albert Mansour, affirmait dans un entretien accordé à la chaîne LBCI (et dont des extraits ont été repris dans le numéro du 10 juin 1991 de L’OLJ) que « la nomination des députés est le résultat d’un compromis visant à représenter toutes les communautés et les régions au sein de l’Assemblée nationale ». Il reconnaissait que ces nominations visent à « passer de l’état de guerre à celui de la paix et ne constituent guère une opération démocratique ».

Le président de la Chambre de l’époque, Hussein Husseini, se voulait plus optimiste. « Tous les courants se trouvent désormais intégrés dans la Chambre, le conflit armé se transformant en saine lutte politique », affirmait-il.

Ce n’est qu’en 1992, lors des premières élections parlementaires après la fin de la guerre civile, que le nombre de sièges à la Chambre passera de 108 à 128, les vingt nouveaux sièges étant répartis à égalité entre les chrétiens et les musulmans. Les formations chrétiennes avaient toutefois boycotté ce scrutin de 1992, à l’appel du patriarche maronite Nasrallah Sfeir.

M. Husseini explique que le passage de 108 à 128 sièges, qui sera consacré par la loi électorale de 1996 dite de « Ghazi Kanaan », était le fruit d’une entente libano-syrienne. Celle-ci permettait aux factions politiques libanaises de faire élire un nombre supérieur de leurs partisans à l’hémicycle. Quant à la Syrie, dirigée à l’époque par Hafez el-Assad, elle s’était assurée que ces nouveaux élus étaient proches de son camp...



Portrait

Qui est Elie Ferzli, élu vice-président du Parlement


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commentaires (5)

Mauvais souvenirs, certes, mais excellent rappel des faits. Merci

Abichaker Toufic

17 h 48, le 31 mai 2018

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Commentaires (5)

  • Mauvais souvenirs, certes, mais excellent rappel des faits. Merci

    Abichaker Toufic

    17 h 48, le 31 mai 2018

  • LES ATTEINTES A LA DEMOCRATIE SONT UN FOLKLORE NATIONAL DANS L,ATOLL LIBAN !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 32, le 31 mai 2018

  • Quand la république vacille ....

    Sarkis Serge Tateossian

    07 h 38, le 31 mai 2018

  • "Parmi eux, on retrouve Élie Hobeika, Michel Murr, Élie Ferzli, Walid Joumblatt, Nayla Moawad, Nassib Lahoud ou encore Nabih Berry"....Vous avez devant vous le nom de ceux qui on fait la plus grande courbette devant le regime des assad pour arriver a etre nominé. Des noms pour la posterite....qui ont vendu le Liban au plus bas prix

    George Khoury

    06 h 31, le 31 mai 2018

  • Merci, merci du fond du cœur pour ce ""Retour sur l'histoire"". Comment penser notre Histoire après avoir lu dans une précédente édition, je cite : ""Le Liban a une vieille tradition de pratiques démocratiques, solidement ancrée dans sa réalité sociale. Une tradition ancestrale que quelques égarements ne sauraient en aucun cas ébranler."" Ces nominations, quand on est battu à plate couture par l’occupant, ne sont que des égarements ! Passant par perte et profit quelques hommes d’honneur… Merci.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    03 h 31, le 31 mai 2018

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