Des soldats syriens devnat l'entrée du palais présidentiel de Baabda, le 13 octobre 1990. Photo d'archives AFP
Le 13 octobre 1990, près d'un an après la signature de l'accord de Taëf qui devait mettre fin à la guerre mais a consacré l'emprise de la Syrie sur le Liban, les troupes de Damas prennent d’assaut, avec le blanc-seing de la communauté internationale, les régions tenues par l’armée libanaise sous le commandement du général Michel Aoun, opposé à la pax syriana et retranché au palais de Baabda. Au terme de cette journée sanglante, l'homme qui avait lancé la "guerre de libération" contre la Syrie, 19 mois plus tôt, annonce sa reddition puis se réfugie à l'ambassade de France à Beyrouth avant de quitter le Liban dix mois plus tard.
Retour sur cet épisode charnière et les événements l'ayant précédé, dont le triste souvenir reste vivace pour les Libanais, et plus particulièrement les nombreux partisans du général qui ont vu leur héros accéder, 26 ans plus tard à la tête de l’État libanais en 2016, 11 ans après son retour d'exil de 15 ans.
Aoun à Baabda
Le général Issam Abou Jamra (g), le général Michel Aoun (c), et le général Edgar Maalouf (d), en 1989. Photo d'archives OLJ
En 1988, le Liban est plongé depuis 13 ans dans la guerre civile et se dirige vers une crise institutionnelle majeure. Le Parlement ne parvient pas à élire un successeur au président Amine Gemayel. Le 22 septembre, quelques heures avant le terme de son mandat, ce dernier nomme le commandant en chef de l'armée Michel Aoun à la tête d'un gouvernement provisoire de six ministres officiers, dont les chrétiens Issam Abou Jamra et Edgar Maalouf, qui prennent leurs quartiers au palais de Baabda. Mais les trois autres membres de ce cabinet, musulmans, refusent d'y siéger.
Candidat déclaré à l'élection présidentielle de 1988, Michel Aoun, nommé à la tête de l'armée quatre ans plus tôt, jouit alors d'une forte popularité. Porté par ses victoires militaires, notamment à la tête de la 8e brigade qui combat la milice du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, appuyée par la Syrie, sur le front de Souk el-Gharb, il développe un discours politique basé sur la défense de l'indépendance et la souveraineté du Liban.
Taëf et les guerres d'Aoun
Le 14 mars 1989, Michel Aoun annonce le lancement de la "guerre de libération" contre l'armée syrienne et les milices qui la soutiennent, devant des milliers de partisans rassemblés devant le palais de Baabda, rebaptisé par ces derniers la "Maison du peuple", dans un discours dont la phrase d'introduction "Ô grand peuple du Liban" est restée dans les mémoires. Sept mois plus tard, le 22 octobre 1989, l'impasse politico-militaire pousse les députés libanais à signer l'accord de Taëf, en Arabie saoudite, qui propose un réaménagement institutionnel et le maintien de l’armée syrienne sur le territoire libanais de façon indéfinie. Michel Aoun s'y oppose fermement.
Le 5 novembre, les députés libanais élisent un président de la République, René Moawad, mais il est assassiné deux semaines plus tard. Le 24 novembre, ils se réunissent à nouveau et élisent Élias Hraoui. Michel Aoun, dont le gouvernement cohabite depuis sa nomination par M. Gemayel avec celui de Salim Hoss, ne reconnaît pas la légitimité de cette élection et en appelle au peuple. Le 26, M. Hraoui demande à Michel Aoun de capituler. Le 28, le chef de l'Etat nomme Émile Lahoud à la tête de l'armée libanaise en lieu et place du général Aoun.
Pendant plusieurs mois, des milliers de partisans, qui dénoncent le diktat de Damas, se donnent rendez-vous dans les jardins du palais de Baabda pour soutenir le général Aoun. Ce dernier et ses partisans résistent, mais la situation devient intenable. En janvier 1990, le général lance une guerre d'"élimination" contre les Forces libanaises de Samir Geagea qui, partie prenante à l'accord de Taëf, adoucit ses positions face à la Syrie et se rallie au président Hraoui.
(Lire aussi : Liban-Syrie : un siècle de relations fiévreuses)
Le tournant de l'invasion du Koweït
La position de Michel Aoun se détériore lorsque les troupes irakiennes de Saddam Hussein, duquel le général s'était rapproché les mois précédents pour recevoir des armes, envahissent le Koweït le 2 août 1990. Face à la menace que fait peser l'Irak sur leur allié saoudien, les Etats-Unis entrent en scène et optent pour une intervention militaire. Ils recherchent alors le soutien des pays arabes pour légitimer leur intervention. Le président syrien Hafez el-Assad se range aux côtés de Washington dans le conflit du Golfe. En retour, les États-Unis acceptent tacitement que la Syrie prenne le contrôle du Liban.
Les jours précédant l'offensive
Pour mettre fin à la "rébellion" de Michel Aoun, le président Hraoui demande assistance à Damas. Au matin du 11 octobre 1990, après deux semaines de blocus visant à faire plier Michel Aoun et ses partisans, l'armée syrienne procède à des mouvements de troupe, en montant progressivement en direction des lignes de front qui la séparent de l’armée libanaise autour du réduit. L'armée syrienne prépare une opération d'envergure. Le soir, Baabda sonne l’alerte. Les partisans du général Aoun battent le rappel au palais du peuple, espérant former un bouclier contre les chars syriens. Le général Aoun s'adresse aux manifestants : "Il y a encore deux crimes qui n’ont pas encore été commis par les Syriens, celui de me tuer et celui d’envahir Baabda".
Dans l'après-midi du 12 octobre, alors que Michel Aoun s’adresse à la foule, des tirs retentissent dans l’enceinte du palais. Les balles manquent de peu leur cible, mais elles tuent Joseph Raad, un membre de la garde présidentielle. La foule repère le tireur et se jette sur lui. Le tireur est François Hallal, un membre du parti Baas libanais, âgé de 18 ans. Il avoue avoir été envoyé par le secrétaire général du Baas, Abdallah el-Amine, sur ordre des services de renseignements de Damas. Quelques mois plus tôt, Michel Aoun avait déjà échappé à une tentative d'assassinat à Chypre, fomentée par quatre membres du Parti social nationaliste syrien. L'incident dure quelques minutes. Michel Aoun reprend la parole et conclut en demandant à ses partisans de rentrer chez eux pour préserver leur sécurité.
Dans la nuit, il propose un ultime compromis politique au président Hraoui, via l'ambassadeur de France, René Ala. Pas de réponse. Il reçoit également une délégation de membres du nouveau Front Libanais, menée par Dany Chamoun qui soutient Michel Aoun après être entré en conflit avec le chef des Forces libanaises, Samir Geagea. Ils lui assurent que l'opération syrienne va débuter le lendemain.
Le 13 octobre
Le palais de Baabda détruit par l'artillerie syrienne, le 13 octobre 1990. Archives/OLJ
A 8h, Michel Aoun contacte l'ambassadeur de France pour lui signifier sa reddition et lui demander de négocier un cessez-le-feu. Le président Hraoui demande que M. Aoun se rende à l'ambassade de France, située dans le quartier de Mar Takla à Hazmieh, tout près de Baabda, pour déclarer le cessez-le-feu, et acter la passation de pouvoir avec Emile Lahoud. Le général Aoun finit par accepter. Il laisse sa famille au palais, grimpe dans un engin blindé M113, et se rend à l'ambassade sous les obus. "Pendant ce temps-la, les Syriens prenaient position autour de Baabda, sans rencontrer beaucoup de résistance. Aoun était piégé", écrit Daniel Rondeau.
Mais à l'ambassade, coup de théâtre : MM. Hraoui et Lahoud demandent au général Aoun d'acter seulement de la passation de pouvoir. Vers 9 heures, la radio libanaise diffuse le communiqué lu par Michel Aoun dans lequel il demande aux soldats libanais sous sa direction de passer sous les ordres du général Lahoud.
La Une de L'Orient-Le Jour du 14 octobre 1990
Emile Lahoud déclare un cessez-le-feu peu après la diffusion du message. Mais contre toute attente, c'est l'armée syrienne qui déboule, notamment dans le palais de Baabda et au siège du ministère de la Défense à Yarzé, pillés par les soldats syriens.
Entre 9h et 14h, plus d'une centaine de soldats et officiers et des dizaines de civils furent exécutés. Une vingtaine de soldats sont toujours portés disparus jusqu'à aujourd'hui. "Églises, hôpitaux, écoles, usines ont été sauvagement bombardés", écrit Daniel Rondeau, qui liste des exactions à Jamhour, Baabda et Hadath où ont été commis "vols, viols, massacre". Il liste également des exactions à Douar, Dahr el-Souane, Bikfaya, Sakiet el-Misk, Fanar, Roumieh, Aïn Najm, Deir el-Kalaa, dans le Metn, ainsi qu'à Bsous, dans le caza d'Aley, où "14 civils ont été abattus froidement devant leurs portes". En face, plusieurs centaines de soldats syriens ont perdu la vie.
Les troupes syriennes, devant le ministère de la Défense à Yarzé, le 13 octobre 1990. Photo d'archives AFP
Dans l'après-midi, Nadia, la femme du général Aoun, et ses trois filles Chantal, Claudine et Mireille, sont évacuées du palais présidentiel occupé par les Syriens dans un convoi formé par Elie Hobeika, ancien chef de milice qui s'est rangé aux côtés de l'armée syrienne contre Michel Aoun, pour rejoindre l’ambassade de France. Les généraux Abou Jamra et Maalouf avaient rejoint l'ambassade dans la matinée. L'ambassadeur René Ala avait négocié l'envoi d'un hélicoptère pour exfiltrer les trois généraux vers Chypre, où un appareil de l'armée française les attendait. Michel Aoun devra néanmoins attendre à l'ambassade, pendant 10 mois, le feu vert syrien qui lui permettra, le 29 août 1991, de prendre le chemin de la France pour un long exil...
En 1992, Michel Aoun lance, avec des proches, son mouvement, le Courant patriotique libre, qu’il dirige depuis la France. Durant plus d'une décennie, le CPL est forcé de résister à la tutelle de Damas dans la clandestinité. Deux mois après l'assassinat de Rafic Hariri, le retrait des troupes syriennes, le 26 avril 2005, précipite le retour à Beyrouth du "général", accueilli dans la liesse le 7 mai. Le 31 octobre 2016, Michel Aoun est élu à la tête du pays, revenant au palais de Baabda après l'avoir quitté 26 ans plus tôt.
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commentaires (16)
je ne dis pas et ne suis pas un sympathisant FL les yeux bander comme un mouton … je les critiques et sévèrement quand j'entend ou realise des choses dont ils n'ont pas raison ….. car personnes ne peut avoir raison a chaque et dans toutes choses
Bery tus
19 h 59, le 14 octobre 2018