Michel Aoun (g) et Salim Hoss. Photo d'archives OLJ et AFP
En septembre 1988, le Liban, plongé depuis 13 ans dans la guerre civile, se dirige vers une crise institutionnelle majeure. Le mandat de six ans du président Amine Gemayel, élu à la tête de l’État le 21 septembre 1982, soit une semaine après l'assassinat de son frère Bachir Gemayel qui avait accédé à la présidence trois semaines plus tôt, arrive à son terme. Or, aucun des candidats à sa succession n'est en capacité d'être élu par le Parlement.
Deux camps s'opposent. Les formations politiques chrétiennes, opposées à la Syrie dont l'armée occupe une grande partie du territoire libanais, proposent deux noms : Dany Chamoun, le leader de la coalition du Front libanais regroupant plusieurs partis chrétiens et dont son père, l'ancien président Camille Chamoun, fut l'un des fondateurs ; et le général Michel Aoun, le commandant en chef de l'armée libanaise nommé quatre ans plus tôt par M. Gemayel. Inacceptable pour Damas et les députés musulmans qui mettent leur veto.
Le commandant en chef de l'armée libanaise, Michel Aoun (g.), et le président Amine Gemayel. Photo d'archives L'Orient-Le jour
"Ce sera Mikhael Daher ou le chaos"
Damas pousse la candidature de l'ancien président Sleiman Frangié, le chef des Marada, très proche du président syrien Hafez el-Assad, mais les formations politiques et les milices chrétiennes empêchent la tenue de la séance électorale en provoquant un défaut de quorum au Parlement. La Syrie et les Etats-Unis, alliés à ce moment-là, tentent d'imposer Mikhael Daher, député maronite du Akkar, proche de Damas, à la présidence. L’envoyé spécial américain de l’époque, Richard Murphy, à qui le président Assad a soufflé le nom de M. Daher, soumet l'idée aux leaders chrétiens. "Ce sera Mikhael Daher ou le chaos", lance-t-il comme un avertissement. Le camp chrétien rejette ce diktat.
La situation est dans l'impasse. Le 22 septembre 1988, quelques heures avant la fin de son mandat, Amine Gemayel, nomme par décret, en vertu de ses prérogatives, Michel Aoun à la tête d'un cabinet de transition, formé de six membres du Conseil militaire. Le général Aoun (maronite) est nommé Premier ministre, dirige les ministères de la Défense et de l'Information, tout en gardant la tête de l'armée. A ses côtés, le général Issam Abou Jamra (grec-orthodoxe) est nommé ministre de l’Économie et des Communications, et le général Edgar Maalouf (grec-catholique) ministre des Finances, de la Santé et du Pétrole. Les trois généraux musulmans nommés dans ce gouvernement de transition, le colonel Loufti Jaber (chiite), à la Justice, aux Ressources hydrauliques et à l’Agriculture, le général Nabil Koraytem (sunnite), à l'Intérieur, aux Affaires étrangères et à l’Éducation, ainsi que le général Mahmoud Abou Dergham (druze), aux Travaux publics, au Travail et au Tourisme, présentent immédiatement leur démission.
Le général Issam Abou Jamra (g), le général Michel Aoun (c), et le général Edgar Maalouf (d), en 1989. Photo d'archives OLJ
Entente cordiale
Pour justifier la formation de ce cabinet, M. Gemayel argue qu'il s'agit d'éviter le vide institutionnel et de préserver les équilibres communautaires édictés par le Pacte national en faisant d'un maronite le premier personnage de l'Etat en l'absence d'un président. Il prend pour modèle le gouvernement provisoire dirigé par Fouad Chehab du 18 au 30 septembre 1952 et composé de trois ministres cumulant plusieurs portefeuilles, chargé d'organiser une élection présidentielle après la démission de Béchara el-Khoury.
La Syrie et les leaders musulmans ne reconnaissent pas la légitimité du cabinet Aoun, mais celle du gouvernement sortant, dirigé par intérim par Salim Hoss, personnalité proche de Damas. Premier ministre depuis 1987 et l'assassinat de son prédécesseur Rachid Karamé, M. Hoss refuse de céder le pouvoir. Ils voient dans la nomination d'un Premier ministre chrétien une violation du Pacte national, le poste de Premier ministre devant être réservé à un sunnite, alors que la présidence revient à un maronite.
Pour acter ses fonctions de premier personnage de l'Etat, Michel Aoun et son gouvernement resserré prennent leurs quartiers au palais présidentiel de Baabda, à l'est de Beyrouth. C'est de là qu'il prononcera la phrase "Ô grand peuple du Liban" à ses partisans qui affluent de tout le pays.
Le Premier ministre Salim Hoss (g.) et le président Amine Gemayel, en 1987. Photo d'archives OLJ
Le Liban se retrouve dès lors avec deux gouvernements. Sur le terrain, celui dirigé par M. Aoun administre Beyrouth-Est et la zone chrétienne plus largement, et celui de M. Hoss gère, depuis le Grand sérail, Beyrouth-Ouest et la zone musulmane. Le pays se retrouve avec des administrations scindées en deux, les unes rendant des comptes au gouvernement Aoun, les autres au cabinet Hoss.
Bien qu'elles contestent chacune la légalité de l'autre, les deux administrations essayent de cohabiter sans heurts et s’efforcent de faire fonctionner les derniers rouages administratifs du Liban en guerre. Cette gestion des affaires courantes qui prend forme, alors que les milices s'affrontent sur un territoire exsangue et majoritairement occupé par les armées syrienne et israélienne, ne durera que quelques mois.
Aoun défait
Le 14 mars 1989, le gouvernement de Michel Aoun lance la "guerre de libération" contre l'occupant syrien pour restaurer l'autorité de l'Etat. Cette offensive accentue la pression de la communauté internationale qui multiplie les contacts avec différents acteurs libanais pour mettre un terme définitif au conflit, selon des termes inspirés par Damas. Le 22 octobre 1989, des députés libanais signent l'accord de Taëf, en Arabie saoudite, afin de mettre fin à la guerre civile. Cet accord, qui consacre la présence de l'armée syrienne sur le territoire libanais et réduit les prérogatives du chef de l'Etat, est rejeté par le général Aoun et ses partisans.
Le 5 novembre, René Moawad, député de Zghorta, est élu à la présidence de la République par les députés réunis sur la base aérienne de Qleiate au Liban-Nord, plus d'un an après la fin du mandat d'Amine Gemayel. Michel Aoun ne reconnaît pas cette élection et se proclame président le 7 novembre. A la mi-novembre, M. Moawad nomme à nouveau Salim Hoss pour former un gouvernement. Mais le président tout juste élu est assassiné le 22 novembre à Beyrouth. Le clan Moawad accusera la Syrie. Deux jours plus tard, les députés élisent Elias Hraoui, député de Zahlé, à la tête de l'Etat. Ce dernier désigne à son tour M. Hoss pour diriger le premier gouvernement post-Taëf qui comprend notamment le leader druze Walid Joumblatt et le chef du mouvement Amal, Nabih Berry.
Le président René Moawad et le Premier ministre Salim Hoss. Photo d'archives OLJ
Pour asseoir ce retour à une certaine normalité institutionnelle, M. Hraoui relève Michel Aoun de ses fonctions de commandant en chef de l'armée et nomme le général Emile Lahoud. Michel Aoun et ses partisans rassemblés autour du palais de Baabda, rebaptisé le "Palais du peuple", dénoncent le diktat de Damas. Ils résistent pendant plusieurs mois, jusqu'au 13 octobre 1990. Ce jour-là, la Syrie bombarde le palais de Baabda et ses environs. Michel Aoun annonce alors sa reddition et s'exile en France. Le 24 décembre, le gouvernement de Salim Hoss démissionne, laissant la place à celui dirigé par Omar Karamé.
La mainmise de la Syrie est ainsi consacrée sur les trois pôles du pouvoir, le président de la République, le chef du gouvernement et le président du Parlement, trois personnalités proches de Damas.
Le Premier ministre Salim Hoss (g) et le président Elias Hraoui. Photo d'archives OLJ
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commentaires (10)
Les Syriens ont fait beaucoup de crimes au Liban et le Hezbollah est en admiration devant ce monstre ( le Hitler Syrient ) et maintenants ils ont aussi les ayatollahs. Pauvre Liban
Eleni Caridopoulou
17 h 50, le 29 juillet 2018