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À La Une - Retour sur l'histoire

Lorsque le Liban avait deux gouvernements...

En attendant la formation du nouveau gouvernement par le Premier ministre désigné Saad Hariri, retour sur la période s'étalant entre septembre 1988 et octobre 1990, pendant laquelle le Liban était administré par deux exécutifs différents, l'un dirigé par Michel Aoun, l'autre par Salim Hoss. Chacun dans leur zone d'influence...

Michel Aoun (g) et Salim Hoss. Photo d'archives OLJ et AFP

En septembre 1988, le Liban, plongé depuis 13 ans dans la guerre civile, se dirige vers une crise institutionnelle majeure. Le mandat de six ans du président Amine Gemayel, élu à la tête de l’État le 21 septembre 1982, soit une semaine après l'assassinat de son frère Bachir Gemayel qui avait accédé à la présidence trois semaines plus tôt, arrive à son terme. Or, aucun des candidats à sa succession n'est en capacité d'être élu par le Parlement.

Deux camps s'opposent. Les formations politiques chrétiennes, opposées à la Syrie dont l'armée occupe une grande partie du territoire libanais, proposent deux noms : Dany Chamoun, le leader de la coalition du Front libanais regroupant plusieurs partis chrétiens et dont son père, l'ancien président Camille Chamoun, fut l'un des fondateurs ; et le général Michel Aoun, le commandant en chef de l'armée libanaise nommé quatre ans plus tôt par M. Gemayel. Inacceptable pour Damas et les députés musulmans qui mettent leur veto.


Le commandant en chef de l'armée libanaise, Michel Aoun (g.), et le président Amine Gemayel. Photo d'archives L'Orient-Le jour


"Ce sera Mikhael Daher ou le chaos"
Damas pousse la candidature de l'ancien président Sleiman Frangié, le chef des Marada, très proche du président syrien Hafez el-Assad, mais les formations politiques et les milices chrétiennes empêchent la tenue de la séance électorale en provoquant un défaut de quorum au Parlement. La Syrie et les Etats-Unis, alliés à ce moment-là, tentent d'imposer Mikhael Daher, député maronite du Akkar, proche de Damas, à la présidence. L’envoyé spécial américain de l’époque, Richard Murphy, à qui le président Assad a soufflé le nom de M. Daher, soumet l'idée aux leaders chrétiens. "Ce sera Mikhael Daher ou le chaos", lance-t-il comme un avertissement. Le camp chrétien rejette ce diktat.

La situation est dans l'impasse. Le 22 septembre 1988, quelques heures avant la fin de son mandat, Amine Gemayel, nomme par décret, en vertu de ses prérogatives, Michel Aoun à la tête d'un cabinet de transition, formé de six membres du Conseil militaire. Le général Aoun (maronite) est nommé Premier ministre, dirige les ministères de la Défense et de l'Information, tout en gardant la tête de l'armée. A ses côtés, le général Issam Abou Jamra (grec-orthodoxe) est nommé ministre de l’Économie et des Communications, et le général Edgar Maalouf (grec-catholique) ministre des Finances, de la Santé et du Pétrole. Les trois généraux musulmans nommés dans ce gouvernement de transition, le colonel Loufti Jaber (chiite), à la Justice, aux Ressources hydrauliques et à l’Agriculture, le général Nabil Koraytem (sunnite), à l'Intérieur, aux Affaires étrangères et à l’Éducation, ainsi que le général Mahmoud Abou Dergham (druze), aux Travaux publics, au Travail et au Tourisme, présentent immédiatement leur démission.


Le général Issam Abou Jamra (g), le général Michel Aoun (c), et le général Edgar Maalouf (d), en 1989. Photo d'archives OLJ


Entente cordiale
Pour justifier la formation de ce cabinet, M. Gemayel argue qu'il s'agit d'éviter le vide institutionnel et de préserver les équilibres communautaires édictés par le Pacte national en faisant d'un maronite le premier personnage de l'Etat en l'absence d'un président. Il prend pour modèle le gouvernement provisoire dirigé par Fouad Chehab du 18 au 30 septembre 1952 et composé de trois ministres cumulant plusieurs portefeuilles, chargé d'organiser une élection présidentielle après la démission de Béchara el-Khoury.

La Syrie et les leaders musulmans ne reconnaissent pas la légitimité du cabinet Aoun, mais celle du gouvernement sortant, dirigé par intérim par Salim Hoss, personnalité proche de Damas. Premier ministre depuis 1987 et l'assassinat de son prédécesseur Rachid Karamé, M. Hoss refuse de céder le pouvoir. Ils voient dans la nomination d'un Premier ministre chrétien une violation du Pacte national, le poste de Premier ministre devant être réservé à un sunnite, alors que la présidence revient à un maronite.

Pour acter ses fonctions de premier personnage de l'Etat, Michel Aoun et son gouvernement resserré prennent leurs quartiers au palais présidentiel de Baabda, à l'est de Beyrouth. C'est de là qu'il prononcera la phrase "Ô grand peuple du Liban" à ses partisans qui affluent de tout le pays.


Le Premier ministre Salim Hoss (g.) et le président Amine Gemayel, en 1987. Photo d'archives OLJ

Le Liban se retrouve dès lors avec deux gouvernements. Sur le terrain, celui dirigé par M. Aoun administre Beyrouth-Est et la zone chrétienne plus largement, et celui de M. Hoss gère, depuis le Grand sérail, Beyrouth-Ouest et la zone musulmane. Le pays se retrouve avec des administrations scindées en deux, les unes rendant des comptes au gouvernement Aoun, les autres au cabinet Hoss.

Bien qu'elles contestent chacune la légalité de l'autre, les deux administrations essayent de cohabiter sans heurts et s’efforcent de faire fonctionner les derniers rouages administratifs du Liban en guerre. Cette gestion des affaires courantes qui prend forme, alors que les milices s'affrontent sur un territoire exsangue et majoritairement occupé par les armées syrienne et israélienne, ne durera que quelques mois.


Aoun défait
Le 14 mars 1989, le gouvernement de Michel Aoun lance la "guerre de libération" contre l'occupant syrien pour restaurer l'autorité de l'Etat. Cette offensive accentue la pression de la communauté internationale qui multiplie les contacts avec différents acteurs libanais pour mettre un terme définitif au conflit, selon des termes inspirés par Damas. Le 22 octobre 1989, des députés libanais signent l'accord de Taëf, en Arabie saoudite, afin de mettre fin à la guerre civile. Cet accord, qui consacre la présence de l'armée syrienne sur le territoire libanais et réduit les prérogatives du chef de l'Etat, est rejeté par le général Aoun et ses partisans.

Le 5 novembre, René Moawad, député de Zghorta, est élu à la présidence de la République par les députés réunis sur la base aérienne de Qleiate au Liban-Nord, plus d'un an après la fin du mandat d'Amine Gemayel. Michel Aoun ne reconnaît pas cette élection et se proclame président le 7 novembre. A la mi-novembre, M. Moawad nomme à nouveau Salim Hoss pour former un gouvernement. Mais le président tout juste élu est assassiné le 22 novembre à Beyrouth. Le clan Moawad accusera la Syrie. Deux jours plus tard, les députés élisent Elias Hraoui, député de Zahlé, à la tête de l'Etat. Ce dernier désigne à son tour M. Hoss pour diriger le premier gouvernement post-Taëf qui comprend notamment le leader druze Walid Joumblatt et le chef du mouvement Amal, Nabih Berry.


Le président René Moawad et le Premier ministre Salim Hoss. Photo d'archives OLJ


Pour asseoir ce retour à une certaine normalité institutionnelle, M. Hraoui relève Michel Aoun de ses fonctions de commandant en chef de l'armée et nomme le général Emile Lahoud. Michel Aoun et ses partisans rassemblés autour du palais de Baabda, rebaptisé le "Palais du peuple", dénoncent le diktat de Damas. Ils résistent pendant plusieurs mois, jusqu'au 13 octobre 1990. Ce jour-là, la Syrie bombarde le palais de Baabda et ses environs. Michel Aoun annonce alors sa reddition et s'exile en France. Le 24 décembre, le gouvernement de Salim Hoss démissionne, laissant la place à celui dirigé par Omar Karamé. 

La mainmise de la Syrie est ainsi consacrée sur les trois pôles du pouvoir, le président de la République, le chef du gouvernement et le président du Parlement, trois personnalités proches de Damas.


Le Premier ministre Salim Hoss (g) et le président Elias Hraoui. Photo d'archives OLJ



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En septembre 1988, le Liban, plongé depuis 13 ans dans la guerre civile, se dirige vers une crise institutionnelle majeure. Le mandat de six ans du président Amine Gemayel, élu à la tête de l’État le 21 septembre 1982, soit une semaine après l'assassinat de son frère Bachir Gemayel qui avait accédé à la présidence trois semaines plus tôt, arrive à son terme. Or, aucun des...

commentaires (10)

Les Syriens ont fait beaucoup de crimes au Liban et le Hezbollah est en admiration devant ce monstre ( le Hitler Syrient ) et maintenants ils ont aussi les ayatollahs. Pauvre Liban

Eleni Caridopoulou

17 h 50, le 29 juillet 2018

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Commentaires (10)

  • Les Syriens ont fait beaucoup de crimes au Liban et le Hezbollah est en admiration devant ce monstre ( le Hitler Syrient ) et maintenants ils ont aussi les ayatollahs. Pauvre Liban

    Eleni Caridopoulou

    17 h 50, le 29 juillet 2018

  • grosse erreure Monsieur Abi Ramia: "Le clan Moawad accusera la Syrie" ils ont accuse le general Aoun et embrasse bien chaudement la main du syrien...ce n'est qu'en 2005 qu'ils ont change le fusil d'epaule

    George Khoury

    10 h 13, le 06 juin 2018

  • Cela évoque les années de guerres et de souffrance. les blessures ne sont toujours pas cicatrisees, les conséquences sont encore visibles. Mais cela fait partie de notre histoire nationale, malgré les innombrables erreurs commises. Il faut en tirer les leçons dans l'intérêt des futures générations, et de nos enfants.

    Sarkis Serge Tateossian

    22 h 47, le 05 juin 2018

  • "Cet accord, qui consacre la présence de l'armée syrienne sur le territoire libanais et réduit les prérogatives du chef de l'Etat, est rejeté par le général Aoun et ses partisans." Oui, effectivenment! Mais cet accord est devenu Constitution, et Michel Aoun a été élu président en vertu de cette même Constitution...Mais on n'est pas à une volte-face près!

    Georges MELKI

    17 h 46, le 05 juin 2018

  • Aoun a toujours été un vrai patriote avec au coeur la souveraineté libanaise - contre les syriens quand il le fallait, contre les israéliens quand il le fallait. Le de Gaulle libanais.

    Jean abou Fayez

    16 h 17, le 05 juin 2018

  • pas trop d'accords avec la narration

    Bery tus

    15 h 06, le 05 juin 2018

  • Pourquoi? c'est different maintenant ?

    SATURNE

    15 h 04, le 05 juin 2018

  • En fait...rien n'a changé depuis cette période ! Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 42, le 05 juin 2018

  • LA GAFFE D,AMINE GEMAYEL AVEC TOUS SES DEVELOPPEMENTS ULTERIEURS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 27, le 05 juin 2018

  • Le Passé .... Le Passé toujours le passé... Un passé tragique et dramatique que l on devrait cacher .... Le pays dans une situation au bord du gouffre , eviter d aller de l avant et préparer sainement Présent et l avenir est nocif ... Cessons de rehausser les haies de cette course d obstacles pour jouir de voir s accidenter le cheval et son cavalier..... ...

    Menassa Antoine

    11 h 17, le 05 juin 2018

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