Cela fait désormais trois semaines que l’affaire Khashoggi fait la une de l’actualité, avec ce qu’elle implique en éventuelles conséquences géopolitiques et politiques. Nabil Mouline, chargé de recherche au CNRS à Paris et spécialiste de l’Arabie saoudite, répond aux questions de L’Orient-Le Jour sur les possibles répercussions à l’intérieur du royaume.
Quel message doit-on retenir du discours, mardi, de Recep Tayyip Erdogan au cours duquel il a qualifié d’« assassinat politique » la mort du journaliste saoudien ?
Il y a eu un certain nombre de messages subliminaux qui semblent lever le voile sur une certaine « coordination » ou du moins une « consonance » entre les Turcs et les Américains. Le président Erdogan a traité le roi Salmane avec tous les égards, en le qualifiant notamment de « serviteur des Lieux saints » et en le disant « sincère ». En plus de confirmer indirectement la plupart des fuites qui incriminent les plus hautes sphères de Riyad dans le meurtre de M. Khashoggi, le message le plus important est la distinction claire entre la personne du monarque en tant que chef d’État et celle du prince héritier, Mohammad ben Salmane. Cela s’inscrit dans la continuité de ce que laissent entendre un certain nombre de décideurs américains qui font désormais la distinction depuis quelques jours déjà entre l’État saoudien et MBS. Cela veut dire qu’une partie des acteurs de cette crise continue de considérer que l’Arabie saoudite est un acteur incontournable dans la région tant au niveau politique qu’économique. Mais pour perpétuer cette collaboration, il faudrait plus ou moins envisager un recadrage, une marginalisation voire une déposition de celui qui semble être le principal responsable de l’assassinat de Khashoggi : MBS.
(Lire aussi : Mohammad ben Salmane, un prince isolé mais puissant)
Le prince héritier est-il tiré d’affaire ?
Les équilibres, et notamment en Arabie saoudite, restent très fragiles. Il suffit vraiment d’un rien pour que les rapports de force changent en défaveur de MBS. C’est vraiment du 50-50. Il suffit par exemple d’un signal fort de la part des Américains pour que les choses changent au sein de la famille royale, pour y voir naître ou renaître une fronde, qui soit pousserait le roi à marginaliser ou tout simplement destituer son fils favori au profit d’un autre prince – son frère ou un cousin – soit carrément un scénario radical tel que la déposition du roi lui-même et de son fils. Un changement passerait forcément par la famille royale, vu que la société civile est quasiment inexistante et que les rapports de force sont en faveur de la famille royale et de la coalition qu’elle dirige. Il y a un grand nombre de variables, mais la plus importante est la position américaine. Un événement majeur se passera dans quelques jours : les élections de mi-mandat aux États-Unis. Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en 2016, le président américain, à travers son gendre Jared Kushner, a choisi de tout miser sur MBS, alors qu’une grande partie de l’establishment n’y voyait pas un intérêt particulier. S’il y a un changement de majorité dans la Chambre basse ou même dans les deux Chambres, les choses risquent d’évoluer très vite.
Cette affaire complique-t-elle la stratégie américaine d’endiguement de l’Iran ?
Aujourd’hui, au lieu d’être un facteur de stabilité dans la région, Riyad s’est transformé en facteur d’instabilité, à l’instar de l’Iran. Les Américains ne peuvent pas le dire, étant donné que c’est leur principal allié. Mais même sur le dossier iranien, MBS a échoué. On a voulu principalement utiliser l’Arabie saoudite comme bouclier pour contrer les ambitions iraniennes. Or, à chaque fois que l’Arabie intervient quelque part, c’est la déconfiture et c’est l’Iran qui en profite principalement. Comme le disait un haut dignitaire du régime iranien, c’est la providence qui leur envoie à chaque fois le royaume.
(Lire aussi : Affaire Khashoggi : le dilemme des marchands d’armes)
Elle semble loin, dès lors, l’époque où le dauphin était considéré comme un réformateur….
Le problème de toutes les chancelleries et des médias occidentaux est de confondre jeunesse et réformisme. Rien que durant les deux dernières décennies, cette erreur a été commise, volontairement ou involontairement, avec Bachar el-Assad, Abdallah II de Jordanie, Mohammad VI du Maroc, Seïf el-Islam Kadhafi et d’autres, et finalement l’on se retrouve avec des systèmes aussi autoritaires et aussi rigides que leurs prédécesseurs. Les questions de modernisation et d’ouverture ne sont utilisées que dans un contexte de transition de pouvoir pour légitimer le nouvel ordre et justifier cette reprise en main du pouvoir. Une fois assez puissant, le régime s’en départit sans aucun problème, comme cela a été le cas dans le reste des pays arabes. L’Arabie saoudite est même un cas d’école dans ce domaine. Depuis la fondation du royaume, les termes-clés d’ouverture, de réforme et de modernisation (ré)apparaissent à chaque moment de crise ou de transition !
Comment la Turquie peut-elle encore profiter de la situation ?
La Turquie peut profiter de cette situation d’au moins trois manières différentes qui vont toutes dans la même direction : renforcer sa position au niveau régional, d’abord en tentant d’effacer des mémoires toutes les crises récentes du pays, de redorer le blason du régime et de lui donner une visibilité planétaire. C’est ce qu’a réussi à faire jusqu’à présent le président Erdogan ; ensuite, décrédibiliser l’Arabie saoudite, parce qu’il y a entre les deux pays une concurrence acharnée pour le leadership du monde musulman. Chacun d’eux veut se présenter comme une sorte de néocalifat et imposer une tutelle plus ou moins symbolique sur l’ensemble de la communauté des croyants. L’islam est un outil de soft power très important que beaucoup de régimes postcoloniaux de la région ont utilisé à souhait. Erdogan veut sans doute s’accaparer ce capital idéologique pour paraître comme le porte-parole légitime de l’islam sunnite. Enfin, la Turquie peut en profiter à travers les avantages économiques, cela va de soi.
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PRIERE LIRE DANS LA TROISIEME LIGNE DE MA REACTION : IMPOSENT QUE L,ARABIE ( ET NON MBS ) SOIT EPARGNEE ET SORTE RENFORCEE ETC... MERCI.
11 h 52, le 25 octobre 2018