Le Premier ministre libanais désigné, Saad Hariri, a participé mercredi à Riyad à une session du forum international sur l'investissement, surnommé "Davos du désert" par la presse, aux côtés du prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane. Ce dernier a plaisanté, dans son premier discours en public depuis le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, en demandant à l'audience de ne pas dire que M. Hariri est retenu en otage en Arabie, en allusion à la brève démission surprise de celui-ci depuis Riyad en 2017.
Lors de la session de mercredi intitulée "Epic rise : How will visionary leadership transform the Arab world into a global economic powerhouse?", M. Hariri a exprimé l'espoir que le nouveau gouvernement libanais sera formé dans les prochains jours, assurant que tous ceux qui en feront partie adhèrent aux réformes préconisées par la conférence CEDRE.
"Kidnappé"
En novembre 2017, Saad Hariri avait annoncé à la surprise générale sa démission alors qu'il se trouvait à Riyad, avant de revenir sur sa décision. Plusieurs sources avaient affirmé que Saad Hariri avait été forcé par MBS à démissionner, et qu'il avait été retenu contre son gré en Arabie saoudite, voire même agressé physiquement durant sa détention.
"Le Premier ministre est en Arabie saoudite pour deux jours, j'espère qu'on ne dira pas qu'il est retenu en otage", a plaisanté le prince héritier saoudien en s'adressant à l'audience. M. Hariri avait initialement affirmé qu'il resterait "quelques heures" en Arabie saoudite afin d'assister au forum. Il a réagi à la plaisanterie de MBS en déclarant sur le même ton léger : "En toute liberté".
"Dans les prochains jours"
Evoquant la crise gouvernementale, M. Hariri a affirmé que "la formation des gouvernements au Liban prend toujours du temps, mais nous espérons que dans les prochains jours, le cabinet sera mis en place".
Les espoirs d'une mise en place imminente du cabinet avaient été douchés à la dernière minute la semaine dernière, suite à de nouveaux obstacles concernant l'attribution des portefeuilles ministériels, notamment celui de la Justice, disputé entre les Forces libanaises et le président de la République, Michel Aoun. Le processus de formation est également mis à mal par les revendications des députés sunnites non-affiliés au Courant du Futur (dirigé par M. Hariri), qui réclament un portefeuille, ce à quoi Saad Hariri s'oppose catégoriquement.
"Le Liban fait face à de nombreux défis. Le gouvernement que je vais former est celui de l’union nationale. Cela nous a permis par le passé d’organiser plusieurs conférences internationales pour le Liban", a rappelé Saad Hariri. "Nous ne pouvons plus gouverner au Liban comme nous le faisions par le passé. Les choses ont changé, les lois datant des années 1950 et 1960 sont obsolètes", a-t-il fait remarquer.
(Lire aussi : "Envie de crier et vomir" : la poignée de main "forcée" entre MBS et le fils de Khashoggi suscite l’indignation)
CEDRE
"Tout retard accusé dans la formation du gouvernement a pour but d’obtenir au final un gouvernement qui réalise les ambitions des Libanais", a assuré Saad Hariri. "Le futur gouvernement sera celui du travail et du regain de confiance des Libanais en leur Etat. Ce gouvernement mettra en application toutes les décisions prises lors de la conférence de CEDRE (à Paris en avril dernier et qui prévoit 11 milliards de dollars en prêts et dons promis par les soutiens du pays), notamment les réformes prévues". Il a ajouté que le plus important à ses yeux est que les futurs ministres soient jeunes et que les femmes aient une importante place au sein du gouvernement qui, selon lui, contiendra aussi des technocrates. "Si nous déléguions les rênes du pouvoir aux femmes au Liban nous nous porterons mieux", a lancé Saad Hariri en plaisantant.
"Tous les Libanais doivent accepter les réformes prévues par CEDRE. Toute formation politique qui veut intégrer le gouvernement doit faire cela aussi, car le Liban ne pourra pas surmonter les défis sans mettre en place ces réformes. CEDRE se base sur l’amélioration du secteur privé. Les Libanais sont conscients que nous ne pouvons plus faire d’affaires comme c’était le cas par le passé", a souligné Saad Hariri.
Il a rappelé aussi que "le Liban souffre de la corruption et la dilapidation des fonds". "Nous devons tous coopérer ensemble afin de lutter contre cela. Le Liban souffre aussi de la présence d’un million et demi de déplacés syriens, ce qui constitue un lourd fardeau pour le pays du cèdre. Je crois que nous sommes sur le bon chemin, et toutes les formations qui s’apprêtent à intégrer le gouvernement sont d’accord sur les réformes".
Concernant la situation au Moyen-Orient, Saad Hariri a appelé à "se concentrer sur nos populations. Les guerre sont aujourd’hui économiques, et je crois que ce que fait l’Arabie saoudite aujourd’hui est crucial. Nous sommes témoins d’une énergie sans précédent. Et le changement est contagieux. Les pays voisins de l’Arabie, ainsi que le Liban (…) voient qu’il y a en effet une évolution des systèmes économiques et cela apportera une croissance économique. Nous devons tous, en tant qu’Arabes, coopérer ensemble, afin de devenir une seule puissance économique".
Plus tôt dans la journée, le Premier ministre désigné avait été reçu par le roi Salmane d'Arabie au palais royal d’al-Yamama à Riyad. La réunion a porté sur les relations bilatérales et les développements dans la région.
La conférence économique de Riyad a été totalement éclipsée par le tollé international suscité par le meurtre le 2 octobre de Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul. L'Arabie saoudite avait d'abord affirmé que le journaliste était parti librement après s'être rendu au consulat pour des démarches administratives en vue de son mariage avec une Turque. Cependant, alors que la pression internationale montait, le royaume a admis samedi qu'il était mort dans le consulat à la suite d'une "rixe", suscitant aussitôt une vague de scepticisme en Occident et des appels à une enquête "crédible et transparente".
Mardi, M. Hariri avait estimé que les mesures prises par le roi Salmane ben Abdel Aziz, dans le cadre de cette affaire, "vont dans un sens qui sert la justice et permet la connaissance de la vérité".
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07 h 42, le 25 octobre 2018