Pourquoi l’accord entre le président de la République, Michel Aoun, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, sur la répartition des portefeuilles a-t-il été torpillé à la dernière minute ? Pourquoi le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a-t-il déclaré vendredi qu’il ne conseillait à personne de fixer des délais pour la formation du gouvernement en arguant que certaines questions restaient encore en suspens, prenant ainsi le contrepied du climat d’optimisme affiché par le chef de l’État dans ses déclarations à la presse ? Quels sont les développements qui ont soudainement dissipé ce climat ? Sont-ils de nature locale ou extérieure, ou une combinaison des deux ?
Durant sa visite effectuée la semaine dernière à Baabda loin des feux des projecteurs, Saad Hariri a pris à sa charge de résoudre le nœud relatif à la représentation des Forces libanaises en leur attribuant le portefeuille de la Justice, après une discussion à ce sujet avec le président Aoun. À l’issue de cet entretien, M. Aoun n’objectait plus à cette démarche, ayant reçu des garanties de la part de M. Hariri à ce sujet. Aussi le Premier ministre désigné a-t-il poursuivi ses contacts sur cette base pour finaliser l’attribution des portefeuilles en attendant de retourner à Baabda en fin de semaine pour annoncer la formation du gouvernement. Le président de la Chambre, Nabih Berry, en déplacement à l’étranger, a ainsi été invité à revenir au Liban pour l’occasion. M. Berry, qui participait aux séances de la Conférence internationale des Parlements en Suisse, a d’ailleurs protesté, ne voulant pas interrompre sa visite. Il a confié aux journalistes qui l’accompagnaient l’imminence de la formation du nouveau cabinet, avant d’avancer son retour du vendredi au jeudi soir.
Pourtant, en quelques heures, le climat a changé du tout au tout. Plusieurs obstacles ont émergé de nulle part, notamment l’attribution du portefeuille de la Justice aux FL et des Travaux publics aux Marada, la question de la représentation arménienne et celle des sunnites anti-Hariri, ou encore le veto de certains à certains noms de ministrables. En d’autres termes, une tentative de torpillage en règle de l’entente entre les deux pôles de l’exécutif au sujet du nouveau gouvernement. Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a informé Saad Hariri de la volonté du président Aoun de se réserver le portefeuille de la Justice « compte tenu de son importance stratégique dans la lutte contre la corruption ». Il a également réclamé pour son parti le portefeuille des Travaux publics, arguant des nombreux projets de développement qu’il souhaite mettre à exécution. De son côté, Hassan Nasrallah a lâché sa phrase concernant la nécessité de s’abstenir de fixer des délais, appelant également à l’intégration des sunnites du 8 Mars au gouvernement.
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D’aucuns n’ont pu s’empêcher de penser à cette journée de janvier 2011, quand 11 ministres proches du 8 Mars avaient provoqué la chute du premier cabinet Hariri, lorsque le chef du gouvernement se trouvait en réunion avec Barack Obama à Washington. Les événements de vendredi avaient tout d’une réédition de cet épisode, l’objectif étant de circonscrire M. Hariri en affaiblissant la coalition formée du courant du Futur, des FL, du Parti socialiste progressiste et des Marada, et de pousser à la formation d’un cabinet plus représentatif de la réalité politique post-législatives, favorable aux options politiques de l’axe syro-iranien. Le Hezbollah et ses alliés ont en effet tenté de profiter de la faiblesse actuelle de Riyad, empêtré dans l’affaire Khashoggi et ses répercussions. Il est question également d’attendre les résultats des élections de mi-mandat aux États-Unis, le Hezbollah voulant vérifier si l’assassinat du journaliste saoudien a eu un impact réel sur la popularité de Donald Trump, compte tenu de ses relations avec l’Arabie et le prince héritier Mohammad ben Salmane plus particulièrement. La carte libanaise serait ainsi utilisée pour faire pression sur l’axe Washington-Riyad et montrer que le Liban est effectivement dans l’escarcelle du Hezbollah et de Téhéran. C’est en tout cas ce que prouve l’insistance du parti chiite à intégrer les sunnites prosyriens au sein du nouveau gouvernement. Cependant, l’obstructionnisme du Hezbollah ne sert pas les intérêts du président de la République, qui souhaite fêter le deuxième anniversaire de son accession à Baabda, le 31 octobre, avec un gouvernement. Il est donc attendu que dans les prochains jours, les concertations mûrissent pour ouvrir la voie à la genèse d’un nouveau cabinet selon les critères posés par le Premier ministre désigné, en l’occurrence un gouvernement d’union nationale sur base de la formule des 3 x 10.
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11 h 56, le 23 octobre 2018