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Moyen Orient et Monde - Affaire Khashoggi

Erdogan veut se refaire une santé sur le dos de Riyad

Le président turc cherche à tirer le maximum de profits politiques et économiques du meurtre du journaliste saoudien.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan (droite) et le roi saoudien Salmane se serrant la main lors d'une cérémonie à Ankara, en Turquie, le 12 avril 2016. Umit Bektas/File Photo/Reuters

Son discours était très attendu. Comme il l’avait annoncé, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est exprimé hier devant les députés de son parti, l’AKP (Parti de la Justice et du Développement), au sujet de l’affaire concernant l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Il est revenu, dans un discours aux accents plutôt mesurés, sur les détails de ce qui est devenu, en l’espace de trois semaines, un véritable casse-tête diplomatique international.

Après avoir dans un premier temps présenté ses condoléances à l’épouse du journaliste saoudien, le reïs turc a affirmé que M. Khashoggi avait en effet été victime d’un assassinat « politique » et « barbare », ajoutant que « celui qui a donné l’ordre (de tuer) et jusqu’à celui qui l’a exécuté, doivent rendre des comptes ». Le président turc a par ailleurs confirmé les informations de la presse faisant état de la présence d’une quinzaine de personnes au consulat saoudien d’Istanbul le jour de l’assassinat du journaliste et a également appelé à punir tous les acteurs de cette tragédie. « La conscience internationale ne sera apaisée que lorsque toutes les personnes impliquées, des exécutants aux commanditaires, auront été punies », a déclaré M. Erdogan. « C’est à Istanbul que se sont déroulés les faits. Par conséquent, je propose que les 18 suspects soient jugés à Istanbul. La décision appartient (au gouvernement saoudien), mais c’est ma proposition, ma demande », a-t-il ajouté, en s’adressant directement au roi Salmane d’Arabie saoudite.

Mais au-delà du simple rapport d’enquête, l’allocution du reïs turc constitue la première prise de parole officielle du pouvoir depuis le début de l’affaire. Celui-ci était en effet resté particulièrement discret et s’était privé de révéler trop vite les détails de l’enquête et avait chargé la presse, sur laquelle il a un contrôle quasi total, de révéler au compte-gouttes les informations au sujet de l’enquête, de manière à mettre de plus en plus de pression sur Riyad. Une logique que M. Erdogan a appliquée dans son discours en ne donnant, contrairement à ce qu’il avait annoncé, pas la totalité des détails des investigations.

Autre détail, le président turc a clairement insisté sur la relation personnelle qu’il entretient avec le roi Salmane, qu’il a appelé « gardien des deux lieux saints » et dont il a déclaré ne pas « douter de la sincérité ». M. Erdogan a ainsi « séparé » le monarque du reste de la famille royale et du gouvernement saoudien, et en particulier du prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS), accusé d’être derrière l’assassinat de M. Khashoggi mais que le président turc s’est gardé de nommer explicitement dans son allocution.

En procédant ainsi, le reïs ne cherche ni à mettre en péril sa relation personnelle avec le roi Salmane ni celle de la Turquie avec l’Arabie saoudite. La Turquie a d’ailleurs affirmé lundi qu’elle ne voulait pas que ses relations avec l’Arabie saoudite pâtissent à cause de l’affaire Khashoggi. « L’Arabie saoudite est un pays important pour nous. C’est un pays frère et ami. Nous avons de nombreux partenariats et nous n’aimerions naturellement pas que ceux-ci soient impactés », a ainsi déclaré le porte-parole de la présidence turque Ibrahim Kalin.


(Lire aussi : Meurtre Khashoggi : toutes les personnes impliquées rendront des comptes, promet Riyad)


Instrumentalisation économique

La principale raison de ce ton modéré se situe principalement au niveau économique. Dans une période de profonde crise, aggravée cet été par les sanctions imposées par les États-Unis dans l’affaire tournant autour du pasteur américain Andrew Brunson, la Turquie n’a en effet pas besoin de se fâcher avec le premier exportateur mondial de pétrole et l’un de ses premiers investisseurs. Elle a, au contraire, tout intérêt à jouer sur l’affaire Khashoggi pour obtenir des garanties économiques visant à la sortir du marasme dans lequel elle est plongée. Certes, la future levée de certaines sanctions américaines suite à la libération du pasteur Brunson apaisera les relations avec Washington et sera une bouffée d’air frais pour l’économie turque, mais celle-ci sera toujours fortement atteinte.

« À travers sa stratégie dans cette affaire, le président turc cherche à obtenir des gains économiques. Aujourd’hui, l’économie turque est en crise et M. Erdogan s’est saisi de façon très opportune de cette affaire pour essayer de convaincre, voire de forcer Riyad à faire des investissements en Turquie afin de redynamiser l’économie turque. Le gouvernement turc, mais aussi le président, ont pris beaucoup de temps pour mener cette enquête, car ils jouaient en coulisses au chantage avec Riyad. L’idée était : on va cacher des choses qu’on connaît pourvu que Riyad investisse dans l’économie turque », explique Jana Jabbour, enseignante à Science Po et spécialiste de la Turquie, contactée par L’Orient-Le Jour. Une source turque proche de M. Erdogan a d’ailleurs affirmé, d’après des propos relayés par le quotidien américain New York Times, que le président turc a reçu le prince Khaled ben Fayçal, fils de l’ancien roi Fayçal d’Arabie, qui avait offert un ensemble d’incitations à la Turquie, notamment une aide financière et des investissements destinés à aider son économie en difficulté et à mettre fin à l’embargo saoudien sur le Qatar, un allié d’Ankara. Cette même source a également affirmé que M. Erdogan a refusé cette transaction, la qualifiant de « pot-de-vin politique ».


(Lire aussi : Cinq mystères autour de l'affaire Khashoggi)


Instrumentalisation politique

Mais en plus de la dimension économique, le politique entre également dans la stratégie du reïs. Turcs et Saoudiens s’affrontent en effet depuis plusieurs années sur de nombreux terrains tels que les conflits yéménite et syrien, ou encore le blocus des pays du Golfe contre le Qatar, où la Turquie possède une base militaire et avec qui elle entretient de bonnes relations. Ankara et Riyad se disputent également le leadership du monde sunnite et le président turc compte bien utiliser l’affaire Khashoggi pour marquer le plus de points possibles dans ce domaine face à MBS et au royaume saoudien. « La Turquie sait très bien que l’Arabie saoudite rivalise avec elle pour le leadership régional et sunnite (…). Aujourd’hui Erdogan veut la tête de MBS. Il le voit comme son principal rival à ce niveau », poursuit Jana Jabbour. « M. Erdogan veut profiter de cette occasion. » Tuer le journaliste « était une grave erreur de la part des Saoudiens et Erdogan l’utilisera jusqu’au bout », estime pour sa part un politologue turc ayant requis l’anonymat.

Le reïs exploite donc au maximum l’affaire Khashoggi à son profit, pour redorer le blason politique et économique de la Turquie, mais également à titre personnel. Depuis plusieurs années, et en particulier depuis le coup d’État manqué de juillet 2016, son image s’est fortement dégradée auprès des Américains, mais aussi de l’ensemble des pays occidentaux qui lui reprochent régulièrement son caractère autocrate et autoritaire, mais aussi son mépris de l’État de droit, notamment à travers le musellement de tous les types d’opposition et l’emprisonnement de journalistes et d’activistes. L’ONG Reporters sans frontières a estimé à 43 le nombre de journalistes professionnels actuellement emprisonnés en Turquie. L’affaire Khashoggi est donc l’occasion pour le président turc de se refaire une santé sur le dos des Saoudiens. « Le président turc, qui a été très critiqué par les médias occidentaux pour sa violation de l’État de droit, de libertés et de l’opposition, va se saisir de cette affaire pour pointer du doigt l’Arabie saoudite en disant que le vrai dictateur ce n’est pas lui, mais MBS, allié des États-Unis et de la plupart des pays occidentaux », résume en conclusion Jana Jabbour.



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Erratum : monde musulman

Sarkis Serge Tateossian

17 h 18, le 24 octobre 2018

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Commentaires (9)

  • Erratum : monde musulman

    Sarkis Serge Tateossian

    17 h 18, le 24 octobre 2018

  • Recep Tayyip Erdogan : "la Turquie est le seul pays apte à guider le monde mudulman" Phrase prononcée hier mardi 23 octobre 2018 à la 35 ème réunion des muftis au complexe présidentiel. L'affaire khashoggi est un piège tendu Par la Turquie et il est claire à qui profite ce crime. Ce président d'une mentalité ottmano-clochardesque ferait mieux de passer à l'aveu et la reconnaissance de son pays des pires barbaries de l'histoire contemporaine : le génocide des armeniens et d'autres minorités chrétiennes en 1915 et la spoliation et vol de leurs biens.

    Sarkis Serge Tateossian

    13 h 45, le 24 octobre 2018

  • La haine entre l’empire ottoman et les Ibn-Saoud dure depuis 1744. Actuellement les deux nations sont des rivaux pour dominer le monde sunnite. Toutes les occasions sont bonnes à prendre.

    DAMMOUS Hanna

    10 h 34, le 24 octobre 2018

  • Et pourquoi pas! Les faits sont là. Le crime et les criminels désignés. Manquent encore les commanditaires. Alors , ce tragique méprisable assassinat , est désormais dans l’espace politique international . Tout pays, et il y en a ( Turquie, Qatar, Russie, Iran...etc...) , va jouer ce faux-pas monumental, à son avantage,

    LeRougeEtLeNoir

    08 h 24, le 24 octobre 2018

  • HARO SUR LE BAUDET ! L,AFFAIRE KHASHOGGI EST UNE OCCASION POUR LUI CHARGER NOS DEBOIRES ECONOMIQUES ET POLITIQUES ET DE REDORER NOTRE BLASON EN SOUSTRAYANT DE SON HARNAIS DES MILLIARDS DE PETRODOLLARS... PENSE MALICIEUSEMENT LE MINI SULTAN !

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 29, le 24 octobre 2018

  • "Erdogan veut se refaire une santé sur le dos de Riyad. En effet, car, le moins qu'on puisse dire et que le nouveau sultan n'est pas un défenseur acharné des droits de l'homme!

    Yves Prevost

    06 h 25, le 24 octobre 2018

  • Enfin un regard global sur cette triste affaire de khashoggi. Merci au journaliste de l'orient le jour, Elie Saikali pour son article et son objectivité. La vérité dans cette affaire doit éclater en plein jour dans toute sa dimension car elle est plus complexe que ce qu'ils veulent faire croire au monde les turcs. Il serait extrêmement dommageable pour le monde arabe si cette affaire fait abstraction à la responsabilité côté turc (il y a beaucoup de zones d'ombres côté turc qui méritent une enquête et clarification) et le profit que ce pays veut en tirer quite à faire chanter l'Arabie Saoudite. L'article explique bien le profit qui compte tirer la Turquie.

    Sarkis Serge Tateossian

    01 h 43, le 24 octobre 2018

  • L Arabie Saoudite est sans nul doute le pire pays du camp occidental mais reste un paradis compare avec n importe quel pays du camp de la resistance...

    HABIBI FRANCAIS

    00 h 45, le 24 octobre 2018

  • Erdogan et l'héritier bensaoud ne peuvent rivaliser, ils ne jouent pas dans la même division. Par ailleurs la Turquie et la bensaoudie sont aux antipodes l'un par rapport à l'autre. On ne peut comparer la bensaoudie qu'à des pays arabes du golfe et c'est tout. En conclusion erdo qui est loin d'être un exemple en matière d'éthique morale en tout point de vue est de loin plus fin plus intelligent que ces barbares d'arabes wahabites bensaouds. Si on considère que les usa ont le droit de plumer ces caves d'arabe, erdo y a droit aussi.

    FRIK-A-FRAK

    00 h 34, le 24 octobre 2018

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