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Culture - Rétrospective

Festivals et public(s) : l’heure du bilan

Par Colette KHALAF, Gilles KHOURY, Danny MALLAT et Béchara MAROUN


Shakira au Festival des Cèdres. Photo Aldo Ayoub

En 2016, la saison estivale marquait plus de 90 concerts à son compteur. En 2018, le chiffre avoisine la cinquantaine. Malheureusement, les spectateurs n’ont pas gagné en qualité ce qu’ils ont perdu en nombre. Il y avait de plus pas mal de reprises entre festivals, de doubles ou triples concerts d’un même artiste. Mais aussi, heureusement, des spectacles de qualité qu’il ne fallait pas rater. Au final, en ravalant ce petit goût d’inachevé qui persiste en ce début de rentrée, on pourrait dire qu’entre The Chainsmokers, James Arthur, Clean Bandit, Shakira ou Cirkopolis, les festivaliers les plus heureux étaient les adulescents. Si certains concerts se démarquaient par des excès en tous genres (même Ben Harper péchait par trop de modestie), le public, lui, récolte un zéro de conduite dans sa grande majorité.


Le plus cher

Promu comme le concert-phare de l’été 2018, le spectacle de la star colombienne Shakira au Festival des Cèdres a réuni 14 000 personnes qui ont enduré de longues heures d’embouteillages pour accéder au concert. « Chanter ici, sur la terre de mes grands-parents, a beaucoup de sens pour moi », a lancé Shakira avant d’interpréter ses plus grands tubes et de faire danser la foule sur Waka Waka. Si les prix des billets n’étaient pas très raisonnables, les personnes assises aux premiers rangs n’ont également pas pu voir la pop star de près, séparées par le vaste public ayant opté pour des billets « standing », mais qui n’ont pas vu grand-chose non plus. Shakira a ainsi chanté pendant plus d’une heure et demie, alternant danses et costumes sous les lumières captivantes d’un set-up grandiose ayant pris la forme symbolique d’un gigantesque cèdre, celui de son « Loubnaaaan ».


Les plus émotives

Pour le retour de Julia Boutros à Tyr, les billets du concert se sont écoulés en moins de 24 heures et la star s’est vu obligée d’ajouter une soirée supplémentaire pour ses fans venus d’un peu partout, mais surtout du Liban-Sud, qu’elle a salué à travers de nombreuses chansons dédiées à la résistance. Près des ruines de la cité romaine, Julia Boutros a chanté ses chansons les plus récentes comme Bukra Chi Nhar et Ma Baddi, lors d’un concert magique où, très émue, elle a laissé couler ses larmes en remerciant sa mère, son père et son frère, tous présents pour la soutenir. L’émotion était également palpable lors du concert d’Élissa dans le cadre du festival Beirut Holidays, durant lequel elle a rencontré son public pour la première fois depuis sa guérison d’un cancer du sein. Sous une pluie de fleurs roses, le concert s’est terminé sur la musique de son nouveau tube dédié « à tous ceux qui l’aiment », et entourée de ses amis proches qui l’ont rejointe sur scène.


Le plus proche des dieux

S’il fallait être présent à un seul concert cet été, c’est bien celui de la famille Chedid. Dirigé par Mathieu le fils, alias M – qui était accompagné de son père, son frère, sa sœur et sa fille, qui lui a fait la surprise de se joindre à la joyeuse bande –, le concert était comme un grand moment de grâce. Oui, le temple de Bacchus est magique; oui, les colonnes millénaires et les pierres ancestrales poussent les artistes à se dépasser, à donner le meilleur d’eux-mêmes ; oui, le Festival de Baalbeck a ce petit plus d’un lieu qui réveillerait plus d’un mort, mais le talent, la richesse du répertoire, la performance des artistes, sans oublier l’intervention du grand Ibrahim Maalouf à qui l’on doit le retour des Chedid au pays de leurs origines, tout cela a contribué à porter le public aussi loin que les dieux eux-mêmes peuvent porter les êtres humains.


Le plus VIP

Il aurait fallu être ministre, député, voire garde du corps ou chauffeur particulier pour arriver à temps en ce jour d’ouverture du Festival de Beiteddine. Si Ziad Rahbani lui-même n’avait pas pris ses précautions, il aurait probablement raté son propre concert. La carte VIP qui permet de se garer au plus proche de l’entrée et que les journalistes utilisent à des fins non pas mondaines mais professionnelles, justement pour arriver à temps et pouvoir couvrir tout l’événement, n’a servi à rien ce soir-là. Pas moins de 4 voitures donc, 4 chauffeurs et 2 gardes de corps pour chaque représentant d’un État déficient, avaient envahi les parkings. Résultat : on se retrouve sur les lieux avec une heure de retard. L’année prochaine, on troquera la carte de presse contre une position de garde de corps, et le concert sera assuré !


Le plus people

En dépit des commentaires balourds entendus à la sortie, dans le genre « Elle n’a pas de voix », le concert de Carla Bruni restera un moment marquant des festivals de l’été 2018, grâce justement à cette sobriété, ce dépouillement, qui en émanaient et tranchaient avec le bling-bling creux des masses de chanteuses à cordes vocales musclées. Affirmant des choix artistiques insolites (à l’antipode de ceux de sa vie personnelle) : esthétique du less is more, ou goût désuet pour une certaine ambiance de cabaret, la chanteuse a enveloppé son répertoire, entre reprises de standards anglo-saxons et titres personnels, dans la feutrine de sa voix inimitable, à la fois enjouée et menacée. Pourtant, c’était à se demander si le spectacle se passait sur la scène ou dans les gradins sur lesquels les yeux et les objectifs étaient braqués. Plus particulièrement sur la rangée de personnalités politiques, dont Nicolas Sarkozy, vers lequel s’est jetée une farandole de gens disant « le regretter, ici ». Ici, au Liban, et nulle part ailleurs…


Le plus Starstruck

Un merveilleux concert où, entouré de son groupe de musiciens, le trompettiste libanais Ibrahim Maalouf, a reproduit des chansons d’Oum Kalsoum. Tout en douceur ou en notes jazzy, le musicien a rendu hommage à la diva qui a longtemps bercé son enfance. Des sonorités à la fois intrépides et douces, puissantes et fragiles qui ont séduit le public de Batroun, où l’artiste se produisait pour la première fois. Seul bémol de la soirée ? Ce même public, bien sûr. Ou du moins une grande partie. Pourtant, au début du spectacle, Maalouf l’avait honoré en le qualifiant de « qualité » et en affirmant que c’était un réel défi de lui plaire... Une heure de retard a été enregistrée ce soir-là. La raison ? On attendait le député de la localité qui a tardé à venir. Dès qu’il est apparu, un groupe de femmes énamourées (ou Starstruck) réclamaient à grands cris des selfies. La star, ce soir-là, c’était Ibrahim Maalouf, non ?


Le plus indiscipliné

Finiqia est un très beau spectacle signé Ivan Caracalla, où modernité et passé se juxtaposaient dans de grands tableaux colorés et vivants. Ce soir-là, malgré la moiteur et la chaleur, les spectateurs étaient au rendez-vous, dont un bon nombre venus de l’étranger pour assister à cette très belle fresque chantante et dansante. Malheureusement, l’indiscipline était encore à l’ordre du jour. Ce n’étaient pas des retards de quinze à vingt minutes qu’on observait, mais bien plus. Certains ont même débarqué une demi-heure avant la fin du spectacle, brandissant fièrement des sandwiches aromatisés à l’ail. Leurs pas sur les gradins en fer faisaient par ailleurs un bruit tonitruant. Dommage que les responsables du festival ne soient pas plus vigilants à ce propos, surtout que leur programme était assez intéressant cette année.


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En 2016, la saison estivale marquait plus de 90 concerts à son compteur. En 2018, le chiffre avoisine la cinquantaine. Malheureusement, les spectateurs n’ont pas gagné en qualité ce qu’ils ont perdu en nombre. Il y avait de plus pas mal de reprises entre festivals, de doubles ou triples concerts d’un même artiste. Mais aussi, heureusement, des spectacles de qualité qu’il ne fallait...

commentaires (1)

Super! Sans langue de bois, des avis motivés par des remarques artistiques (sur la voix, les performances, le répertoire des artistes) qui donnent tout leur sel à ce papier.

Marionet

10 h 02, le 09 septembre 2018

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Commentaires (1)

  • Super! Sans langue de bois, des avis motivés par des remarques artistiques (sur la voix, les performances, le répertoire des artistes) qui donnent tout leur sel à ce papier.

    Marionet

    10 h 02, le 09 septembre 2018

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