Accompagné de sa bande de musiciens qui ne le quittent plus depuis dix ans et le suivent dans des aventures musicales diverses, comme Christophe Wallemme à la contrebasse, Clarence Penn aux percussions, Mark Turner au saxophone et Frank Woeste au piano, Ibrahim Maalouf a entraîné le public très nombreux du Festival de Batroun dans une euphorie de sons.
Comment traduire le tarab en jazz et comment retrouver toutes les sonorités et les harmonies qu’offrait Oum Kalsoum dans ses chansons qui duraient presque une heure, notamment Alf Leila wa Leila ? Un défi relevé par le musicien franco-libanais avec son ami le pianiste Frank Woeste, et qu’ils ont tous deux reproduit dans un album hommage à la diva orientale. À l’image d’une suite symphonique à quatre mouvements traversée certainement par des improvisations magistralement maîtrisées.
(En vidéo: La leçon de trompette d'Ibrahim Maalouf)
Générosité et humilité
Mais avant de commencer le concert, Maalouf a invité Rami et Ayyad Khalifé à le rejoindre sur scène pour interpréter un morceau avant-goût de son prochain album. Et comme pour préparer le public à ce qui l’attendait, il a voulu expliquer que sans instruments, il n’y a pas de chanson. En d’autres termes, il faut prendre la peine d’écouter ces instruments qui peuvent changer tout le rythme d’une chanson sans pour autant la dénaturer.
Depuis sa première venue au Liban en 1994, le musicien n’a cessé de faire des allers-retours dans ce pays qu’il redécouvre à chaque fois. Du Music Hall à Batroun en passant par Beiteddine et Baalbeck, Ibrahim Maalouf a apprivoisé le public. Il l’a même dompté, car il l’a reconnu lui-même : « Le public libanais est difficile et exigeant. » Tel un charmeur de serpents, il a fait de sa trompette un instrument de séduction. À peine lui susurre-t-il à l’oreille qu’elle s’offre à lui en lui dévoilant généreusement toute une myriade d’harmonies. Avec Maalouf, c’est tantôt le recueillement, tantôt l’élévation, mais aussi la joie, le divertissement et l’ivresse. Ibrahim Maalouf joue avec le vent. En fait, il joue avec le terme du vent, qui signifie également en arabe amour : hawa. Quelle coïncidence quand on sait que le vent amoureux soulève les émois les plus subtils alors que le vent tout court peut soulever des tempêtes et des passions. Le vent marin de Batroun s’en est aussi mêlé et a charrié des émotions tout en titillant les sens. Ces vents ne balaient pas les souvenirs, mais les ramènent en vagues aériennes. À chaque fois nouvelles et renouvelées.
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La trompette d’Ibrahim Maalouf s’est faite samedi soir un vent doux, mais aussi torride et sensuel. Ses sons se sont infiltrés dans les couloirs du temps pour faire revivre la voix d’Oum Kalsoum. Il l’a tellement écoutée durant son enfance qu’elle a fini par l’habiter. Qu’importe si la voix n’y était pas, sa présence s’est réincarnée dans ce micro posé au milieu de la scène, dans ce panachage et ce métissage de cultures qu’offre le jazz. Le tarab renaît de ses cendres, car il ne s’agit pas là, comme le pense Maalouf, « d’état d’extase uniquement, mais d’intense joie ». Partagée par le musicien avec son public. À Batroun, l’artiste, comblé, a fait un pacte avec les Libanais. Il a inverti la scène, les a fait chanter et fredonner des mélodies. Une alliance scellée au fil des années et qui a pris corps grâce à la musique de celle qui ne meurt jamais : Oum Kalsoum.
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02 h 04, le 13 août 2018