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Culture - L’artiste de la semaine

Ivan Caracalla, esclave de l’art

La troupe folklorique fondée il y a cinquante ans par Abdel Halim Caracalla est devenue au fil du temps un théâtre dansant grâce à Ivan Caracalla. C’est désormais lui qui en conçoit et réalise les spectacles, notamment « Finiqia »*.

« L’ennemi de l’art est l’égoïsme », selon Ivan Caracalla. Photo Michel Sayegh

Il n’a jamais pensé suivre une autre voie quant à son choix de carrière. Non pas que son chemin était déjà tracé, mais parce qu’Ivan Caracalla a baigné dans cette potion artistique magique et qu’il se retrouve donc naturellement responsable des théâtres dansants de la troupe Caracalla. Laquelle voyage autour du globe, portant très fièrement le nom du Liban. Et pourtant, le metteur en scène est un magicien de l’ombre. Opérant toujours discrètement, il revendique une totale liberté. « Je ne suis assujetti à aucun réseau social qui contamine et vicie mon cerveau. Je suis simplement assujetti à l’art dont je suis l’esclave. »

Prénommé Ivan en hommage au professeur de sport de son père, Ivan Pisiakis, ce prénom est déjà un pied de nez aux coutumes : sa grand-mère ne saura le prononcer jusqu’à sa mort. Ivan Caracalla grandit avec sa sœur Alissar dans un univers où le théâtre et la troupe ne se distinguent pas de la famille et du domicile. Il s’imprégnera du respect des traditions mais aussi de l’esprit anticonventionnel de son père qui a un jour tapé du pied dans une nature Békaïote sauvage et décidé d’être danseur. Se dissimulant dès l’âge dès cinq ans dans les coulisses ou derrière le décor de la scène, le jeune garçon caresse les riches étoffes achetées dans tous les coins du monde et dont son père Abdel Halim, fondateur de la troupe, raffole. Il se nourrit du folklore libanais, se produit sur scène avec des ténors comme Philémon Wehbé et observe les danseurs effectuer des pas de dabké comme pour mieux marquer leurs empreintes dans la terre de sa Békaa natale. Pourtant, le jeune Caracalla, attaché au pays du Cèdre, en est arraché en 1975. Une fusillade tragique un soir, à la sortie du palais de l’Unesco après le spectacle de Caracalla El-yom, boukra, mbereh, fait des morts et des blessés parmi la troupe. Le père, Abdel Halim, réagit aussitôt et envoie ses enfants au Lycée français de Londres. Ivan reviendra au pays 14 ans plus tard, non sans avoir appris l’art scénique aux États-Unis et obtenu un master en Californie.

 
Des strates d’éducation
De retour au Liban, Ivan Caracalla ne sait par où commencer. Mais l’alignement des étoiles, la destinée ou, peut-être aussi, la force suprême met le jeune homme aux idées diverses mais tellement dispersées sur le chemin du maestro Franco Zeffirelli qui venait présenter un opéra à Baalbeck. Une amitié naît entre Abdel Halim Caracalla et Zeffirelli, qui invite par la suite le jeune Ivan à le rejoindre à Naples voir La Bohème qu’il présentait. « J’étais supposé rester une semaine, je suis revenu cinq ans plus tard. En habitant chez lui et en travaillant avec lui, j’ai parfait le troisième volet de mon éducation. En effet, il y a trois étapes dans ma vie : mon éducation scolaire, celle de mon père et l’attachement au patrimoine, et la troisième, celle du maestro, qui m’a aidé à ouvrir les yeux sur le théâtre international. » C’est cette école de Zeffirelli qui a allumé la flamme, inextinguible jusqu’à nos jours. À son retour d’Italie, Ivan Caracalla a de la difficulté à s’imposer. « Il m’a fallu du temps pour savoir exploiter l’expérience que j’avais et qui était à l’état fœtal. »

Avec Caracalla père, on ne badine pas beaucoup. Lui qui, pour créer cette troupe, a défié les lois du temps et du lieu, et pour la diriger, a dû imposer des lois spartiates, va permettre à Alissar de gérer la chorégraphie et à Ivan la mise en scène. Il n’allait pas livrer son bébé à n’importe qui, mais à quelqu’un qui saurait le faire grandir. Ce n’est pas l’hérédité qui compte pour lui, mais la créativité, et on ne peut hériter de cette dernière. On l’a ou on ne l’a pas. Ce n’est qu’après dix ans de turbulences et de rapports volcaniques que le fondateur de la troupe réalise qu’il peut compter sur ces deux piliers. Ivan lui-même pense aussi que l’évolution est plus importante que la continuité. « Il faut marcher selon sa culture, son éducation, mais aussi selon son expérience et son temps. » Au début de l’an 2000, le spectacle Les mille et une nuits le met sur les rails et l’affirme. Le show change complètement de nature, « pas seulement grâce à moi, précise-t-il, mais à mon père qui a su interpréter autrement le langage de la danse. Celui qui écoute dans la vie évolue ».

Aujourd’hui, Ivan Caracalla a confiance en lui. Il sait ce qu’il doit faire, qu’il peut diriger tout ce petit monde sur scène (250 personnes) tout en laissant un espace pour l’évolution, la flexibilité, sans pour autant faire de concession sur la nature propre de Caracalla qui est devenu un centre accueillant et réunissant les gens de tous bords et fabriquant de l’art. Et quand on lui demande ce qui peut tuer la beauté, il répond sans hésiter : « L’égoïsme d’un artiste. L’art n’est pas pour soi mais pour les autres. Il n’y a pas de raccourci pour la créativité. Pour moi, qui ne travaille pas moins de 14 heures par jour, pour aboutir à une création, il vaut mieux emprunter les chemins de traverse avec ce que cela suppose comme embûches au lieu de la voie royale. »

*Vendredi et samedi 17 et 18 août au Festival de Byblos

1969
Naissance d’Ivan Caracalla


1975
Départ du Liban
 

1977
Il devient responsable de sa jeune sœur à Londres


1992
Retour au Liban après des études d’art du théâtre aux États-Unis


1997
Rencontre avec le metteur en scène italien Franco Zeffirelli qui opère un tournant dans sa vie


Date inconnue
Quand Caracalla devient Ivan


2016
Naissance de son fils Aurelius,
à la même date
que le maestro Zeffirelli.


http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/


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