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Moyen Orient et Monde - Reportage

À Gaza, une marche du retour riche en symboles

Entre drapeaux et barbelés, un enfant palestinien tient une clé en bois symbolisant le retour, à la frontière entre la bande de Gaza et Israël, le 13 mai 2018. Mahmud Hams/AFP

À l’entrée du camp de Malaka, l’une des cinq zones spécialement aménagées pour la marche du retour le long de la frontière entre Israël et la bande de Gaza, difficile de passer à côté : une énorme clé de plusieurs mètres de long se dresse au-dessus du sol. Le symbole est fort : pour les Palestiniens, la clé représente le droit au retour, la possibilité pour eux de revenir un jour sur les terres « perdues » en 1948, lors de la création de l’État d’Israël. À Gaza, en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est, nombreux sont ceux qui gardent encore aujourd’hui la clé, qu’elle soit réelle ou symbolique, d’une maison perdue. 

Comme la clé, depuis le début, le 30 mars dernier, de la « grande marche du retour », les symboles qui entourent ce mouvement de protestation massif visant à défendre le droit des Palestiniens à retourner sur les terres qu’ils ont fuies ou dont ils ont été chassés à la création d’Israël sont légion. Dans tous les camps qui jalonnent la frontière, le principe est à chaque fois le même : à quelques centaines de mètres des barbelés, de grandes tentes blanches ont été installées. Pendant la journée, les gens ont pris l’habitude d’y discuter, d’y manger, chaque tente portant le nom d’un village perdu en 1948. « Celle-là, c’est Harbiyah. Elle porte le nom du village où sont nés mes parents, à une dizaine de kilomètres de là où nous sommes actuellement! » explique Mahmoud en balayant l’horizon de la main. À 65 ans, cet homme à la fine moustache et au costume immaculé malgré la poussière environnante s’exprime dans un anglais impeccable. « La marche du retour est importante pour les réfugiés ici. Et grâce à ces tentes, c’est un peu comme si l’on était déjà chez nous. J’ai même rencontré des gens qui avaient une histoire comparable à la mienne ! » Professeur d’anglais à la retraite, Mahmoud s’enthousiasme. S’il n’a jamais tenté de s’approcher trop près de la frontière avec Israël, affirmant avoir « passé l’âge de prendre autant de risques », il participe à la marche du retour depuis ses débuts. Depuis le 30 mars, 116 Palestiniens ont été tués, la très grande majorité par les tirs israéliens. Un seul soldat israélien a été blessé.


(Lire aussi : I – Les archives orales, pour raconter la Nakba) 


Bataille des images
À quelques mètres de là, toujours dans le camp de Malaka, un énorme drapeau palestinien flotte tranquillement dans le ciel de Gaza. Il trône là depuis le 13 avril dernier, le « vendredi des drapeaux ». Ce jour-là, des drapeaux de plusieurs mètres de long ont été dressés dans les différents camps de l’enclave palestinienne, tandis qu’au sol, les manifestants étaient invités à piétiner le drapeau israélien. 

La marche du retour aura donc été une bataille des images, mais aussi de la communication : à chaque vendredi son surnom. Il y aura eu le « vendredi des drapeaux » donc, mais aussi celui des pneus, comme le deuxième vendredi après le début de la marche, durant lequel des milliers de pneus avaient été brûlés tout le long de la frontière. Le but était simple : créer un écran de fumée suffisamment opaque pour empêcher les snipers israéliens de viser les manifestants qui tenteraient de s’approcher au plus près de la frontière. 

Hier, quelques colonnes de fumée étaient une nouvelle fois visibles, mais sur le terrain, la manifestation massive du 15 mai, date de la commémoration de la Nakba, que tout le monde semblait attendre, n’a pas eu lieu. Jusqu’en fin de matinée hier, Gaza a vécu au rythme des enterrements de la soixantaine de « martyrs » tués la veille par les soldats israéliens, réprimant le mouvement de protestation organisé en parallèle de l’inauguration, à Jérusalem, du transfert de l’ambassade américaine.


(Lire aussi : II – De Abdallah Ier à David Ben Gourion, les principaux acteurs de la Nakba)  


Dans le centre de Gaza, à la mosquée el-Farouk, le corps de Mohammad Hassan a été exposé quelques heures avant d’être enterré un peu plus loin. Tué d’une balle dans la tête, le jeune homme avait seulement 21 ans. Les enterrements sont, eux aussi, riches en symboles : tandis que le corps du jeune homme était recouvert de terre, les drapeaux des principales factions politiques de Gaza, Hamas et Jihad islamique en tête, flottaient dans les airs. À quelques mètres de là, des tirs de kalachnikov résonnaient dans le ciel. Dans l’après-midi, le long de la frontière, des tirs, sporadiques, se sont aussi fait entendre. Comme à chaque manifestation à Gaza ou dans les territoires palestiniens, de nombreux jeunes avaient le visage recouvert par un keffieh. À 16 ans, Ahmad l’a choisi de couleur rouge. Accessoire fétiche de Yasser Arafat, le keffieh est l’un des symboles de la lutte palestinienne. Mais si les hommes d’un certain âge continuent de le porter sur la tête, la jeunesse ne le porte guère plus que lors des manifestations ou en simple foulard. 

Hier soir, la mobilisation en demi-teinte rendait difficile toute prévision quant au développement de la marche du retour. Mais une chose est sûre : peu importe l’évolution des événements, les symboles resteront.






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