Dans une étude publiée il y a quelques années par le British Journal of Psychiatry, Yair Bar-El, chef de clinique dans un hôpital de Jérusalem, évoquait le syndrome, justement, de Jérusalem, une sorte d’accès de folie dont seraient pris certains touristes en visitant la Ville sainte. Une crise qui pourrait être le résultat d’une terrible déception, née de la confrontation entre la réalité de la ville et son image fantasmée. Pour échapper à cette profonde déception, c’est dans le délire que les patients trouveraient dès lors refuge.
Pour illustrer l’une des catégories de patients sujets à ce syndrome, le docteur Bar-El évoquait Gogol, le fameux écrivain russe qui, victime d’accès psychotiques ayant tari son inspiration, avait eu une révélation : aller à Jérusalem et réciter des prières dans les lieux saints lui permettrait de soigner son mal et de reprendre la plume.
Donald Trump en avait fait une promesse de campagne : une fois élu, il reconnaîtrait Jérusalem comme capitale d’Israël. Ce qu’il a fait en décembre dernier.
Avec l’inauguration, hier, de l’ambassade américaine à Jérusalem – soit bien plus tôt que ce que son ancien chef de la diplomatie, Rex Tillerson, viré depuis, avait laissé entendre –, le président Trump honore donc une promesse faite aux électeurs américains. Il caresse, par la même occasion, dans le sens du poil, la droite évangélique, ce qui n’est pas sans intérêt à six mois des élections de mi-mandat.
Mais à quel prix M. Trump travaille-t-il à consolider ce qui relève d’un agenda très américain ?
Au prix du sang d’abord. Celui des dizaines de Palestiniens, dont des mineurs, tués hier par l’armée israélienne alors qu’ils manifestaient à Gaza. Journée de fête en Israël, journée la plus meurtrière, à Gaza, du conflit israélo-palestinien depuis la guerre de 2014.
Au prix de la paix, ensuite.
Avec cette inauguration, organisée à la veille des commémorations de la nakba qui plus est, Trump jette un peu plus d’huile sur le brasier. Et ce d’autant plus que si le département d’État avait indiqué que le transfert de l’ambassade « ne signifie pas un renoncement à l’engagement américain de faciliter une paix durable », il ne s’accompagne, jusqu’à présent, d’aucune pression sur Israël pour sortir du bourbier. Certes, le gendre de M. Trump, Jared Kushner, est supposé préparer un plan de paix. Mais que peut valoir, aujourd’hui, le plan concocté par un pyromane se piquant subitement d’être pompier ?
Au prix du droit international, aussi.
En 1947, ce droit international avait fait de Jérusalem une entité séparée des États palestinien et israélien, gérée par la communauté internationale. Après l’annexion de Jérusalem-Est par Israël en 1967, l’État hébreu avait adopté, en 1980, une Loi fondamentale entérinant Jérusalem comme « capitale éternelle et indivisible d’Israël ». Une loi déclarée « nulle et non avenue » par le Conseil de sécurité, qui avait en outre appelé tous les États ayant établi une mission diplomatique dans la Ville sainte à l’en retirer.
Au prix, enfin, d’une négation de l’identité de Jérusalem.
Jérusalem est la ville des trois monothéismes, une cité aux populations imbriquées, aux identités multiples. Or, si l’on a beaucoup parlé, ces derniers jours, de l’ambassade américaine, un processus plus insidieux est en place : dimanche, le gouvernement israélien, assurément porté par le soutien acquis de l’administration Trump, a en effet alloué 560 millions de dollars à un projet sur cinq ans visant à « renforcer la souveraineté israélienne sur Jérusalem-Est », rapporte le Haaretz. La plupart des fonds viseront à encourager les écoles palestiniennes à utiliser le curriculum israélien…
Dans ce contexte, l’inauguration de l’ambassade fait résonner plus fort que jamais le terrible tic-tac de la bombe à retardement qui couve dans les territoires palestiniens. Des territoires sous la tutelle d’une direction palestinienne déchirée et ayant fait la preuve de son incapacité à se hisser à la hauteur des enjeux. Des territoires en proie, aussi, à une crise économique et sociale lourde, surtout à Gaza, soumise au blocus israélien. « Gaza est au bord de l’explosion », avertissait, fin avril, le coordinateur onusien du processus de paix au Moyen-Orient. « On se fiche que la moitié des gens se fasse tuer, on continuera à y aller pour que l’autre moitié vive dignement », lançait hier, comme en écho, un manifestant à Gaza.
Donald Trump, lui, affirmait en février dernier : « Jérusalem, c’était ce qu’il fallait faire. On a réglé la question. » Est-ce cela, se réfugier dans le délire quand on ne veut pas voir la réalité ?
À son retour de la Ville sainte, en 1948, Gogol aurait dit : « Qu’il est insultant d’être trompé par Jérusalem ! » Après ce voyage, il n’avait pas repris la plume. Quatre ans après son passage à Jérusalem, l’écrivain asséché, en butte à une dépression profonde, se laissait mourir de faim.
Le syndrome de Jérusalem
OLJ / Par Émilie SUEUR, le 15 mai 2018 à 00h00
À son retour de la Ville sainte, en 1948, Gogol aurait dit : « Qu’il est insultant d’être trompé par Jérusalem ! "... Que c'est vrai, et ça l'est pour tout les peuples de ce moyen orient qui s'entre-massacre au nom des dieux de Jérusalem. Dieu s'est laisser dupé par des esprits machiavéliques qui ont rendu son nom synonyme de désastre de désaccord de massacres et de haine. Dommage...
13 h 21, le 15 mai 2018