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Moyen Orient et Monde - Les 70 ans de la Nakba : petites et grandes histoires...

I – Les archives orales, pour raconter la Nakba

La Nakba. Certains associent cette date à la genèse du malheur arabe. D’autres considèrent qu’elle n’est qu’un évènement parmi d’autres dans une histoire contemporaine essentiellement façonnée par les conflits au Proche et au Moyen-Orient. L’histoire de la région aurait-elle été marquée par la paix et la stabilité si la Nakba n’avait pas eu lieu ? Probablement pas. Mais il est peu dire que l’évènement, qui fait référence à la création d’Israël le 15 mai 1948, a bouleversé toute une région, a traumatisé plusieurs générations et a fait germer une multitude de conflits au cours de ces sept dernières décennies. Il y a 70 ans, la création d’Israël devenait le symbole de l’humiliation arabe. C’est cette histoire, ce qu’il en reste mais aussi son évolution côté palestinien comme côté israélien que «L’Orient-Le Jour » a voulu faire revivre à l’occasion de cet anniversaire malheureux qui va être commémoré dans un contexte explosif. Premier épisode aujourd’hui, pour un indispensable travail de mémoire...

Une peinture ancienne de Jérusalem et une photo de Mohammad Mahmoud Jadallah, un Palestinien de 96 ans aujourd’hui ayant vécu la nakba. Ronen Zvulun/Reuters

Dans le sous-sol de la bibliothèque de l’Université américaine de Beyrouth, une poignée de jeunes femmes travaillent depuis plus de deux ans sur un projet titanesque : archiver le témoignage oral de quelque 800 des derniers survivants de la nakba – la catastrophe, terme lancé par l’intellectuel Constantin Zureiq – pour conserver la mémoire de ce moment charnière, encore mal documenté, de l’histoire de la Palestine. Les témoignages audio et vidéo ont été recueillis à la fin des années 90 dans les camps palestiniens du Liban, lors d’une véritable course contre la montre avant que s’éteignent ces femmes et ces hommes qui ont fui leurs villes et villages en 1948, témoins d’une histoire dont les détails sont encore souvent méconnus.

Aujourd’hui, ces enregistrements d’un millier d’heures de témoignages précieux sont vérifiés, catalogués, indexés, afin de constituer une plate-forme numérique qui sera dès l’an prochain accessible en ligne, un projet unique dans le monde arabe.

« Le projet a commencé en raison du besoin des jeunes de connaître leur histoire. Nous avons formé de jeunes membres de la communauté dans tous les camps du Liban, qui ont commencé à collecter ces témoignages en 1998, à l’occasion du cinquantenaire de la nakba », indique à L’Orient-Le Jour Moataz Dajani, qui a coordonné le projet pour l’ONG JANA. « Malheureusement, ajoute-t-il, beaucoup de survivants interviewés sont décédés depuis. » Avec d’autres interviews menées à la même période par des chercheurs de l’ONG Nakba Archives, « nous avons constitué le noyau des archives orales palestiniennes », précise M. Dajani.

Les pièces d’un puzzle
Ces témoignages des combats en Palestine et de l’exode constituent des fragments d’histoire pouvant apporter des éléments de réponse aux zones d’ombre entourant la débâcle de 1948. Dont une question centrale : pourquoi ont-ils fui ?

Les témoignages d’hommes et de femmes au visage buriné qui défilent sur l’écran racontent des morceaux de l’histoire, qui doivent encore être assemblés tel un puzzle. Certains relatent des massacres, dont beaucoup sont encore mal documentés (Tantoura, Safsaf, Saliha, al-Farridya…), d’autres affirment avoir été expulsés de force par la Haganah, des réfugiés racontent s’être réfugiés de nuit dans les bois, d’autres évoquent encore la fuite éperdue et les familles séparées…

Selon les historiens, sur quelque 750.000 Palestiniens qui ont fui leurs foyers, environ 110.000 se sont réfugiés au Liban, la plupart venant du nord de la Palestine, notamment de la Galilée voisine, de la région de Haïfa ou d’Acre. Mais l’histoire de la nakba n’a encore été écrite que très partiellement, et surtout du côté israélien.
« L’histoire orale est très importante parce qu’il est primordial pour la mémoire palestinienne de constituer un récit véritable de ce qui s’est produit en Palestine », explique à L’OLJ l’éminent historien Rachid Khalidi, qui souligne que « les écrits historiques sur la nakba sont surtout le fait d’Israéliens et d’étrangers en général, rares sont les récits palestiniens ».

Avec d’autres historiens palestiniens, Rachid Khalidi s’est employé depuis des décennies à réfuter le mythe israélien selon lequel les habitants ont fui de leur propre chef ou à l’appel des radios arabes qui leur auraient enjoint de partir. Des appels qui en fait n’ont jamais existé. Mais alors qu’il y a cinquante ans le récit israélien était prédominant, surtout en Occident, « aujourd’hui rares sont ceux qui croient encore au mythe israélien », grâce aux efforts des Palestiniens mais aussi des nouveaux historiens israéliens, indique M. Khalidi, professeur d’études arabes à l’Université de Columbia.


(Pour mémoire : Le traitement humanitaire de la Nakba ou le sacrifice du droit au retour)



« Nettoyage ethnique »
Ces nouveaux historiens – Benny Morris, Ilan Pappé, Tom Seguev, Avi Shlaïm ou Simha Flapan, pour ne citer que ceux-là – ont profité de l’ouverture des archives israéliennes et britanniques à partir de la fin des années 80 pour réécrire l’histoire de la nakba, remettant en cause certains des mythes fondateurs de l’histoire israélienne.
Ilan Pappé, notamment, apporte des preuves irréfutables de la planification par David Ben Gourion et d’autres dirigeants sionistes d’une politique d’expulsion de masse, appliquée dès fin 1947. Selon lui, les habitants de quelque 500 villages palestiniens ont été systématiquement expulsés, dans ce qu’il qualifie de véritable « nettoyage ethnique » de la Palestine.

« Jusqu’à aujourd’hui, nous ne connaissons pas encore beaucoup de détails de la nakba », affirmait lors d’une conférence jeudi à l’AUB l’anthropologue Rosemary Sayigh, citant par exemple la « marche de la mort » au cours de laquelle tous les habitants des villes de Lodd et Ramleh ont été forcés en juillet 1948 à marcher jusqu’à Ramallah, beaucoup d’entre eux mourant d’épuisement ou de soif en chemin. Constituer des archives orales est un moyen de redonner la voix à ces réfugiés, pour une grande part d’entre eux des paysans illettrés, a précisé Mme Sayigh, qui a passé de longues années à recueillir les témoignages d’habitants des camps pour ses ouvrages. « Le développement de l’histoire orale a été associé avec les communautés historiquement marginalisées ou persécutées », par exemple en Afrique du Sud ou au Chili, a ajouté l’auteur de From Peasants to Revolutionaries.

Un projet pionnier
C’est précisément pourquoi le Palestinian Oral History Archive Project (POHA), mené par l’Institut Issam Farès et l’AUB, a vu le jour. En 2016, le projet a reçu une donation de 260 000 dollars du prestigieux National Endowment for Humanities, une agence fédérale américaine.

« Il existe très peu d’archives dans la région qui sont accessibles aux chercheurs, et encore moins d’archives dédiées à la question de Palestine », indique à L’OLJ Kaoukab Chbaro, l’une des responsables du projet et directrice des archives à l’AUB.
 « Nous sommes en train de créer une base de données en indexant et en cataloguant ces témoignages, et en établissant des outils qui permettront aussi bien aux chercheurs, aux étudiants, qu’aux cinéastes ou aux militants des droits de l’homme » de les utiliser à l’avenir, ajoute-t-elle. Elle souligne que « c’est un projet pionnier, dans le sens que vous amenez l’histoire orale dans une institution académique. Il valorise le médium de l’histoire orale pour aider les chercheurs à se concentrer sur les microhistoires qui ont été ignorées ou qui n’ont pas reçu une attention suffisante ».

La plateforme bilingue, en arabe et en anglais, doit être lancée en 2019, et ses responsables ambitionnent plus tard de l’étendre à d’autres collections d’histoire orale des Palestiniens dans le monde arabe.

* Prochain article : les années 1947, 1948 et 1949 vues par les principaux leaders politiques de l’époque.


Lire aussi
« Nous revivons le temps de la Nakba. Il y a eu 1948, il y a eu 1967 et il y a aujourd’hui »


Dans le sous-sol de la bibliothèque de l’Université américaine de Beyrouth, une poignée de jeunes femmes travaillent depuis plus de deux ans sur un projet titanesque : archiver le témoignage oral de quelque 800 des derniers survivants de la nakba – la catastrophe, terme lancé par l’intellectuel Constantin Zureiq – pour conserver la mémoire de ce moment charnière, encore mal...

commentaires (2)

Transfert de population. Inde / Pakistan par exemple. Il n'y a que les Palestiniens qui ont eu droit a l'UNRWA qui travaille a maintenir les refugies dans les camps.La verite est que c'est les radios arabes qui ont incites les palestiniens a quitter leur villages pour laisser le champs libre aux armees de liberation.Malheureusement cela s'est retourne contre eux!

IMB a SPO

14 h 28, le 14 mai 2018

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Commentaires (2)

  • Transfert de population. Inde / Pakistan par exemple. Il n'y a que les Palestiniens qui ont eu droit a l'UNRWA qui travaille a maintenir les refugies dans les camps.La verite est que c'est les radios arabes qui ont incites les palestiniens a quitter leur villages pour laisser le champs libre aux armees de liberation.Malheureusement cela s'est retourne contre eux!

    IMB a SPO

    14 h 28, le 14 mai 2018

  • UNE INITIATIVE TRES IMPORTANTE POUR L'HISTOIRE ET LA VERITE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 32, le 14 mai 2018

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