Quel message le Hezbollah a-t-il voulu véhiculer en organisant, jeudi, une tournée pour les journalistes dans la zone frontalière libano-israélienne? Considérée par de nombreux analystes comme un acte de provocation, à l'heure où les spéculations vont bon train sur la possibilité d'une nouvelle guerre entre Israël et le parti chiite, l'initiative prise par ce dernier serait destinée aussi bien à la base, pour calmer ses appréhensions, qu'à la communauté internationale et à l'État hébreu.
L'Orient-Le Jour a posé trois questions à l'officier à la retraite et vice-président de l'association Liban-Message, le général Khalil Hélou, pour recueillir son point de vue sur la portée stratégique de ce que d'aucuns ont considéré comme un faux pas de la part du Hezbollah.
Comment expliquez-vous l'étalage de force manifesté hier par le Hezbollah à la frontière ?
Ce qu'il faut retenir de cette tournée est tout d'abord l'insistance du Hezbollah, qui a voulu montrer aux journalistes les fortifications israéliennes, sur le fait que l'armée de l'État hébreu se trouve dans une position défensive et qu'Israël s'attend pour la première fois à ce que le combat soit mené sur son propre territoire, alors que cela fait des années qu'il mène ses guerres dans les pays limitrophes, mais jamais chez lui.
Or, dire que la guerre aura lieu cette fois en territoire israélien, c'est mal connaître la logique qui prévaut au sein de l'armée israélienne qui, depuis longtemps, renforce à la fois ses positions offensives et défensives. D'ailleurs, il est pratiquement impossible de voir les dispositifs offensifs de l'armée israélienne à partir de la frontière. Quant aux travaux de fortification montrés aux journalistes, ils font partie de la routine militaire, et n'ont rien de nouveau ou d'inédit.
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Quel message a donc voulu véhiculer le parti chiite et à quel(s) destinataire(s) ?
Le Hezbollah avait deux objectifs: tout d'abord calmer le public qui soutient la résistance et remonter son moral dans un contexte de tension entre l'Iran et les États-Unis, à la lumière d'informations distillées par les analystes occidentaux sur la probabilité d'une guerre prochaine entre l'État hébreu et son adversaire chiite. La base du Hezbollah est aujourd'hui non seulement inquiète du climat qui prévaut, mais elle est aussi essoufflée par l'engagement de la résistance en Syrie et le prix payé qui s'est avéré très lourd en termes de morts, de blessés et de personnes handicapées. Il s'agit donc de redynamiser cette base populaire et de la rassurer. Le second objectif est d'adresser un message de force à la communauté internationale, mais aussi à Israël, pour dire: « Nous sommes prêts à toute attaque. »
Objectivement parlant, il n'en est rien. Il n'est absolument pas vrai que le Hezbollah a un appétit pour la guerre, encore moins qu'elle « lui manque », puisqu'il est embourbé jusqu'au cou en Syrie, où toutes ses ressources humaines ont été englouties. Le Hezbollah ne peut pas se payer le luxe de déclencher une autre bataille en ce moment. Par conséquent, sa petite tournée à la frontière est une simple démonstration de la volonté d'affrontement pour rassurer la base populaire du parti qui appréhende une frappe. Sauf que le public sait pertinemment que si celle-ci a lieu, elle ne ressemblera en rien à la guerre de juin 2006, car Israël se prépare depuis longtemps à cette éventualité et ne s'en cache pas.
S'il y a une nouvelle guerre, c'est sans le moindre doute le Liban qui en sera le théâtre. Elle sera plus violente et plus dévastatrice que la dernière, d'autant que cette fois-ci, la communauté internationale n'interviendra pas pour l'arrêter, surtout à l'ère de l'administration Trump. En Syrie, ce sont des villes entières qui ont été détruites, et la communauté internationale n'a rien pu faire. Il ne faut pas oublier non plus que le Hezbollah, placé aujourd'hui sur la liste des organisations terroristes, a également perdu le soutien dont il bénéficiait de la part des pays arabes qui ne bougeront pas le petit doigt cette fois-ci pour arrêter une éventuelle offensive contre le Liban. Israël aura ainsi les coudées franches pour frapper un allié de l'Iran.
(Lire aussi : Retour au bercail pour le Hezbollah)
Comment interprétez-vous la « contre-visite » effectuée hier par le Premier ministre au Liban-Sud ?
L'initiative est certes bonne et justifiée pour signifier que le Liban officiel est celui qui reconnaît la résolution 1701 et l'armistice de 1949. Mais elle ne suffit pas pour faire contrepoids à ce qui s'est passé, surtout lorsque l'on sait qu'Israël ne recourt jamais à la force diplomatique. D'ailleurs, je me demande comment la Finul, qui d'habitude intervient au moindre incident, a laissé faire dans une région placée sous son mandat. En tant qu'État libanais, notre relation avec Israël passe par les résolutions de l'ONU, notamment la 1701. Par conséquent, cette nouvelle brèche pourrait être considérée par Israël comme une violation de cette résolution.
En clair, le Hezbollah, qui fait partie du gouvernement libanais, a démontré un manque de responsabilité choquant. Nous avons la chance d'être le seul pays de la région qui jouit d'une paix intérieure et qui est bien prémuni contre le terrorisme. Nous bénéficions d'une immunité que nous sommes en train d'affaiblir. Nous n'avons aucun intérêt à mener une guerre. Ce n'est certainement pas le moment de faire de la propagande ou de faire preuve de belligérance romantique déplacée.
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Le Liban est considéré par les puissances étrangères comme invisible et très peu stratégique. La diaspora, repartie dans le monde, a peu d’influence politique et souvent contradictoire, elle est loin d’être comme celle de la diaspora juive. Si l’Iran s’y intéresse c’est à cause de l’existence d’un répondant chiite qui joue son jeu, le Liban multiconfessionnel qui fut le refuge des chiites persécutés ne lui convient plus. Le Liban est une proie facile qui risque d’être dévoré et digéré pour devenir comme ces voisins. Le scepticisme du député Chebl Dammous dès la création du grand Liban avait rédigé une prédiction en écrivant des vers en arabe 1920, publié dans un livre d’histoire, Ecrit par un collège de professeur dans le cadre de l’université d’AMAN : « la transition du Liban depuis l’empire Ottoman jusqu'à la création du nouveau Liban » Ces vers sont difficilement traduisibles mais ils disent : Oh! Fils et filles de St Maron voilà votre désir est assouvi. Vous avez cru qu’agrandir le Liban c’est honneur et merci. Vous vous éloignez des endroits de la servitude et du malheur. Mais ce destin à mon avis n’est pas le meilleur. Oh! Bon Dieu, votre capacité est déjà petite. En agrandissant le Liban vous réduisez les maronites.
DAMMOUS Hanna
19 h 33, le 22 avril 2017